Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... ... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la commune de ... à l'indemniser des conséquences dommageables résultant de l'effondrement d'un mur surplombant sa propriété par le versement des sommes de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, 20 000 euros au titre de son préjudice de jouissance, 6 912 euros TTC au titre de l'enlèvement des gravats et 20 000 euros TTC au titre de la remise en état de sa propriété et d'enjoindre au maire de la commune de ... de mettre en œuvre les travaux de nettoyage des gravats et de confortement du mur litigieux, ainsi que toute mesure indispensable à la mise en sécurité de l'ouvrage.
Par un jugement n° 1901183 du 15 septembre 2020, après avoir admis l'intervention de la société Areas Dommages, le tribunal administratif de Lyon a condamné la commune de Tournon-sur-Rhône à verser à M. B... une somme de 9 412 euros en réparation des préjudices subis, mis à la charge de la commune de ... le versement à M. B... d'une somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2020, et un mémoire, enregistré le 21 juillet 2021, la commune de ..., représentée par la SELARL Cabinet d'avocats Philippe Petit et Associés, agissant par Me Saban, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 15 septembre 2020 en tant qu'il a jugé que le mur litigieux est un accessoire de la voie communale et qu'il a condamné la commune de Tournon-sur-Rhône à verser à M. A... B... une somme de 9 412 euros en réparation des préjudices subis ;
2°) de rejeter la demande et les conclusions en appel de M. A... B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a retenu à tort que le mur correspond aux anciens remparts de la ville, alors qu'il s'agit du mur de clôture de la propriété acquise par M. B... ;
- le propriétaire privé d'un mur constituant l'accessoire indissociable d'une voie publique conserve la garde et la responsabilité de l'entretien de son bien ;
- les pièces apportées par M. B... ne permettent pas d'établir un lien de causalité entre l'effondrement du mur et une hypothétique opération de travaux publics qui aurait conduit à remblayer la voie publique ;
- les pluies du 13 au 14 septembre 2015 ont eu le caractère d'un évènement de force majeure ;
- l'absence d'entretien de l'ouvrage de la part de son propriétaire est de nature à limiter la responsabilité de la personne publique ;
- le lien de causalité entre les préjudices invoqués par M. B... et l'ouvrage public n'est pas établi et l'évaluation de ces préjudices devrait être ramenée à de plus justes proportion ;
- les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... en première instance se fondaient à tort sur l'article L. 911-1 du code de justice administrative et le principe d'immutabilité de la demande fait obstacle à ce qu'il se fonde en appel sur la décision du Conseil d'Etat n° 411462 du 18 mars 2019, relevant d'une autre cause juridique, et elles sont infondées dès lors que n'étant pas propriétaire de l'ouvrage, la persistance du dommage ne saurait lui être imputable ;
- les désordres n'ayant pas de caractère évolutif et l'ouvrage ne présentant pas de dangerosité, le tribunal administratif était fondé à rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées pour M. B....
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2021, M. A... B..., ayant pour avocat la SELARL Racine, agissant par Me Richard, conclut :
1°) au rejet de la requête et, par voie d'appel incident, à la réformation du jugement en condamnant la commune de ... à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice de jouissance et en enjoignant au maire de la commune de ... de mettre en œuvre les travaux de nettoyage des gravats et de confortement du mur litigieux et de prendre toute mesure qui se révélerait indispensable à la mise en sécurité de l'ouvrage, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en tant qu'il a condamné la commune à verser une somme de 6 912 euros TTC à M. B... ;
3°) de mettre à la charge de la commune de ... une somme de 2 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il expose que :
- la responsabilité sans faute de la commune de ... est engagée sur le fondement des dommages de travaux publics suite à l'effondrement du mur séparant le chemin des ... de sa propriété, dès lors que ce mur constitue l'accessoire d'un ouvrage public et que les préjudices subis présentent un caractère anormal et spécial ;
- la responsabilité de la commune est engagée en raison de l'illégalité fautive de la décision du 12 décembre 2018 en tant qu'elle rejette sa demande tendant à ce que le maire fasse usage de ses pouvoirs de police, compte tenu du risque de dangerosité du mur ;
- la prescription acquisitive ne peut s'appliquer ;
- il est fondé à réclamer la réformation du jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande indemnitaire ;
- ses conclusions à fin d'injonction sont fondées ;
- subsidiairement l'indemnisation des travaux d'enlèvement des gravats et de confortement du mur doit être confirmée ;
- aucun des moyens soulevés par la commune requérante n'est fondé.
