Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 28 février 2023 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2302354 du 25 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 11 août 2023, M. B..., représenté par la SELARL Lozen Avocats, agissant par Me Messaoud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juillet 2023 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions de la préfète du Rhône du 28 février 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- le tribunal a jugé à tort que ce refus était suffisamment motivé ; la motivation de ce refus ne lui permet pas de s'assurer que la préfète du Rhône a examiné la particularité de sa situation ;
- le tribunal a écarté à tort son moyen tiré d'une erreur de droit, la préfète du Rhône ne pouvant écarter au motif d'une fraude le titre de séjour qui lui avait été précédemment délivré, sans avoir d'abord procédé à son retrait ou à son abrogation ; le refus est ainsi entaché d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 3 de l'accord franco-tunisien ;
- cette décision méconnaît en outre l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
La requête a été communiquée à la préfète du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né en 1990, est entré en France le 24 décembre 2020, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour valant titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", expirant le 3 décembre 2021. Le 11 janvier 2022, il a sollicité la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement des articles 3 et 7 quater de l'accord franco-tunisien visé ci-dessus. Il relève appel du jugement du 25 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 28 février 2023 par lesquelles la préfète du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision attaquée cite les articles 3 et 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Elle expose que M. B... est entré en France le 24 décembre 2020 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour qu'il avait sollicité en tant que conjoint d'une Française résidant en Haute-Garonne, mais que deux mois après il résidait avec sa sœur dans le Rhône, et qu'en octobre 2021 il a divorcé par consentement mutuel. La décision en déduit qu'en l'absence de véritable intention matrimoniale, le visa, obtenu par fraude, n'a pu créer de droit et que l'intéressé ne remplissait ainsi pas les conditions pour la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement de l'article 3 de l'accord. La décision expose ensuite que le requérant, entré récemment en France à l'âge de trente-deux ans, est célibataire et sans enfant à charge, qu'il ne justifie pas d'une vie privée et familiale ancienne sur le territoire français, où il invoque la seule présence de l'une de ses sœurs, et n'est pas démuni d'attaches en Tunisie, où vivent ses parents, une sœur et un frère. Cette décision expose ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles est fondé le refus de délivrance d'un titre de séjour, conformément aux articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen tiré de ce que ce refus serait insuffisamment motivé ne peut dès lors être accueilli. Il ressort en outre de cette motivation que ce refus a été opposé après un examen de la situation personnelle de M. B....
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ". Si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l'autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l'ensemble des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin.
4. En l'espèce, d'une part, si l'administration n'a pas procédé au retrait du visa de long séjour délivré à M. B... afin de lui permettre de rejoindre son épouse française, ce visa avait expiré à la date à laquelle le requérant a déposé sa demande de délivrance d'un nouveau titre de séjour. Les moyens tirés de ce qu'en écartant ce visa pour fraude, la préfète aurait fondé sa décision sur des faits inexacts et commis une erreur de droit doivent dès lors être écartés.
5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a épousé en Tunisie, le 15 juillet 2020, une ressortissante française. Il ne ressort pas de la seule circonstance qu'entré sur le territoire français le 24 décembre 2020 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour valant carte de séjour qui lui avait été délivré pour rejoindre son épouse, il a emménagé avec sa sœur à Villeurbanne dès le mois de février 2021, et que le couple a divorcé par consentement mutuel le 18 octobre 2021, que le mariage avait un caractère frauduleux. Toutefois, il résulte de l'instruction que la préfète du Rhône aurait pris la même décision si elle ne s'était pas fondée sur le caractère frauduleux du mariage du requérant. Dès lors, le moyen tiré de ce que la préfète aurait fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts ne peut être accueilli.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 visé ci-dessus : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention "salarié". (...) ". Aux termes de l'article 11 de ce même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".
7. Il résulte des stipulations de l'accord franco-tunisien citées ci-dessus que celui-ci renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord. Les stipulations de l'article 3 de cet accord ne traitent que de la délivrance d'un titre de séjour pour exercer une activité salariée et cet accord ne comporte aucune stipulation relative aux conditions d'entrée sur le territoire français des ressortissants tunisiens. Par conséquent, les dispositions de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui subordonnent de manière générale la délivrance de toute carte de séjour à la production par l'étranger d'un visa de long séjour, sont applicables aux ressortissants tunisiens sollicitant un titre de séjour portant la mention " salarié ". Ainsi, en refusant la délivrance de la carte de séjour qu'il sollicitait à M. B..., dont le visa de long séjour avait expiré à la date de sa demande, la préfète du Rhône n'a pas méconnu l'article 3 de l'accord franco-tunisien.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants tunisiens en vertu de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien, dispose par ailleurs que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
9. M. B... fait valoir qu'il résidait en France depuis deux ans à la date de la décision attaquée, y travaille et y a ancré ses attaches sociales et amicales. Toutefois, il est entré en France à l'âge de trente ans pour y rejoindre son épouse française, dont il a depuis divorcé, et n'a pas d'enfant à charge. Il n'allègue pas être dépourvu d'attaches familiales en Tunisie, pays où il a vécu l'essentiel de sa vie et où résident notamment ses parents, l'une de ses sœurs et son frère. Dans ces circonstances, le refus de lui délivrer une carte de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien doit dès lors être écarté. Pour les mêmes motifs, le refus contesté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, comme indiqué ci-dessus, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. B... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de ce refus de titre de séjour doit être écarté.
11. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9 ci-dessus, cette mesure d'éloignement ne viole pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :
12. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale, M. B... n'est pas fondé à exciper de son illégalité à l'encontre de la décision portant fixation du pays de destination de cette mesure d'éloignement.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
14. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2024.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY02642