Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler les décisions du 14 novembre 2022 par lesquelles le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Isère, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Par un jugement n° 2208275 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Huard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2208275 du 4 mai 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler les décisions du 14 novembre 2022 par lesquelles le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer, sous huitaine, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnait les dispositions de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle bénéficiait d'une ordonnance de protection à la date du dépôt de sa demande de titre de séjour et avait déposé plainte à l'encontre du père de ses enfants ;
- les décisions attaquées méconnaissent en outre les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intérêt supérieur de ses enfants et sont entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur sa situation personnelle.
Le préfet de l'Isère, régulièrement mis en cause, n'a pas produit.
Par une décision du 23 août 2023, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,
- et les observations de Me Huard, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante algérienne née le 5 juillet 1990, est entrée en France sous couvert d'un titre de séjour délivré par les autorités italiennes. Le 28 décembre 2021, elle a déposé plainte contre son époux pour violences conjugales. Le 15 février 2022, elle a bénéficié d'une ordonnance de protection délivrée en application de l'article 515-9 du code civil. Le 26 avril 2022, elle a demandé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 novembre 2022, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée d'office. Par le jugement attaqué du 4 mai 2023, dont Mme A... interjette appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui bénéficie d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil, en raison des violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin se voit délivrer, dans les plus brefs délais, une carte de séjour temporaire mention " vie privée familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. Une fois arrivée à expiration elle est renouvelée de plein droit à l'étranger qui continue à bénéficier d'une telle ordonnance de protection. Lorsque l'étranger a porté plainte contre l'auteur des faits elle est renouvelée de plein droit pendant la durée de la procédure pénale afférente, y compris après l'expiration de l'ordonnance de protection. "
3. Les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissante algérienne ne peut, par suite, utilement invoquer les dispositions précitées de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoient la délivrance dans les plus brefs délais d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à l'étranger qui, ne présentant pas une menace pour l'ordre public, bénéficie d'une ordonnance de protection en en vertu de l'article 515-9 du code civil, en raison des violences exercées au sein du couple, il appartient toutefois au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient alors au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens par une ressortissante algérienne, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée sur la situation personnelle de l'intéressée.
4. D'une part, il résulte de ce qui précède que Mme A... ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne lui sont pas applicables.
5. D'autre part, si Mme A... a été victime de violences conjugales et placée sous ordonnance de protection par une décision du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Grenoble du 15 février 2022 pour une durée de six mois, il est constant qu'elle ne bénéficiait plus, à la date de l'arrêté attaqué, de la protection prévue par l'article 515-9 du code civil. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la plainte déposée par Mme A... à l'encontre de son époux pour violences conjugales le 28 décembre 2021 a donné lieu, le 23 avril 2022, à un rappel à la loi par le délégué du procureur de la République et qu'ainsi la procédure pénale était close à la date de l'arrêté contesté, sans que le juge pénal n'ait infligé de peine assortie de mesures définitives de protection. Compte tenu de ces éléments, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée sur la situation personnelle de l'intéressée en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de son pouvoir discrétionnaire.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
7. Mme A... se prévaut de sa présence de France depuis 2017, de la naissance en France de deux de ses trois enfants, respectivement en mai 2018 et juillet 2020, et de la circonstance que l'ainée, née en Algérie le 6 janvier 2016, et la seconde, née en France le 22 mai 2018, sont scolarisées en France. Toutefois, Mme A... n'établit pas être isolée en Algérie où résident ses parents et ses cinq frères et sœurs et aucune circonstance ne s'oppose, compte tenu notamment de l'âge des enfants concernés, à ce qu'ils poursuivent leur scolarité dans ce pays. Par ailleurs, la circonstance que Mme A... a créée, le 12 décembre 2022, soit postérieurement à l'arrêté attaqué, une entreprise dans le nettoyage courant des bâtiments n'est pas de nature à démontrer, à elle seule, une insertion particulière dans la société française. Si elle soutient que ces enfants ont besoin de stabilité eu égard à la situation de violence conjugale dont ils ont été les témoins, Mme A... ne démontre pas que la reconstitution de sa cellule familiale en Algérie où ils disposent d'attaches familiales leur serait préjudiciable. Dans ces conditions le préfet de l'Isère n'a pas porté au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et en prenant à son encontre une décision l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants, protégés par l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant, doivent être écartés.
8. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, Mme A... n'est pas n'est pas fondée à soutenir que le préfet de l'Isère aurait entaché les décisions contestées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur sa situation personnelle.
9. Il résulte de tout ce qui précède, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
H. Stillmunkes
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02859