Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société La Poste a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 6 septembre 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) de Bourgogne-Franche-Comté lui a infligé une amende d'un montant total de 6 500 euros, en application des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail, pour manquement à la tenue des documents de décompte de la durée du travail dans son établissement de Genlis, subsidiairement, de réformer cette amende en lui substituant un avertissement, ou, en tout état de cause, en réduisant son montant.
Par un jugement n° 2102953 du 3 novembre 2022, le tribunal a annulé cette décision du 6 septembre 2021.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 4 janvier 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de première instance de la société La Poste.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé, au regard des articles L. 3171-1, D. 3171-1, L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail, ainsi que l'article L. 8115-1 du même code, que l'administration ne pouvait écarter l'application d'un régime d'horaire collectif compte tenu des constats concrets opérés dans l'entreprise sur l'organisation du travail, alors que les dispositions sur l'horaire collectif du code du travail imposent que soit prise en compte la situation concrète dans laquelle se trouvent les salariés, et donc par l'administration, et que le régime de sanction administrative pour défaut de décompte de la durée du travail prévu par ce code est cohérent avec les textes sur l'horaire collectif, devant être mis en œuvre sur la base d'une appréciation objective de la situation, aucune sanction pour non-respect de l'horaire collectif n'étant prévue, seule une sanction unique pour absence de décompte de la durée du travail lorsque les salariés ne travaillent pas selon le même horaire collectif l'étant ;
- l'organisation du travail mise en œuvre au sein du site de Genlis de la société La Poste ne pouvait être qualifiée d'horaire collectif, notamment les employés travaillant selon des horaires variant en fonction de la charge de travail selon les tournées et les jours de la semaine, les pauses n'étant pas prises collectivement et ayant une durée variable en fonction des jours et de la charge de travail de chaque employé, si bien que cette société était tenue de décompter la durée du travail de ses salariés, conformément à l'article D. 3171-8 du Code du travail.
Par un mémoire enregistré le 12 mai 2023, la société La Poste, représentée par Me Rossignol, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à la réformation de la décision contestée en lui substituant un avertissement, ou, en tout état de cause, en réduisant son montant ;
3°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, elle justifie de sa bonne foi, au regard des dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail.
Par une ordonnance du 15 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juin 2023.
La société La Poste, représentée par Me Rossignol, a produit un mémoire, enregistré le 29 mai 2024, postérieurement à la clôture d'instruction, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Gay, substituant Me Rossignol, pour la société La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. Les 21 septembre et 8 décembre 2020, les services de l'inspection du travail de la Côte-d'Or ont procédé à un contrôle de l'établissement (site de distribution) de la société La Poste situé à Genlis (21110) et ont vérifié la durée du temps de travail des employés occupant des fonctions de facteur, affectés au sein du service de distribution de courrier, au nombre de treize. A l'issue de ce contrôle, un rapport a été établi le 23 février 2021 et a été transmis au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bourgogne-Franche-Comté, ce service étant devenu depuis la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, concluant à ce qu'une sanction administrative soit infligée à la société La Poste au motif que les salariés employés en qualité de facteur n'étaient pas occupés selon un même horaire collectif, alors que leur durée de travail n'était pas décomptée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail. Suite à une procédure contradictoire débutée par un courrier du 21 avril 2021, le directeur régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) de Bourgogne-Franche-Comté a infligé à la société La Poste une amende d'un montant total de 6 500 euros, soit un montant unitaire de 500 euros multiplié par un nombre de treize salariés concernés, sur le fondement des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail, pour manquement à la tenue des documents de décompte de la durée du travail pendant la période du 21 septembre 2019 au 8 décembre 2020 dans son établissement de Genlis. Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion relève appel du jugement du tribunal administratif de Dijon du 3 novembre 2022 ayant, sur demande de la société La Poste, annulé cette décision.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3171-1 du code du travail : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos. / (...). ". Aux termes de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / (...). ". Aux termes de son article L. 3171-3 : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. / La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 3171-4 de ce code : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. / (...). ". Aux termes de l'article D. 3171-1 de ce même code : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions des articles (...) relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires, et des heures de dérogation permanente (...). ". Aux termes de son article D. 3171-2 : " L'horaire collectif est daté et signé par l'employeur ou, sous la responsabilité de celui-ci, par la personne à laquelle il a délégué ses pouvoirs à cet effet. / Il est affiché en caractères lisibles et apposé de façon apparente dans chacun des lieux de travail auxquels il s'applique. Lorsque les salariés sont employés à l'extérieur, cet horaire est affiché dans l'établissement auquel ils sont attachés. ". Aux termes de l'article D. 3171-4 de ce code, dans sa rédaction applicable : " Un double de cet horaire collectif et des rectifications qui y sont apportées est préalablement adressé à l'inspecteur du travail. ". Aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. ".
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail, dont les agents de contrôle sont chargés, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 8112-1 du code du travail, de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail, de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié. Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, le cas échéant après conclusion d'un accord collectif, il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine.
4. Toutefois, il appartient à l'employeur d'arrêter le régime du temps de travail applicable au sein de l'établissement, le cas échéant, par catégorie de personnels, l'inspection du travail devant contrôler le respect de ce régime d'horaire et, le cas échéant, sanctionner les manquements aux obligations découlant de ce régime en vigueur.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / (...) / 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ; / (...). ".
6. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné. Par suite, les dispositions mentionnées au point précédent ne sauraient permettre à l'administration de sanctionner un employeur à raison d'un manquement à l'obligation, attachée à des horaires non collectifs, d'établir un décompte de la durée de travail de chaque salarié selon les modalités prévues en la matière par les textes cités au point 2, s'agissant de salariés dont le travail est organisé selon un horaire collectif.
7. Compte tenu des principes rappelés ci-dessus, l'autorité administrative ne pouvait légalement infliger à la société La Poste, s'agissant de ses treize salariés occupant des fonctions de facteur, affectés au sein de son établissement de Genlis dans le service de distribution de courrier, dont l'activité était organisée, suite à la négociation d'un accord collectif, selon un horaire collectif de travail affiché au sein des locaux, dont rien ne permet de dire qu'il n'avait pas été adressé à l'inspection du travail, une sanction administrative fondée sur des manquements à l'obligation, mentionnée au point 3, de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des travailleurs ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail, ne bénéficiant pas de la faculté de remettre en cause la détermination, par la société, de l'horaire de travail existant au sein de l'établissement en cause en estimant qu'un régime plus adapté aux conditions de travail des salariés devait lui être substitué. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient estimé à tort, au regard des articles L. 3171-1, D. 3171-1, L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail, ainsi que l'article L. 8115-1 du même code, que l'administration ne pouvait écarter l'application d'un régime collectif d'horaire compte tenu des constats concrets opérés dans l'entreprise sur l'organisation du travail doit être écarté.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 6 septembre 2021. Sa requête doit donc, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société La Poste et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion est rejetée.
Article 2 : L'État versera une somme de 1 500 euros à la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la société La Poste.
Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bourgogne Franche-Comté.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
Le rapporteur,
J. Chassagne
La présidente de la formation de jugement,
A. Duguit-LarcherLa greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00028
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