Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme ... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner la commune de ... à leur verser la somme totale de 12 960 euros en réparation des préjudices subis du fait des nuisances sonores résultant du fonctionnement de la chaufferie de l'école municipale située à proximité immédiate de leur maison d'habitation.
Par un jugement n° 2000980 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Dijon a condamné la commune de ... à verser à M. et Mme B... une somme de 5 960 euros, a mis à la charge définitive de la commune une somme de 3 859,51 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 août 2022, et un mémoire non communiqué faute d'éléments nouveaux, enregistré le 6 octobre 2023 à 9h20, la commune de ..., représentée par l'association d'avocats inter-barreaux THEMIS, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000980 du 7 juillet 2022 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme B... ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme B... les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Dijon est entaché d'une insuffisance de motivation et est par suite irrégulier ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, aucune pièce du dossier ne permet de caractériser un dysfonctionnement de la chaudière de l'école communale ;
- les nuisances sonores invoquées n'excédaient pas les sujétions que les riverains des ouvrages publics doivent normalement supporter sans indemnité ; par suite, le caractère grave et spécial du dommage n'est pas démontré et la responsabilité de la commune ne saurait être retenue en l'espèce ;
- en tout état de cause, l'indemnisation allouée à M. et Mme B... en réparation des troubles dans leurs conditions d'existence a été surévaluée et le préjudice économique résultant des frais de l'expertise privée n'est pas justifié au regard de l'inutilité de cette expertise.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 novembre 2022, M. et Mme B..., représentés par Me Gourinat, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la commune de ... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement du tribunal administratif de Dijon est suffisamment motivé ;
- l'origine des nuisances sonores, qui réside dans une forte émission sonore due au brûleur de la chaudière, un faible isolement sonore des deux façades de la chaufferie donnant sur l'extérieur avec présence d'entrées d'air, la présence d'une porte métallique sans joint périphérique et un rayonnement sonore par le conduit d'évacuation des fumées, est assimilable à un défaut de fonctionnement accidentel ;
- en tout état de cause, le dépassement des valeurs limites fixées à l'article R. 1336-7 du code de la santé publique caractérise une atteinte à la tranquillité du voisinage dans une mesure qui excède les troubles ou inconvénients normaux inhérents au voisinage d'un ouvrage public.
Par une ordonnance du 5 septembre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2023 à 16h30.
Un mémoire, présenté pour la commune de ..., a été enregistré le 23 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Weber, représentant la commune de ....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... sont propriétaires, depuis 1985, d'une maison d'habitation située ... sur le territoire de la commune de .... A compter de l'année 2016, ils se sont plaints auprès des représentants de la commune des nuisances sonores, notamment nocturnes, générées par le fonctionnement de la chaudière du groupe scolaire ... située de l'autre côté de la rue, à une quinzaine de mètres face à leur propriété. La tentative de résolution amiable du litige, initiée en avril 2017 par l'expert désigné par l'assureur de M. et Mme B..., n'a pas abouti et ces derniers ont fait réaliser, en février 2018, des mesures acoustiques pour déterminer le niveau d'émergence sonore provoquée par le fonctionnement de la chaufferie du groupe scolaire. Le rapport du 5 mars 2018, transmis au maire de la commune de ... est resté sans suite. Par ordonnance du 8 juin 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise judiciaire à la demande de M. et Mme B.... L'expert a déposé son rapport le 27 décembre 2019. La demande indemnitaire préalable adressée par M. et Mme B... au maire de la commune par courrier du 24 janvier 2020, reçue le 28 janvier suivant, a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Par un jugement du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Dijon a condamné la commune de ... à verser à M. et Mme B... une somme de 5 960 euros, a mis à la charge définitive de la commune une somme de 3 859,51 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune de ... interjette appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement à ce que soutient la commune de ..., en retenant que les nuisances sonores en litige constituaient un dommage à caractère accidentel, en ce qu'elles résultaient d'un dysfonctionnement de la chaudière de l'école municipale et non du fonctionnement normal de l'ouvrage lui-même et que, par suite, M. et Mme B..., qui ont la qualité de tiers à l'égard de cet ouvrage, n'avaient pas à démontrer le caractère grave et spécial de leurs préjudices, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement. Le moyen tiré de ce qu'ils auraient commis une erreur de qualification, en considérant que le dommage revêtait un caractère accidentel, qui se rattache au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué.
Sur la responsabilité :
3. En premier lieu, le maître de l'ouvrage, est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel. Par ailleurs, les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics, ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité.
