Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Setelen a demandé au tribunal administratif de Dijon, à titre principal, d'annuler la décision du 22 avril 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) de Bourgogne-Franche-Comté lui a infligé une sanction administrative d'un montant total de 39 900 euros pour absence de mise en place de documents de décompte de la durée du travail dans son établissement de Chevigny-Saint-Sauveur ou, à titre subsidiaire, de réformer cette décision en fixant la sanction infligée à un avertissement, et de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des frais du litige.
Par un jugement n° 2001585 du 9 novembre 2021, le tribunal a annulé cette décision (article 1er), mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et rejeté le surplus de cette demande (article 3).
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 24 décembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce que le tribunal a annulé la décision du 22 avril 2020 et mis à la charge de l'État une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande de première instance correspondante de la société Setelen.
Elle soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé, au regard notamment des articles L. 3171-1 et D. 3171-1 du code du travail, que le caractère collectif des horaires de travail n'était pas incompatible avec la réalisation d'heures supplémentaires individualisées et une activité exercée par des salariés itinérants, mais également que les salariés rattachés au site de Chevigny-Saint-Sauveur relevaient d'un horaire collectif de travail excluant l'application des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail.
Par des mémoires enregistrés les 13 mai et 30 septembre 2022, la société Setelen, représentée par Me Brangier, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à la réformation de la décision contestée en fixant la sanction administrative en litige à un avertissement ;
3°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen soulevé par la ministre n'est pas fondé ;
- à titre subsidiaire, la décision contestée est entachée d'un vice de procédure, au regard des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail, faute pour le Direccte de s'être assuré de l'absence de poursuites pénales à son encontre avant de prendre la sanction administrative en litige ;
- le montant de la sanction administrative infligée par la décision contestée, au regard des dispositions des articles L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail, est disproportionné par rapport au manquement reproché et aux circonstances de l'espèce ; compte tenu de son comportement et de sa situation économique, seul un avertissement est justifié en l'espèce.
Par une ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 octobre 2022.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la décision du 22 avril 2020 méconnaît le champ d'application des dispositions de l'article L. 8115-1 (3°) du code du travail, dès lors que l'autorité administrative ne pouvait légalement, sur le fondement de ces dispositions, infliger à la société Setelen une amende pour absence de mise en place de documents de décompte de la durée du travail de certains salariés en vertu des dispositions de ce code relatives à une organisation selon des horaires non collectifs, alors que les salariés concernés travaillaient selon un horaire collectif.
La société Setelen a produit un mémoire en réponse à cette information, enregistré le 29 mai 2024, qui a été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Setelen exerce une activité d'installation de matériels téléphoniques et de communication et la construction et l'installation de réseaux électriques et de télécommunications. Le 4 octobre 2018, les services de l'inspection du travail de la Côte-d'Or ont procédé à un contrôle de l'établissement de cette société situé à Chevigny-Saint-Sauveur (21800) visant à vérifier la durée du temps de travail des salariés, au nombre de cinquante-sept, occupant des postes de monteur télécom. A l'issue de ce contrôle, qui s'est poursuivi ultérieurement par l'examen de pièces, un rapport a été établi le 14 juin 2019 et a été transmis au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) de Bourgogne-Franche-Comté, concluant à ce qu'une sanction administrative soit infligée à la société Setelen au motif que les salariés employés en qualité de monteur télécom n'étaient pas occupés selon un même horaire collectif, alors que leur durée de travail n'était pas décomptée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail. Suite à une procédure contradictoire débutée par un courrier du 3 septembre 2019, reçu le 19 suivant, le Direccte de Bourgogne-Franche-Comté a infligé à la société Setelen une sanction administrative d'un montant total de 39 900 euros, soit un montant unitaire de 700 euros multiplié par un nombre de cinquante-sept salariés concernés, sur le fondement des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail, pour absence de mise en place d'un dispositif de décompte de la durée du travail. La ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion relève appel du jugement du tribunal administratif de Dijon du 9 novembre 2021 ayant, sur demande de la société Setelen, annulé cette décision.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3171-1 du code du travail : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos. / (...). ". Aux termes de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / (...). ". Aux termes de son article L. 3171-3 : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. / La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 3171-4 de ce code : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. / (...). ". Aux termes de l'article D. 3171-1 de ce même code : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions des articles (...) relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires, et des heures de dérogation permanente (...). ". Aux termes de son article D. 3171-2 : " L'horaire collectif est daté et signé par l'employeur ou, sous la responsabilité de celui-ci, par la personne à laquelle il a délégué ses pouvoirs à cet effet. / Il est affiché en caractères lisibles et apposé de façon apparente dans chacun des lieux de travail auxquels il s'applique. Lorsque les salariés sont employés à l'extérieur, cet horaire est affiché dans l'établissement auquel ils sont attachés. ". Aux termes de l'article D. 3171-4 de ce code, dans sa rédaction applicable : " Un double de cet horaire collectif et des rectifications qui y sont apportées est préalablement adressé à l'inspecteur du travail. ". Aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. ".
