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26/06/2024 | FRANCE | N°23LY00074

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 26 juin 2024, 23LY00074


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble 1°) de prescrire une expertise médicale, 2°) d'annuler les décisions des 15 et 25 mai 2020 par lesquelles le directeur du centre hospitalier de Valence l'a placée en congé maladie ordinaire, à plein traitement à compter du 22 janvier 2020 puis à mi-traitement à compter du 21 avril 2020 et la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, 3°) d'enjoindre au centre hospitalier de reconstituer sa car

rière sur la base d'un poste de secrétaire médicale (catégorie B) plutôt que d'aide-soig...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble 1°) de prescrire une expertise médicale, 2°) d'annuler les décisions des 15 et 25 mai 2020 par lesquelles le directeur du centre hospitalier de Valence l'a placée en congé maladie ordinaire, à plein traitement à compter du 22 janvier 2020 puis à mi-traitement à compter du 21 avril 2020 et la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, 3°) d'enjoindre au centre hospitalier de reconstituer sa carrière sur la base d'un poste de secrétaire médicale (catégorie B) plutôt que d'aide-soignante et de lui accorder le bénéfice d'un plein traitement jusqu'à l'attribution d'un poste de travail adapté, 4°) de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 65 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la faute de l'administration et du préjudice réparé autrement que forfaitairement.

Par un jugement n° 2006150 du 25 octobre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 9 janvier 2023 et un mémoire enregistré le 20 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Scholaert (AARPI Scholaert et Ivanovitch Avocats), demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 25 octobre 2022 ;

2°) de prescrire une expertise médicale ;

3°) d'annuler les décisions des 15 et 25 mai 2020 par lesquelles le directeur du centre hospitalier de Valence l'a placée en congé maladie ordinaire, à plein traitement à compter du 22 janvier 2020 puis à mi-traitement à compter du 21 avril 2020, et la décision implicite portant rejet de son recours gracieux ;

4°) d'enjoindre au centre hospitalier de la placer rétroactivement en congé pour invalidité temporaire imputable au service depuis le 22 janvier 2020 et de reconstituer sa carrière jusqu'à l'attribution d'un poste de travail adapté, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5°) de condamner le centre hospitalier à l'indemniser des préjudices subis à raison de son accident de service du 3 décembre 2013 et de sa rechute, sur le fondement de la responsabilité pour faute ; à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier à l'indemniser sur le fondement de la responsabilité sans faute ; de réserver la fixation du montant de l'indemnité dans l'attente du rapport de l'expertise ;

6°) de condamner le centre hospitalier à lui verser 25 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa violation de l'obligation de sécurité et du harcèlement moral dont elle a été victime ;

7°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Valence une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les conclusions des expertises versées au dossier ne sont pas concordantes et une expertise contradictoire est nécessaire ; celle-ci est également nécessaire pour qu'elle puisse préciser ses conclusions indemnitaires sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

- ses arrêts de travail étant imputables au service, et le conseil médical ne s'étant pas prononcé sur la date de consolidation de son état, elle relevait d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service ; la consolidation de son état n'implique pas nécessairement la fin des soins, et donc celle du congé pour invalidité temporaire imputable au service ;

- sa chute le 3 décembre 2013 a été causée par une méconnaissance de l'obligation de sécurité ; sa rechute a été causée par l'absence de proposition d'un poste de travail adapté ; le centre hospitalier a ainsi commis des fautes de nature à engager sa responsabilité ;

- à tout le moins, la responsabilité de l'établissement est engagée sans faute du fait de son accident imputable au service ;

- le tribunal a omis de statuer sur ses préjudices personnels résultant des lésions physiques dont elle est atteinte ;

- elle a subi un préjudice professionnel, consistant en une incapacité temporaire partielle, une incapacité permanente partielle, les souffrances endurées, un préjudice esthétique et un préjudice d'agrément ; elle a par ailleurs subi une perte de revenus professionnels et un préjudice d'incidence professionnelle ;

- elle a été victime d'un harcèlement moral et de discrimination ;

- le harcèlement moral et le défaut de protection de sa santé et de sa sécurité au travail lui ont causé un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence.

