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20/06/2024 | FRANCE | N°23LY03075

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 20 juin 2024, 23LY03075


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 26 janvier 2022 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.



Par jugement n° 2200910 du 28 avril 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 28 septembre 2023, Mme B..., représentée par Me Faure Cromarias, demande à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les décisions du 26 janvier 2022 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par jugement n° 2200910 du 28 avril 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 28 septembre 2023, Mme B..., représentée par Me Faure Cromarias, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et les décisions du préfet du Puy-de-Dôme du 26 janvier 2022 ;

2°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", subsidiairement, de réexaminer sa situation après délivrance d'un récépissé, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat à son bénéfice la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance des exigences de l'article 6 convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et du principe du contradictoire, les premiers juges s'étant fondés sur des éléments du mémoire en défense qui ne lui a pas été communiqué ;

- l'arrêté attaqué est entaché de l'incompétence de son signataire ;

- le refus de titre de séjour litigieux méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et 3-1 convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... relève appel du jugement du 28 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet du Puy-de-Dôme du 26 janvier 2022 rejetant sa demande de titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Pour contester la régularité du jugement attaqué, Mme B... relève que, pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige, ce jugement se réfère à un arrêté de délégation de signature du 24 septembre 2021, qui, tout comme le mémoire en défense à l'appui duquel il a été produit, ne lui a pas été communiqué. Toutefois, dès lors que cet arrêté avait été régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Puy-de-Dôme du 27 septembre 2021, et eu égard au caractère réglementaire de cet acte, les premiers juges ont pu se fonder sur l'existence de cet arrêté, sans en ordonner préalablement la communication. Par suite, Mme B..., qui n'invoque aucun autre élément issu du mémoire en défense du préfet du Puy-de-Dôme sur lequel le jugement attaqué se serait fondé sans qu'il ne lui soit préalablement communiqué, n'est pas fondée à soutenir que ce jugement a été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure et du droit à un procès équitable consacré par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Sur le refus de titre de séjour :

3. En premier lieu, l'arrêté litigieux a été signé par M. Lenoble, secrétaire général de la préfecture du Puy-de-Dôme, lequel a régulièrement reçu délégation à cette fin par arrêté du préfet du Puy-de-Dôme du 24 septembre 2021, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 27 septembre 2021. Par suite le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision manque en fait.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) au bien-être économique du pays, (...) la prévention des infractions pénales (...) ".

5. Mme B..., ressortissante macédonienne née en 1986, est entrée, d'après ses déclarations, sur le territoire français au mois d'avril 2016, accompagnée de son compagnon et de ses trois enfants, issus d'une précédente union. Elle a donné naissance à deux enfants sur le territoire français en 2016 et 2018. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du jugement en assistance éducative du 8 décembre 2021, qu'à la date de la décision litigieuse, les deux aînés de ses enfants étaient majeurs, que, dans un contexte de violences conjugales et d'incarcération de leur père, ses deux derniers enfants avaient précédemment fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative, depuis levée, mais qu'en revanche, son troisième enfant, prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en raison de carences éducatives mettant en péril sa santé et son parcours scolaire, demeurait placée en foyer, avec un droit de visite et d'hébergement par sa mère tous les week-end et les vacances scolaires, que celle-ci exerçait régulièrement. Toutefois, le refus de titre de séjour litigieux n'a pas, en lui-même, pour effet de séparer Mme B... de cette enfant. Par ailleurs, Mme B... ne résidait alors que depuis six ans sur le territoire français, où elle est entrée à l'âge de trente ans et où, à l'exception d'une sœur, elle ne se prévaut d'aucune réelle attache privée ou familiale, ni d'aucune intégration. Par suite, Mme B..., qui se prévaut essentiellement du placement en foyer de son troisième enfant, n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet du Puy-de-Dôme a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

6. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point précédent, et dès lors notamment que le refus de titre de séjour litigieux n'a pas, en lui-même, pour effet de séparer Mme B... de ses enfants, en particulier de celle placée en foyer, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de même que celui tiré de la méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet des conséquences de sa décision, à l'appui desquels Mme B... n'apporte pas d'autres éléments, doivent être écartés.

Sur l'obligation de quitter le territoire français et le pays de destination :

7. Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

8. Comme indiqué au point 5, à la date de l'obligation de quitter le territoire français litigieuse, la benjamine de Mme B..., prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, demeurait placée en foyer, avec un droit de visite et d'hébergement par sa mère tous les week-ends et les vacances scolaires, que celle-ci exerçait régulièrement. Eu égard aux circonstances qui ont justifié sa mise en place, tenant à des carences éducatives mettant en péril la santé et le parcours scolaire de l'enfant, cette mesure d'assistance éducative faisait obstacle à ce que cette enfant puisse être prise en charge par sa mère et à ce qu'elle l'accompagne en cas d'éloignement. L'intérêt supérieur de cette enfant exigeant, par ailleurs, le maintien de liens avec sa mère, dans les conditions fixées par le juge judiciaire, Mme B... est fondée à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet du Puy-de-Dôme a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

9. L'obligation de quitter le territoire français opposée à Mme B... étant ainsi entachée d'illégalité, la fixation du pays de destination dont elle est assortie doit, par voie de conséquence, également être annulée.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Puy-de-Dôme du 26 janvier 2022 en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français et fixe le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

11. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

12. L'annulation, par le présent arrêt, de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de Mme B... implique nécessairement, mais seulement, que sa situation soit réexaminée et que, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour lui soit délivrée. Il y a lieu, ainsi, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative et de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Mme B... n'établissant pas avoir exposé d'autres frais que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été accordée par décision du 23 août 2023, sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.

14. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate, Me Faure Cromarias, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Faure Cromarias renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à celle-ci de la somme de 1 500 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200910 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 28 avril 2023 est annulé en tant qu'il rejette la demande de Mme B... tendant à l'annulation des décisions du préfet du Puy-de-Dôme du 26 janvier 2022 lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Article 2 : L'arrêté du préfet du Puy-de-Dôme du 26 janvier 2022 est annulé en tant qu'il fait obligation de quitter le territoire français à Mme B... et fixe le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Puy-de-Dôme de se prononcer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sur la situation de Mme B... et de la munir, dans un délai de quinze jours à compter de cette notification et dans l'attente de ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me Faure Cromarias la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03075


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03075
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : FAURE CROMARIAS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23ly03075 ?
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