4. Aux termes de l'article R. 1336-5 du code de la santé publique : " Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité. " Aux termes de l'article R. 1336-6 du même code : " Lorsque le bruit mentionné à l'article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l'une de celles mentionnées à l'article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. / (...) ". Selon l'article R. 1336-7 de ce code : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. / Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier : (...) 6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ; (...) ".
5. Il résulte du rapport d'expertise du 21 décembre 2019 que les mesures acoustiques effectuées ont révélé une émergence globale sonore excédant les limites règlementaires de 1,9 décibels sur la terrasse, de 5,2 décibels en limite de la propriété en face de la chaufferie de l'école et de 1,3 décibels dans la chambre de M. et Mme B... située à l'étage de l'habitation, fenêtres ouvertes.
6. L'expert indique que l'origine des nuisances résultent des fortes émissions sonores du bruleur de la chaudière, d'une puissance importante, de la faible isolation sonore des façades de la chaufferie donnant sur l'extérieur avec présence d'entrées d'air et d'une porte métallique sans joint périphérique, ainsi que du rayonnement sonore par le conduit d'évacuation des fumées et non d'un défaut d'entretien de la chaudière, installée en 2006. Ces éléments, qui révèlent une inadaptation de l'ouvrage sont de nature à caractériser un dommage accidentel..
7. Par ailleurs, quand bien même les mesures effectuées dans la chambre de l'habitation fenêtre fermée ne dépassaient pas les valeurs limites règlementaires, le niveau de dépassement des valeurs limites en période nocturne tel que mentionné au point 5 du présent arrêt caractérise une atteinte à la tranquillité du voisinage dans une mesure qui excède les troubles ou inconvénients normaux de voisinage ou les sujétions normales inhérentes au voisinage d'un ouvrage public.
8. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la commune de ..., qui ne peut se prévaloir de ce que M. et Mme B... aurait fait l'acquisition de leur maison d'habitation en toute connaissance de cause dès lors qu'il résulte de l'instruction que la chaudière en litige a été installée en 2006, soit postérieurement à l'installation des requérants en 1985, est engagée à raison des préjudices résultant pour M. et Mme B... du fonctionnement anormal de l'ouvrage.
Sur les préjudices :
9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que le dommage a cessé dès le remplacement de la chaudière par la commune en septembre 2019, les mesures effectuées en novembre 2019 attestant, selon l'expert, d'un fonctionnement particulièrement silencieux de la nouvelle chaudière qui ne génère aucune émergence sonore en limite de propriété. Dès lors qu'un chauffage collectif fonctionne généralement sur une période comprise entre le 15 octobre et le 15 avril, les requérants, qui ne justifient pas d'un fonctionnement plus long de la chaudière de l'école, doivent être regardés comme ayant subi des troubles dans leurs conditions d'existence du fait des nuisances sonores entre le mois de février et le 15 avril 2016, puis du 15 octobre au 15 avril au cours des années scolaires 2016-2017 à 2018-2019, soit un total de vingt et un mois sur une période d'un peu plus de trois ans. Au regard de la période indemnisable et des dépassements mesurés par rapport aux valeurs limites règlementaires, il sera fait une juste évaluation de leur préjudice en l'évaluant à la somme de 3 000 euros.
10. M. et Mme B... sont par ailleurs fondés à demander le remboursement des frais engagés pour la réalisation, en février 2018, d'une étude acoustique sur les conseils de leur assureur dont ils justifient par la production d'une note d'honoraires en date du 5 avril 2018 pour un montant de 960 euros dès lors que cette étude, à laquelle la commune de ... n'a pas donné suite, établissait la non-conformité des émergences sonores liées au fonctionnement de la chaudière.
11. Il résulte de ce qui précède que le montant de l'indemnisation mis à la charge de la commune de ... doit être ramenée à un montant de 3 960 euros.
Sur les dépens :
12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens ".
13. Compte tenu de ce qui a précédemment été exposé, les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme 3 859,51 euros par une ordonnance du 7 janvier 2020 du président du tribunal administratif de Dijon resteront à la charge de la commune de ....
Sur les frais de l'instance :
14. Dans les circonstances de l'espèce, les frais d'instance exposées par chacune des parties resteront à leur charge respective.
DECIDE :
Article 1er : La commune de ... est condamnée à verser à M. et Mme B... une somme de 3 960 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 2000980 du 7 juillet 2022 du tribunal administratif de Dijon est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les dépens sont maintenus à la charge de la commune de ....
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par M. et Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de ... et à M. et Mme B....
Copie en sera adressée à M. A..., expert.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
Le rapporteur,
E. Vergnaud
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au préfet de la Côte d'Or, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02557