Par des mémoires en défense enregistrés le 25 mai 2023 et le 4 janvier 2024, le centre hospitalier de Valence, représenté par la SELARL d'avocats Fayol et associés, agissant par Me Blanc, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme B... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- Mme B..., qui n'avait formulé en première instance à l'appui de ses conclusions d'excès de pouvoir qu'un moyen de légalité externe, tiré d'un vice de procédure, n'est pas recevable à invoquer en appel un moyen tiré d'une erreur de droit, lequel relève d'une autre cause juridique ;

- les préjudices antérieurs à l'accident de 2013 sont couverts par la prescription ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 15 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Scholaert, représentant Mme B..., et celles de Me Breysse, représentant le centre hospitalier de Valence ;

Mme B... a produit une note en délibéré, qui a été enregistrée le 14 juin 2024.

Le centre hospitalier de Valence a produit une note en délibéré qui a été enregistrée le 18 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., employée par le centre hospitalier de Valence en qualité d'agente contractuelle depuis 1998, a été titularisée dans le corps des aides-soignants en décembre 2002. Suite à un accident de service survenu en 2007, le médecin du travail a préconisé l'aménagement de son poste et elle a été affectée à des fonctions de secrétariat avec un matériel adapté. Victime d'un nouvel accident reconnu imputable au service le 3 décembre 2013, elle a été placée en arrêt de travail jusqu'à sa reprise le 1er février 2016 en temps partiel thérapeutique. Un arrêt de travail lui a de nouveau été prescrit à compter du 29 février suivant, qui a ensuite été prolongé de manière continue. Par des décisions des 15 et 25 mai 2020, le centre hospitalier de Valence l'a placée en congé de maladie ordinaire à plein traitement à compter du 22 janvier 2020, puis à demi traitement à compter du 21 avril 2020. Le recours gracieux formé par l'intéressée a été implicitement rejeté. Par ailleurs, par une lettre du 10 septembre 2020, l'avocat du centre hospitalier l'a informée du refus de celui-ci de faire droit à sa demande de versement d'une indemnité en réparation des préjudices dont elle soutenait avoir été victime en conséquence de son dernier accident de service et des fautes de son employeur. Mme B... relève appel du jugement du 25 octobre 2022 par laquelle le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 15 et 25 mai 202 ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et à la condamnation du centre hospitalier de Valence à l'indemniser.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Mme B... soutient que les premiers juges ont omis de statuer sur l'indemnisation des préjudices personnels subis par elle au niveau physique suite à l'accident dont elle a été victime. Toutefois, la requérante ne demandait en première instance que l'indemnisation d'un " préjudice professionnel autre que réparé forfaitairement " ainsi que d'un préjudice moral. Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait omis de statuer sur une partie de ses conclusions doit dès lors être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :

3. En premier lieu, à l'appui des conclusions à fin d'annulation dont elle avait saisi le tribunal administratif de Grenoble, Mme B... a soulevé dès la demande introductive d'instance un moyen tiré de ce que son état de santé était imputable au service. La fin de non-recevoir tirée par le centre hospitalier de Valence de ce que faute d'avoir soulevé un moyen de légalité interne dans le délai de recours, la requérante ne serait pas recevable à invoquer en appel un moyen tiré de ce que les décisions du 15 et 25 mai 2020 sont entachées d'erreur de droit, doit par suite être écartée.

4. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 visée ci-dessus, issu de l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 : " Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service (...) Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite (...) ".

5. La date de consolidation des séquelles d'un accident de service correspond au moment où ces lésions se fixent et acquièrent un caractère permanent, ce qui permet alors d'apprécier un taux d'incapacité permanente partielle qui a résulté de cet accident. La consolidation de l'état de santé ne peut, en revanche, être assimilée à la guérison et ne constitue pas davantage une circonstance impliquant nécessairement la fin des soins nécessités par cet accident. Dès lors, en plaçant Mme B... en congé de maladie ordinaire à plein puis à demi traitement au motif que son état de santé était consolidé, le centre hospitalier de Valence a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions des 15 et 25 mai 2020, ainsi que de la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Eu égard à son motif, l'annulation des décisions administratives attaquées n'implique pas nécessairement que le centre hospitalier de Valence place Mme B... en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 22 janvier 2020 et procède à une reconstitution de sa carrière, mais seulement qu'il prenne une nouvelle décision sur son cas. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent dès lors être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'expertise :

8. Mme B... a été soumise à plusieurs expertises par des médecins agréés. Dans ces circonstances, alors même que les conclusions des experts divergent sur certains points, les éléments produits devant la cour permettent d'apprécier avec exactitude les causes des pathologies dont souffre la requérante, ainsi que la réalité et l'étendue de l'ensemble des préjudices indemnisables. Dès lors, il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise médicale.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

9. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires visée ci-dessus, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ". Aux termes de l'article 6 quinquies de la même loi, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discrimination ou d'agissements constitutifs de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination et à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la discrimination ou les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

10. En l'espèce, pour soutenir qu'elle a été victime de harcèlement moral et de discrimination à raison de son handicap, Mme B... fait valoir que le centre hospitalier de Valence lui a fait reprendre son activité sur un poste qui n'était pas adapté conformément aux préconisations du médecin du travail, sans lui fournir un badge d'accès fonctionnel ni une boîte de courrier électronique, ne lui a ensuite pas proposé de poste adapté, et l'a contactée à plusieurs reprises pour des formalités relatives à une allocation temporaire d'invalidité qu'elle n'avait pas sollicitée. Toutefois, la seule circonstance que la requérante a reçu deux messages vocaux concernant le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité ne saurait suffire à faire présumer l'existence d'un harcèlement. Par ailleurs, le centre hospitalier explique avoir agi au-delà de ses obligations en créant un poste nouveau pour la requérante en février 2016, que le matériel de travail précédemment fourni à la requérante n'a pu être retrouvé et que les problèmes concernant le badge d'accès et la boîte électronique ont été réglés en quelques jours. Il invoque également des difficultés pour joindre la requérante et le peu de volontarisme de celle-ci dans la recherche d'une solution. Dans ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier que les omissions reprochées au centre hospitalier aient été motivées par des considérations étrangères à l'intérêt du service, et manifesteraient l'existence d'un harcèlement ou d'une discrimination.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 visée ci-dessus, relative aux droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 136-1 du code général de la fonction publique : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article L. 4111-1 du code du travail : " Sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 4111-4, les dispositions de la présente partie sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'aux travailleurs. / Elles sont également applicables : (...) 3° Aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels (...) ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ". Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme (...) 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ". Il appartient aux autorités administratives, qui ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, d'assurer, sauf à commettre une faute de service, la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet. A ce titre, il leur incombe notamment de prendre en compte, dans les conditions prévues par ces dispositions, les propositions d'aménagements de poste de travail ou de conditions d'exercice des fonctions justifiés par l'âge, la résistance physique ou l'état de santé des agents, que les médecins du travail sont seuls habilités à émettre.

12. En l'espèce, il résulte de l'instruction que suite à l'accident de service dont Mme B... a été victime en 2007, celle-ci a été affectée à compter de février 2010 à des tâches de secrétariat. Le 18 mai 2010, le médecin du travail a préconisé l'aménagement de son poste par la mise à disposition d'un matériel adapté. Si, en octobre 2010, le médecin du travail a critiqué les conditions de travail de l'intéressée et de deux autres secrétaires, occupant un local selon lui trop exigu pour leur permettre de bénéficier d'une ergonomie satisfaisante, il ne ressort pas des termes du courrier qu'il a adressé au directeur des ressources humaines de l'établissement que le matériel préconisé antérieurement n'était pas présent. Enfin, il ne ressort pas de la circonstance que la requérante aurait été affectée à diverses fonctions sans qu'une fiche de poste lui soit communiquée, que ces fonctions n'étaient pas compatibles avec son état de santé et ne tenaient pas compte des prescriptions formulées par le médecin du travail. Ainsi, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription opposée par le centre hospitalier de Valence, il n'est pas établi que celui-ci aurait manqué à son obligation d'aménager le poste de Mme B... conformément aux préconisations du médecin du travail entre 2007 et 2013. Par ailleurs, il ressort des rapports des médecins agréés ayant examiné la requérante les 22 avril 2020 et 8 février 2021 que du fait de l'état de santé mentale de celle-ci, consolidé à cette dernière date, Mme B... était inapte à une reprise sur ses dernières fonctions, et que toute reprise du travail était vouée à un échec rapide. Dès lors, en ne proposant pas à la requérante un poste aménagé postérieurement au 22 avril 2020, le centre hospitalier de Valence n'a pas méconnu ses obligations. En revanche, il résulte de l'instruction que le 10 septembre 2014, la commission de réforme a émis un avis favorable à la reprise du travail par Mme B... en temps partiel thérapeutique à compter du 15 septembre suivant, et le 19 septembre, le médecin du travail l'a déclarée apte à une telle reprise sur un poste aménagé. Le centre hospitalier de Valence n'apporte aucune explication sur les motifs pour lesquels cette reprise n'a été organisée qu'en février 2016. Par ailleurs, en organisant alors le retour au travail de Mme B... sans assurer que le matériel adapté, mentionné par les préconisations formulées par le médecin du travail le 18 mai 2010 et le 19 septembre 2014, était effectivement disponible, le centre hospitalier de Valence a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Enfin, il résulte de l'instruction que depuis le 29 février 2016, les certificats d'arrêts de travail produits par la requérante mentionnaient que celle-ci ne s'était toujours pas vu proposer un poste adapté, ou était dans l'attente d'un tel poste. Les 1er juin 2016 et 7 mars 2017, la commission de réforme a de nouveau émis des avis favorables à une reprise du travail par la requérante sur un poste adapté, et le 2 novembre 2017, le médecin du travail l'a une nouvelle fois déclarée apte à une reprise du travail sur un poste aménagé. Si le centre hospitalier soutient avoir alors proposé plusieurs postes adaptés à l'intéressée qui les auraient systématiquement refusés, il ne l'établit pas. Il ne justifie pas non plus avoir été durablement dans l'impossibilité de joindre la requérante, le report de quelques semaines par celle-ci d'un rendez-vous avec le médecin du travail ne suffisant à justifier l'absence de proposition d'un poste adapté entre juin 2016 et mars 2020, laquelle revêt également un caractère fautif.