La clôture de l'instruction a été fixée au 3 septembre 2021, par une ordonnance du 7 juillet 2021.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, il a été demandé aux parties, par une lettre du 7 mars 2023, de produire des pièces sur l'état actuel du mur séparant le jardin d'Eden du chemin des ....
La commune de ... a répondu à cette mesure d'instruction par un mémoire enregistré le 6 avril 2023.
M. B... a également répondu à cette mesure d'instruction par un mémoire enregistré le 6 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pourny, président de chambre,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Petit, représentant la commune de ..., et celles de Me Legendre, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est propriétaire d'un tènement immobilier supportant un jardin paysager ouvert au public situé sur le territoire de la commune de .... Ce jardin paysager, appelé " ... ", comprend une parcelle cadastrée ..., située en contrebas d'une voie communale dénommée " chemin des ... ", dont elle est séparée par un mur, d'une longueur totale de 135 mètres, composé de huit segments en pierres sèches ou en béton banché. Le 14 septembre 2015, un segment en pierres sèches d'une longueur d'environ 12 mètres s'est effondré sur la parcelle ..., entrainant dans sa chute divers matériaux de remblais situés en amont de cette parcelle. M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon la condamnation de la commune de ... à lui verser des sommes d'un montant total de 56 912 euros en réparation des préjudices qu'il a subis et d'enjoindre à la commune de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme aux causes de ce sinistre. La commune de ... interjette appel du jugement n° 1901183 du 15 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée à verser une somme de 9 412 euros à M. B... en réparation des préjudices qu'il a subis et, par voie d'appel incident, M. B... demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il a limité à 9 412 euros l'indemnisation de ses préjudices et rejeté ses conclusions à fin d'injonction.
Sur la responsabilité de la commune de ... :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
2. Si M. B... soutient que la responsabilité de la commune est engagée en raison de l'illégalité fautive de la décision du 12 décembre 2018 rejetant sa demande tendant à ce que le maire fasse usage de ses pouvoirs de police, compte tenu de la dangerosité du mur qui s'est partiellement effondré, il ne résulte pas de l'instruction que les caractéristiques de ce mur exigeaient la prise d'une mesure de police. Par suite, ce moyen doit être écarté.
En ce qui concerne la responsabilité pour dommage de travaux publics :
3. D'une part, en l'absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur de soutènement d'une voie publique doit être regardé comme un accessoire de cette voie publique, même s'il a aussi pour fonction de clore les parcelles qui la bordent.
4. D'autre part, le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
5. S'il résulte de l'instruction et notamment du compoix de 1648, produit par la commune pour la première fois en appel, que le mur en question n'appartenait pas aux anciens remparts de la ville, ce mur ayant été construit en 1525 pour servir de mur de clôture au parc d'un couvent de Cordeliers, il en résulte aussi, comme l'ont retenu les premiers juges, que des travaux d'élargissement du chemin des ..., par apport de matériaux de remblais au début des années 1970, lui ont conféré une fonction de mur de soutènement de cette voie communale qui a été réhaussée d'environ deux mètres. Dès lors, ce mur doit désormais être regardé comme un ouvrage public en tant qu'accessoire de la voie publique.
6. Il résulte également de l'instruction, et notamment d'un rapport d'expertise du 30 janvier 2019 réalisé à la demande du conseil de M. B... et , que la dégradation du mur, sur toute sa longueur, résulte principalement de la poussée des matériaux de remblais, accessoirement accentuée par une poussée hydrostatique liées aux eaux pluviales et de ruissellement. Le dommage, ainsi lié à un défaut de conception de l'ouvrage public qu'est le chemin des ..., présente par suite le caractère d'un dommage accidentel de travaux publics.
7. Si la commune fait valoir que les pluies du 13 au 14 septembre 2015 ont présenté une grande violence avec des précipitations intenses qui ont nécessairement eu un rôle dans la survenance du dommage, il ne résulte pas de l'instruction que ces pluies, qui ne présentaient pas un caractère imprévisible, aient constitué un évènement de force majeure. Dès lors, la circonstance qu'elles aient pu avoir un rôle secondaire dans l'effondrement de l'ouvrage est sans incidence sur l'étendue de la responsabilité de la commune.
8. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que l'effondrement partiel du mur soit lié à une faute de la victime. Dès lors, la commune de ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a tenue pour intégralement responsable des dommages subis par M. B....
