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11/06/2024 | FRANCE | N°23LY03607

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 11 juin 2024, 23LY03607


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2023 de la préfète de la Drôme en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2304664 du 3 août 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 24 novembre 2023, M. B..., repr

ésenté par Me David, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du 3 août 2023 ;



2°) d'annuler l'arr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2023 de la préfète de la Drôme en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2304664 du 3 août 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 24 novembre 2023, M. B..., représenté par Me David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 août 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2023 de la préfète de la Drôme en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros hors taxe soit 2 400 euros toutes taxes comprises, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'un défaut de motivation ;

- la décision méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'article 28 (3) de la directive 2004/38 /CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et l'article L 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont méconnus ;

- à titre subsidiaire, la décision méconnaît l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 28 mars 2024, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2023.

Par ordonnance du 29 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 19 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Mehl-Schouder, présidente.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 24 janvier 1986 à Saint-Martin (Antilles néerlandaises) et de nationalité néerlandaise, relève appel du jugement du 3 août 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 juillet 2023 de la préfète de la Drôme en tant qu'elle l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.

2. En premier lieu, le requérant reprend en appel les moyens, déjà soulevés en première instance, tirés de l'insuffisance de motivation, de la méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1 ". Aux termes de l'article L. 234-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français ". Enfin, aux termes de l'article L. 233-1 de ce code : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° : / 5° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3° ".

4. Le requérant soutient être arrivé en France en 2011, à l'âge de vingt-cinq ans, et y résider depuis lors, les années au cours desquelles il a été incarcéré n'étant pas de nature à remettre en cause la continuité de sa résidence habituelle sur le territoire. Cependant, il est constant qu'il n'a jamais sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 234-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'établit pas davantage qu'il y aurait résidé dans le respect de l'une des conditions énumérées à l'article L. 233-1 précité du même code. Ainsi, faute d'avoir acquis un droit au séjour permanent au sens de l'article L. 234-1 de ce code à la date de l'arrêté en litige, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 27 paragraphe 1 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres : " Sous réserve des dispositions du présent chapitre, les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques. ". Aux termes de l'article 28 paragraphe 3 a) de cette même directive : " Une décision d'éloignement ne peut être prise à l'encontre des citoyens de l'Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des motifs graves de sécurité publique définis par les États membres, si ceux-ci : a) ont séjourné dans l'État membre d'accueil pendant les dix années précédentes (...) ". L'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

6. Pour justifier la mesure d'éloignement litigieuse sur le fondement du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète de la Drôme s'est fondée sur les différentes condamnations pénales prononcées à l'encontre de M. B.... A cet égard, elle relève que l'intéressé a été condamné par le tribunal de Basse-Terre le 21 octobre 2011 pour des faits de recel de biens provenant de vol, récidive de tentative de vol aggravé par deux circonstances, récidive de vol aggravé par deux circonstances. M. B... a également été condamné par le tribunal de Pointe-à-Pitre, le 15 décembre 2011, pour vol aggravé par deux circonstances et par le tribunal de Basse-Terre, le 13 janvier 2012, pour évasion avec menace d'une arme ou d'une substance incendiaire ou toxique ainsi que pour des faits de vol aggravé par trois circonstances. Enfin, l'intéressé a été condamné par le tribunal judiciaire d'Alençon, le 29 avril 2015, pour violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours et violence aggravée par deux circonstances, suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours. La préfète de la Drôme a également relevé que le quantum de sa peine d'emprisonnement était de treize ans et dix-sept mois. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, et notamment de la fiche pénale de l'intéressé, qu'il a été condamné le 18 septembre 2009 par le tribunal correctionnel de Basse-Terre pour violence sur une personne chargée d'une mission de service public suivie d'une incapacité n'excédant pas huit jours, et le 1er juillet 2019 par le tribunal correctionnel de Troyes pour recel de biens provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement et outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique ainsi que pour menace de crime ou délit contre les personnes ou les biens à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique et outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique. M. B... a également été condamné le 30 septembre 2020 par le tribunal correctionnel de Troyes pour des faits de violence dans un local administratif ou aux abords lors de l'entrée ou la sortie du public, sans incapacité. M. B... a, enfin, également fait l'objet de nombreuses décisions portant retrait de crédit de réduction de peines.

7. D'une part, M. B... conteste que les condamnations dont il a fait l'objet présentent, à la date de l'arrêté en litige, un caractère actuel et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société française. Toutefois, il ressort des énonciations faites au point précédent que le comportement délictuel de l'intéressé s'est poursuivi alors même qu'il était incarcéré et que ses dernières condamnations sont récentes. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal du 30 juin 2023, que M. B..., qui a refusé d'être auditionné par les agents de la direction zonale de la police aux frontières Sud-Est en vue de déterminer son identité et sa nationalité, a présenté une attitude physique et verbale très agressive, démontrant ainsi un comportement toujours ancré dans la violence. Par ailleurs, si M. B... soutient avoir suivi une scolarité en France puis avoir travaillé en prison, et si il serait, à sa sortie de prison, suivi par le service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) pour l'accompagner dans sa recherche de travail, d'hébergement et d'obtention d'aides matérielles et financières auxquelles il pourrait prétendre et s'il a enfin également eu des entretiens avec Pôle Emploi, l'intéressé, célibataire et sans charge de famille, ne justifie pas avoir entamé une véritable démarche de réinsertion sociale dans la société française. Enfin, la décision portant obligation de quitter le territoire français étant une décision administrative sans caractère répressif et n'ayant pas le caractère d'une sanction, l'appelant ne peut utilement soutenir que cette mesure constituerait une seconde peine et contreviendrait au principe " non bis in idem ".

8. D'autre part, si M. B... justifie, en raison de son incarcération depuis 2011 dans différents établissements pénitentiaires français, séjourner depuis au moins dix ans en France, une telle circonstance n'est pas de nature à faire obstacle à son éloignement dès lors qu'il résulte de ce qui précède que cette mesure est effectivement justifiée par les motifs précités du point de vue de la sécurité publique.

9. Dans ces conditions, eu égard à la répétition, à la nature et à la gravité des faits pour lesquels il a été poursuivi, ainsi qu'à la menace réelle et actuelle que M. B... représente à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, alors même qu'il a été suivi par le service de psychologie au sein du milieu carcéral, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que les infractions pour lesquelles M. B... a été condamné ne sont pas visées à l'article 83 § 1 deuxième alinéa du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la préfète de la Drôme n'a pas, en édictant la décision en litige, méconnu les dispositions précitées de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, elle n'a pas méconnu l'article 28 de la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, ni n'a commis une erreur manifeste d'appréciation en édictant l'arrêté attaqué.

10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet de la Drôme.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,

Mme Christine Djebiri, première conseillère,

Mme Claire Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.

La présidente-rapporteure,

M. Mehl-SchouderL'assesseure la plus ancienne,

C. Djebiri

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 23LY03607 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03607
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEHL-SCHOUDER
Rapporteur ?: Mme Monique MEHL-SCHOUDER
Rapporteur public ?: Mme MAUCLAIR
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;23ly03607 ?
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