Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 21 mars 2023 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2302959 du 25 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 août 2023, M. A..., représenté par Me Hmaida, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juillet 2023 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions de la préfète du Rhône du 21 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocate d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision méconnaît l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- en estimant que son visa avait été obtenu par fraude, la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation ; en écartant un acte qui n'avait pas été préalablement abrogé ni retiré, elle a commis une erreur de droit ;
- le refus de lui délivrer une carte de séjour viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ce refus est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
La requête a été communiquée à la préfète du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né en 1988, est entré en France le 4 avril 2021 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour valant titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", expirant le 30 mars 2022. Le 28 juillet 2022, il a sollicité la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement du premier alinéa de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 visé ci-dessus, de l'article 7 quater du même accord et de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il relève appel du jugement du 25 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 21 mars 2023 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ". Si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l'autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l'ensemble des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin.
3. En l'espèce, d'une part, si l'administration n'a pas procédé au retrait du visa de long séjour délivré à M. A... afin de lui permettre de rejoindre son épouse française, ce visa avait expiré à la date à laquelle le requérant a déposé sa demande de délivrance d'un nouveau titre de séjour. Le moyen tiré de ce qu'en écartant ce visa pour fraude, la préfète aurait commis une erreur de droit doit dès lors être écarté.
4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... a épousé en Tunisie, le 22 décembre 2020, une ressortissante française. Il ne ressort pas de la seule circonstance qu'entré sur le territoire français le 4 avril 2021 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour valant carte de séjour qui lui avait été délivré pour rejoindre son épouse, le requérant a déclaré être séparé de son épouse française depuis le 11 mai 2021 soit à peine plus d'un mois après son arrivée sur le territoire français, que le mariage avait un caractère frauduleux. Toutefois, il résulte de l'instruction que la préfète du Rhône aurait pris la même décision si elle ne s'était pas fondée sur le caractère frauduleux du mariage du requérant. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'en retenant une telle fraude, la préfète aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, ne peut être accueilli.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 visé ci-dessus : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention " salarié ". (...) ". Aux termes de l'article 11 de ce même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".
6. Il résulte des stipulations de l'accord franco-tunisien citées ci-dessus que celui-ci renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord. Les stipulations de l'article 3 de cet accord ne traitent que de la délivrance d'un titre de séjour pour exercer une activité salariée et cet accord ne comporte aucune stipulation relative aux conditions d'entrée sur le territoire français des ressortissants tunisiens. Par conséquent, les dispositions de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui subordonnent de manière générale la délivrance de toute carte de séjour à la production par l'étranger d'un visa de long séjour, sont applicables aux ressortissants tunisiens sollicitant un titre de séjour portant la mention " salarié ". Ainsi, en refusant la délivrance de la carte de séjour qu'il sollicitait à M. A..., dont le visa de long séjour avait expiré à la date de sa demande, la préfète du Rhône n'a pas méconnu l'article 3 de l'accord franco-tunisien.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants tunisiens en vertu de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien, dispose par ailleurs que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
8. M. A... fait valoir qu'il travaillait en France dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, s'était particulièrement bien intégré auprès de ses collègues de travail, disposait de son propre logement et d'un permis de conduire français. Toutefois, entré en France peu avant l'âge de trente-trois ans, il y résidait depuis moins de deux ans à la date de la décision attaquée. Séparé de son épouse française, il n'a pas d'enfant à charge et n'allègue pas être dépourvu d'attaches en Tunisie, où il a passé l'essentiel de sa vie. Dans ces circonstances, le refus de lui délivrer un titre de séjour n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit dès lors être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
10. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 435-1 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, même sans texte, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
11. En l'espèce, d'une part, il résulte de ce qui a été exposé au point 8 ci-dessus qu'en estimant que M. A... ne faisait état ni de circonstances humanitaires ni de motifs exceptionnels justifiant qu'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " lui soit délivrée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Rhône n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
12. D'autre part, M. A... fait valoir qu'il occupe depuis le mois de juillet 2021 un emploi de préparateur de commandes / magasinier à temps complet, qu'il est employé à temps indéterminé et qu'une autorisation de travail lui a été délivrée. Toutefois, en estimant qu'il ne faisait état d'aucun motif exceptionnel justifiant qu'une carte de séjour portant la mention " salarié " lui soit délivrée, la préfète du Rhône n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, comme indiqué ci-dessus, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. A... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de ce refus de titre doit être écarté.
14. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 8 ci-dessus, M. A..., n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :
15. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, M. A... n'est pas fondé à exciper de son illégalité à l'encontre de la décision portant fixation du pays de destination de cette mesure d'éloignement.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
17. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles de son conseil tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2024.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02670