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail, dont les agents de contrôle sont chargés, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 8112-1 du code du travail, de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail, de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié. Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, le cas échéant après conclusion d'un accord collectif, il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine.
4 Toutefois, il appartient à l'employeur d'arrêter le régime du temps de travail applicable au sein de l'établissement, le cas échéant, par catégorie de personnels, l'inspection du travail devant contrôler le respect de ce régime d'horaire et, le cas échéant, sanctionner les manquements aux obligations découlant de ce régime en vigueur.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / (...) / 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ; / (...). ".
6. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné. Par suite, les dispositions mentionnées au point précédent ne sauraient permettre à l'administration de sanctionner un employeur à raison d'un manquement à l'obligation, attachée à des horaires non collectifs, d'établir un décompte de la durée de travail de chaque salarié selon les modalités prévues en la matière par les textes cités au point 2, s'agissant de salariés dont le travail est organisé selon un horaire collectif.
7. Il résulte de l'instruction que, pour prendre la décision contestée, le Direccte de Bourgogne-Franche-Comté a notamment relevé que l'inspection du travail, lors du contrôle précédemment évoqué, avait constaté, par différents éléments, que si la société Setelen indiquait que ses cinquante-sept salariés occupant des postes de monteur télécom étaient soumis à des horaires collectifs de travail affichés au sein de l'entreprise, toutefois, compte tenu des conditions dans lesquelles ces derniers exerçaient leurs fonctions, ils ne pouvaient relever d'un horaire collectif de travail tel que visé à l'article D. 3171-1 précité, leur activité n'étant par nature pas compatible avec une telle organisation. Il a donc estimé qu'ainsi, la société était soumise à l'obligation d'établir des documents de décompte de la durée du travail en application des dispositions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 ci-dessus, ce qu'elle n'avait pas fait.
8. Toutefois, il apparaît que, en raison des principes rappelés au point 6, l'autorité administrative ne pouvait légalement, sur le fondement des dispositions de l'article L. 8115-1 (3°) du code du travail, infliger à la société Setelen, s'agissant de ses salariés exerçant comme monteur télécom dont l'activité était organisée selon un horaire collectif de travail affiché au sein des locaux, dont rien ne permet de dire qu'il n'aurait pas été adressé à l'inspection du travail, une sanction administrative fondée sur des manquements à l'obligation, mentionnée au point 3, de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des travailleurs ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail, ne bénéficiant pas de la faculté de remettre en cause la détermination, par la société, de l'horaire de travail existant au sein de l'établissement en cause en estimant qu'un régime plus adapté aux conditions de travail des salariés devait lui être substitué. Par suite, en prenant la décision contestée du 22 avril 2020, l'administration a méconnu le champ d'application des dispositions de l'article L. 8115-1 (3°) du code du travail, et cette décision doit donc être annulée.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête, que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 22 avril 2020 et mis à la charge de l'État une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Sa requête doit donc, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Setelen et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion est rejetée.
Article 2 : L'État versera une somme de 2 000 euros à la société Setelen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la société Setelen.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
Le rapporteur,
J. Chassagne
La présidente de la formation de jugement,
A. Duguit-LarcherLa greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY04246
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