13. Il ressort du rapport d'expertise du médecin agréé ayant examiné Mme B... le 8 février 2021 que l'état de santé mentale de celle-ci est imputable à une personnalité anxieuse mal contrôlée et à des troubles de l'adaptation. Le préjudice résultant de l'état dépressif d'intensité modérée dont souffre la requérante est ainsi sans lien avec les fautes commises par le centre hospitalier de Valence. Ces fautes lui ont en revanche causé des troubles dans les conditions d'existence et un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant la somme de 5 000 euros.

14. En troisième lieu, les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.

15. En l'espèce, la seule circonstance que le 3 décembre 2013, Mme B... a chuté sur le sol humide et non signalé de sanitaires de l'établissement, ne suffit pas, en l'absence de toute autre précision quant aux circonstances de cet accident, pour établir que les locaux auraient souffert d'un défaut d'entretien normal, ni que le centre hospitalier aurait manqué à son obligation de sécurité, et de maintien de ses locaux en état de propreté.

16. Par ailleurs, si le centre hospitalier a reconnu l'imputabilité au service de l'accident du 3 décembre 2013, il résulte de l'instruction qu'il n'existe pas de lien direct entre cet accident et l'état anxio-dépressif de Mme B..., que l'expert qui l'a examinée le 8 février 2021 impute à une fragilité antérieure. En outre, le médecin agréé ayant examiné la requérante le 11 janvier 2021 souligne l'absence de gravité des blessures causées par la chute du 3 décembre 2017, l'examen radiologique pratiqué suite à cet accident n'ayant pas mis en évidence de lésion traumatique. Si cet expert a néanmoins retenu un taux d'invalidité permanente partielle imputable à l'accident, il estime que ce taux devrait être réexaminé après la résolution de l'épisode anxio-dépressif, qui selon lui interfère avec les douleurs résiduelles au genou, avec une somatisation, la tension musculaire protectrice du genou s'inscrivant dans ce contexte. Les douleurs au genou que la requérante impute à l'accident apparaissent ainsi liées à sa pathologie mentale sans lien avec son accident de service. Mme B... ne produit en outre aucun élément justifiant de l'existence des préjudices qu'elle soutient avoir subis antérieurement à la consolidation des lésions de l'accident. Elle n'est dès lors pas fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Valence sur le fondement de la responsabilité sans faute.

17. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 25 octobre 2022, les décisions des 15 et 25 mai 2020 et la décision implicite portant rejet du recours gracieux de Mme B..., et de condamner le centre hospitalier de Valence à verser à cette dernière une indemnité de 5 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le centre hospitalier de Valence, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge dudit centre hospitalier une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 25 octobre 2022, les décisions des 15 et 25 mai 2020 et la décision implicite portant rejet du recours gracieux de Mme B... sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier de Valence est condamné à verser à Mme B... la somme de 5 000 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier de Valence versera à Mme B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et les conclusions du centre hospitalier de Valence sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse B... et au Directeur du Centre Hospitalier de Valence.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2024.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au préfet de la Drôme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00074


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00074
Date de la décision : 26/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-01 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection en cas d'accident de service.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCHOLAERT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-26;23ly00074 ?
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