Sur les préjudices subis par M. B... :
9. En ce qui concerne le préjudice moral, évalué à 500 euros par les premiers juges, la commune soutient que le lien de causalité entre l'effondrement du mur sur la propriété de la victime et les signes de dépression dont a souffert M. B... n'est pas établi, alors que M. B..., qui sollicite comme en première instance une somme de 10 000 euros à ce titre, soutient qu'il a été profondément affecté par l'absence de réaction des pouvoirs publics, l'existence d'un manque à gagner et la potentielle dangerosité du site pour les visiteurs. Eu égard au rôle de M. B..., directeur jardinier, dans l'aménagement du site en vue de son ouverture au public et à l'importance de ses craintes concernant l'évolution de l'ouvrage, il y a lieu d'évaluer le préjudice moral subi par M. B... à un montant de 2 000 euros.
10. En ce qui concerne le préjudice de jouissance, M. B..., qui demande 20 000 euros à ce titre comme en première instance, soutient que le montant de 2 000 euros qui lui a été accordé par les premiers juges est largement sous-évalué, dans la mesure ou l'amoncèlement de gravats ne le prive pas seulement de la jouissance d'une partie de sa propriété, mais est à l'origine d'un risque de chute de pierres sur les parties aménagées de son jardin, alors que la commune soutient que ce préjudice n'est pas établi, dès lors que l'emplacement concerné était inutilisé, situé à l'écart du circuit de visite et que l'exploitation du lieu relève d'une association. Il résulte de l'instruction que les gravats sont tombés sur une partie difficilement accessible de la propriété de M. B... et que cette partie, d'une superficie limitée à quelques dizaines de mètres carrés, n'a pas fait l'objet d'un aménagement particulier. Il n'est en outre pas établi que les gravats créent un risque préjudiciable à l'exploitation du reste de la propriété de l'intéressé. Dès lors, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'exploitation du site ait été confié à une association, il sera fait une juste évaluation du préjudice de jouissance de l'intéressé en retenant, comme l'ont fait les premiers juges, un montant de 2 000 euros à ce titre.
11. En ce qui concerne le préjudice lié à l'enlèvement des gravats, si la commune de ... soutient que la somme de 6 912 euros, fixée dans le jugement qu'elle conteste, devra être réduite à de plus justes proportions au regard des circonstances particulières de l'espèce et des causes exonératoires de responsabilité qu'elle soulève, M. B... ne maintient ses conclusions qu'à titre subsidiaire, en demandant à titre principal qu'il soit enjoint à la commune de faire procéder aux travaux de nettoyage nécessaires. Comme M. B... ne justifie pas avoir été dans l'impossibilité de faire effectuer les travaux de nettoyage nécessaires avec l'indemnisation qui lui a été accordée par les premiers juges, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la commune de procéder à ces travaux et comme la commune ne précise pas quelles circonstances particulières devraient conduire la cour à s'écarter des devis retenus par les premiers juges, les causes exonératoires qu'elle invoque étant en outre infondées ainsi qu'il a été exposé précédemment, il n'y a pas lieu de modifier l'évaluation des premiers juges pour ce chef de préjudice.
12. Il résulte de tout ce qui précède que si la commune de ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée à indemniser M. B... des préjudices résultant de la chute d'un segment de mur sur sa propriété, M. B... est fondé à demander que la condamnation prononcée à son profit soit portée d'un montant de 9 412 euros à un montant de 10 912 euros.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. D'une part, aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". D'autre part, indépendamment de ces dispositions, la personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires. En l'espèce, si M. B... demande, en complément de ses conclusions indemnitaires fondées sur l'indemnisation d'un dommage de travaux publics, qu'il soit enjoint à la commune de ... de procéder au confortement du mur litigieux et à toute mesure qui se révèlerait indispensable à la mise en sécurité de l'ouvrage, il résulte de l'instruction qu'il n'avait pas présenté de telles conclusions en première instance, ces conclusions à fin d'injonction étant alors présentées, sur le seul fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, en tant que conclusions accessoires à sa demande relative à l'usage par le maire de ... de ses pouvoirs de police. Dès lors, la commune de ... est fondée à soutenir que ces conclusions sont nouvelles en appel et qu'elles doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. La commune de ... étant partie perdante dans la présente instance, les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne pourront qu'être rejetées et, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La somme que la commune de ... a été condamnée à verser à M. B... par l'article 2 du jugement attaqué est portée d'un montant de 9 412 euros à un montant de 10 912 euros.
Article 2 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Une somme de 2 000 euros est mise à la charge de la commune de ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de ..., à M. A... B... et à la société Areas Dommages.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
Le président-rapporteur,
F. Pourny
Le président-assesseur,
H. Stillmunkes
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au préfet de l'Ardèche, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY03424