Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Alizé a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite née le 3 juillet 2020 par laquelle le maire de la commune de Chens-sur-Leman a rejeté sa demande tendant au retrait de la décision de non-opposition à déclaration préalable du 11 juin 2019 autorisant la réalisation d'un terrain multisports.
Par un jugement n° 2006417 du 11 décembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 février et 7 juin 2024, la société Alizé, représentée par la Selarl CDMF-avocats affaires publiques, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 décembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler la décision implicite née le 3 juillet 2020 par laquelle le maire de la commune de Chens-sur-Leman a rejeté sa demande tendant au retrait de la décision de non-opposition à déclaration préalable du 11 juin 2019 autorisant la réalisation d'un terrain multisports ;
3°) d'enjoindre au maire de la commune de Chens-sur-Leman de produire l'acte de donation effectuée à son bénéfice par M. B... ;
4°) d'enjoindre au maire de la commune de Chens-sur-Leman de retirer cette décision de non-opposition, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Chens-sur-Leman la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a un intérêt à agir au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, le projet étant situé à 212 mètres de sa propriété et induisant des nuisances sonores, lumineuses et de stationnement ayant un impact sur les conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien, qui est d'exception, et qui sera dévalorisé ;
- la décision de non-opposition est frauduleuse en ce que la commune a indiqué avoir qualité à déposer sa déclaration préalable alors que les propriétaires étaient alors opposés à toute vente amiable, que la procédure d'expropriation n'était pas encore achevée et qu'elle ne portait au surplus pas sur la parcelle cadastrée section B n° A... ;
- elle est également frauduleuse en ce qu'elle indique un abattage d'arbres ayant entre 0 et 20 ans dans le but de se soustraire à l'obligation d'obtenir une autorisation de défrichement, et alors que ces arbres ont plus de trente ans ; que cette autorisation préalable aurait pu en l'espèce être refusée, eu égard aux protections environnementales existant dans la zone ;
- que la commune a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne procédant pas au retrait sollicité, eu égard à la gravité de ces fraudes et des divers intérêts en présence.
Par un mémoire, enregistré le 28 mai 2024 et un mémoire enregistré le 13 juin 2024 et non communiqué, la commune de Chens-sur-Léman, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a jugé à bon droit que la demande de première instance était irrecevable, la société requérante n'ayant pas un intérêt à agir ;
- les moyens soulevés par la société Alizé ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mehl-Schouder, présidente-rapporteure ;
- les conclusions de Mme Mauclair, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Hourlier, pour la société Alizé, et de Me Mathieu, substituant Me Petit pour la commune de Chens-sur-Léman.
1. La commune de Chens-sur-Léman a déposé le 11 avril 2019 une déclaration préalable portant sur l'aménagement d'un terrain multisports sur les parcelles cadastrées section B C... et A... situées dans le secteur " sur les Crêts " et classées en zone AUEps (zone pouvant accueillir des équipements sportifs). Le maire de la commune de Chens-sur-Léman, par une décision du 11 juin 2019, devenue définitive, ne s'est pas opposé à cette déclaration préalable. Le 23 mai 2019, le préfet de la Haute-Savoie a déclaré d'utilité publique les acquisitions de terrains et les travaux nécessaires, et les terrains ont été acquis par voie amiable, par un acte authentique du 9 août 2019. Par un courrier du 3 juillet 2020, reçu le 9 juillet 2020 en mairie, la société Alizé a demandé au maire de Chens-sur-Léman de retirer la décision de non-opposition à déclaration préalable du 11 juin 2019, et sa demande a été implicitement rejetée. Par un jugement du 11 décembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce refus implicite, sur le fondement de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, en ce qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. La société Alizé relève appel de ce jugement.
2. D'une part, ainsi que le prévoit l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, la circonstance qu'un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l'autorité administrative compétente de l'abroger ou de le retirer à tout moment, mais elle ne proroge pas le délai du recours contentieux. Un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.
3. D'autre part, l'intérêt pour agir des tiers contre une décision de rejet de leur demande de retrait pour fraude d'un arrêté de non-opposition à déclaration préalable est subordonné à la reconnaissance de leur intérêt à agir à l'encontre de cette déclaration préalable.
4. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
6. En l'espèce, le terrain multisports est projeté sur les parcelles cadastrées section B n° 1321 à 1326 et A..., au lieu-dit " sur les Crêts ", à proximité de l'urbanisation existante. Il porte sur la pose de clôtures sportives (hauteur de 1,10 mètre et de 2 mètres) et de pare-ballons (hauteur de 6 mètres), ainsi que de clôtures pour l'enceinte sportive (hauteur de 1,60 mètre), de portails et portillons, de quatre mâts d'éclairage avec quatre projecteurs chacun (hauteur de 18 mètres hors sol), et sur la réalisation d'un terrain de football en gazon synthétique, de trottoirs périphériques en enrobé noir avec bordures et caniveaux et d'un parking de vingt places en graves le long du chemin sur les Crêts incluant les terrassements. D'une part, les pièces du dossier ne permettent, en tout état de cause, pas d'établir que ce terrain se trouverait au sein de zones protégées proches, comme la zone Natura 2000 ou la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), ou qu'il serait susceptible de porter atteinte à un site ou monument protégé. D'autre part, il est constant qu'il est distant d'environ 210 mètres à vol d'oiseau de la maison d'habitation située, au sud-ouest, sur le tènement appartenant à la société Alizé et constitué des parcelles cadastrées section C D..., et il ressort des photographies produites et des données librement disponibles sur les sites internet Google Maps et Géoportail de l'urbanisme, qu'il en est séparé par la route du Lac et un important massif forestier se trouvant le long du ruisseau des Léchères. Si la société Alizé craint, en raison de la nature du projet, de subir lors des rencontres sportives des nuisances visuelles liées à la présence des projecteurs, ou sonores, le stade pouvant contenir de 100 à 150 personnes, elle n'apporte aucune justification à l'appui de ses allégations, et ces nuisances ne seraient au demeurant que limitées dans le temps. Le projet en litige est par ailleurs situé le long du chemin des Crêts, lui-même desservi au nord par la rue de l'Egalité, et il ne ressort pas de cette configuration qu'il induirait des nuisances liées à un accroissement particulier de la circulation sur la route du Lac (RD 20) située au sud et qui ne dessert pas ce terrain multisports. Le projet prévoit également des stationnements, en plus de ceux existants à proximité de l'espace polyvalent et de la maison des associations, et les pièces du dossier ne permettent pas d'établir, eu égard à la desserte du projet, que les rencontres sportives généreraient des stationnements anarchiques conséquents le long de la route du Lac. Enfin, la société requérante n'établit pas plus, dans ces conditions et en tout état de cause, la dévalorisation alléguée de son bien. Il ne ressort dès lors pas des pièces du dossier que l'aménagement de ce terrain multisport serait de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Alizé n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 11 décembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande comme irrecevable.
8. Les conclusions présentées par la société Alizé sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Chens-sur-Léman, qui n'est pas la partie perdante, ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de la société Alizé, au bénéfice de la commune de Chens-sur-Léman, au titre de ces mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Alizé est rejetée.
Article 2 : La société Alizé versera la somme de 2 000 euros à la commune de Chens-sur-Léman au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alizé et à la commune de Chens-sur-Leman.
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
La présidente-rapporteure,
M. Mehl-SchouderLa présidente-assesseure,
A. Evrard
La greffière,
F. Prouteau La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 24LY00300 2