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04/07/2024 | FRANCE | N°23LY03502

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 5ème chambre, 04 juillet 2024, 23LY03502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 23 novembre 2022 par lesquelles la préfète du Rhône lui a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a déterminé le pays de destination en cas de reconduite.



Par un jugement n° 2304777 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a, dans un article 1er, annulé les décisions de la préfète d

u Rhône du 23 novembre 2022 susvisées, dans un article 2, enjoint à la préfète du Rhône de délivre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 23 novembre 2022 par lesquelles la préfète du Rhône lui a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a déterminé le pays de destination en cas de reconduite.

Par un jugement n° 2304777 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a, dans un article 1er, annulé les décisions de la préfète du Rhône du 23 novembre 2022 susvisées, dans un article 2, enjoint à la préfète du Rhône de délivrer le titre de séjour sollicité par Mme B... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, dans un article 3, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à Me Robin, avocate de Mme B..., au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle et, dans un article 4, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 novembre 2023 et 28 mars 2024, la préfète du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement du 10 octobre 2023 et de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par Mme B... en première instance.

La préfète soutient que le tribunal a inversé la charge de preuve dans l'application de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'elle a produit des éléments démontrant que des médicaments substituables à l'Abilify étaient disponibles au Sénégal et qu'un centre de soins pour traiter la pathologie de l'intéressée est présent dans sa ville de naissance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2024, Mme B..., représentée par Me Robin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à son conseil en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour ;

- cette décision méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code précité ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 3 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;

- et les observations de Me Lulé, représentant M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante sénégalaise née le 27 février 1968, est entrée en France le 11 octobre 2019. Elle a demandé l'annulation des décisions du 23 novembre 2022 par lesquelles la préfète du Rhône lui a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a déterminé le pays de destination en cas de reconduite. La préfète du Rhône relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

3. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par son avis du 19 septembre 2022, le collège de médecins de l'OFII a indiqué que si l'état de santé de Mme B... nécessite une prise en charge dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressée peut effectivement bénéficier, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé au Sénégal, d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Il ressort des mêmes pièces que l'intéressée souffre de schizophrénie associée à de fortes décompensations psychotiques et qu'elle bénéficie d'un traitement médicamenteux sous forme d'injection composé d'un neuroleptique, l'Abilify, dont le principe actif est l'aripiprazole. Pour annuler le refus de renouvellement du titre de séjour de l'intéressée, le tribunal a relevé à bon droit que Mme B... justifiait par les pièces produites que le médicament qui lui est prescrit et plus précisément son principe actif ne fait pas partie des principes actifs disponibles au Sénégal, ce que ne contestait pas d'ailleurs la préfète du Rhône dans ses écritures. Toutefois, dès lors que la préfète du Rhône avait produit des éléments justifiant que d'autres médicaments de la classe des antipsychotropes étaient disponibles au Sénégal (comme la chlorpromazine, la fluphénazine, le haldol et la levomépromazine), il appartenait à Mme B... de verser des éléments d'ordre médical, qu'elle était la seule en mesure de produire, de nature à démontrer que ces médicaments n'étaient pas substituables pour traiter sa pathologie. Elle ne démontre pas davantage en appel qu'en première instance que les médicaments cités par la préfète du Rhône ne seraient pas substituables à l'Abilify. En outre, elle n'apporte pas d'éléments démontrant que le suivi médical auquel elle est astreinte ne pourrait se poursuivre au Sénégal dans des établissements adaptés dès lors que les pièces produites démontrent que de telles structures existent. La préfète fait à ce titre valoir sans être contestée qu'un centre de soins pour traiter la pathologie de l'intéressée est présent dans sa ville de naissance. Dans ces conditions, la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour, le tribunal administratif de Lyon a estimé que les dispositions précitées avaient été méconnues.

5. Dès lors, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Lyon.

Sur les autres moyens soulevés devant le premier juge :

6. En premier lieu, la préfète du Rhône a produit devant le tribunal l'avis rendu par le collège des médecins de l'OFII le 19 septembre 2019. Par suite, le moyen soulevé tiré de ce que la procédure serait irrégulière faute pour la préfète d'avoir saisi les services de l'OFII manque en fait et doit être écarté.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...). ".

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France à une date récente et qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de 51 ans dans son pays d'origine quand bien même elle a vécu en France une dizaine d'années en 1990 et 2000 sous couvert d'une carte de résident. Si elle justifie de la présence en France de sa fille, née en 1990 et de nationalité française, qui l'héberge, ainsi que des deux enfants de celle-ci, elle conserve au Sénégal deux autres enfants majeurs et d'autres attaches familiales. Elle ne justifie d'aucune intégration dans la société française. Les éléments dont elle fait état sont insuffisants pour caractériser l'existence de liens intenses, stables et anciens sur le territoire national. Si elle indique être " ascendant à charge de français ", il ressort des pièces du dossier qu'elle est entrée en France sous couvert d'un visa " ascendant non à charge " et qu'elle ne démontre pas que sa fille serait en mesure d'assurer son entretien dès lors que la préfète fait valoir, sans être contestée, que sa fille perçoit le revenu de solidarité active. Dans ces conditions, compte tenu des circonstances de l'espèce, la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour en litige n'a pas porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs pour lesquels elle a été édictée. Elle n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Compte tenu de la légalité de la décision portant refus de renouvellement de titre de séjour, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale par voie d'exception.

10. Pour les mêmes motifs que ceux visés au point 4, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9°) de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. La mesure d'éloignement en litige n'ayant ni pour objet ni pour effet d'éloigner l'intéressée à destination du Sénégal, Mme B... n'est pas fondée à se prévaloir à l'encontre de cette décision de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. "

14. Compte tenu de ce qui a été précédemment énoncé, Mme B... ne justifie pas de circonstances particulières nécessitant l'octroi d'un délai supérieur à trente jours. Par suite, la préfète du Rhône, en fixant à trente jours le délai de départ imparti à cette dernière pour quitter volontairement le territoire français, n'a pas entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

15. Compte tenu de la légalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français opposées à Mme B..., l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de ces décisions.

16. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

18. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le traitement de la pathologie dont est affectée Mme B... ne serait pas effectivement disponible au Sénégal ni qu'elle y serait exposée à de mauvais traitements en raison de celle-ci. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

19. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions édictées le 23 novembre 2022 à l'encontre de Mme B... portant refus de renouvellement de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. Par voie de conséquence, les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Lyon par Mme B... ainsi que ses conclusions d'appel à fin d'injonction sous astreinte et tendant à l'application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2304777 du 10 octobre 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon par Mme B... ainsi que ses conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B... et à la préfète du Rhône.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Dèche, présidente ;

M. Gros, premier conseiller ;

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

V. Rémy-NérisLa présidente,

P. Dèche

Le greffier en chef,

C. Gomez

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03502

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03502
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DECHE
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : SCP ROBIN VERNET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23ly03502 ?
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