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11/06/2024 | FRANCE | N°23LY03425

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 11 juin 2024, 23LY03425


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Mme E... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 5 mai 2023, par lequel la préfète de l'Ain a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prolongé, pour une durée de six mois, l'interdiction de retour prise à son encontre le 6 avril 2021.



Par jugement n° 2304171 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a fait

droit à sa demande et a enjoint à la préfète d'examiner sa demande de titre de séjour.





Pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme E... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 5 mai 2023, par lequel la préfète de l'Ain a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prolongé, pour une durée de six mois, l'interdiction de retour prise à son encontre le 6 avril 2021.

Par jugement n° 2304171 du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande et a enjoint à la préfète d'examiner sa demande de titre de séjour.

Procédures devant la cour

I - Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2023 sous le n° 23LY03425, et un mémoire enregistré le 26 mars 2024, la préfète de l'Ain demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif.

La préfète de l'Ain soutient que :

- c'est à tort que pour annuler le refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de Mme C..., le tribunal a considéré qu'elle justifiait d'éléments nouveaux de nature à l'autoriser à présenter une nouvelle demande de titre de séjour, alors que sa situation a déjà été examinée à plusieurs reprises à raison des mêmes éléments, à savoir sa durée de présence sur le territoire, la scolarisation de ses enfants et l'existence d'une promesse d'embauche ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'obligation de quitter le territoire français et les décisions subséquentes dès lors que cette mesure d'éloignement était fondée sur le refus de titre de séjour dont Mme C... a fait l'objet le 6 avril 2021 et sur sa qualité de déboutée du droit d'asile et non sur la décision de refus d'enregistrement ;

- les autres moyens invoqués devant le tribunal ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 22 mars et 14 mai 2024, Mme C..., représentée par Me Petit, conclut, à titre principal au non-lieu à statuer, et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme C... soutient que :

- il n'y a pas lieu pour la cour de statuer dès lors que la préfecture de l'Ain a enregistré sa demande de titre de séjour et lui a délivré un récépissé en exécution du jugement du tribunal ;

- subsidiairement, les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme C... a produit après l'audience, le 21 mai 2024, une pièce complémentaire.

Mme E... A... épouse C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 janvier 2024.

II - Par une requête, enregistrée le 3 novembre 2023 sous le n° 23LY03430, la préfète de l'Ain demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2304171 du 5 octobre 2023 du tribunal administratif de Lyon.

La préfète de l'Ain soutient que :

- les moyens présentés dans sa requête au fond présentent un caractère sérieux ;

- ces moyens sont de nature à justifier le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,

- et les observations de Me Petit, représentant Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... A... épouse C..., ressortissante albanaise née le 12 juin 1983, est entrée en France en décembre 2012, accompagnée de son époux, M. B... C.... Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 6 octobre 2014. Par un arrêté du 18 janvier 2016, la préfète de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour au titre de son état de santé et l'a obligée à quitter le territoire français. La demande de réexamen au titre de l'asile de Mme C..., présentée le 23 mars 2018, a été rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 26 septembre 2018. Elle a, en conséquence, fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 28 novembre 2018. Le 6 avril 2021, la préfète de l'Ain a rejeté une nouvelle demande d'admission au séjour de l'intéressée, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, décisions dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 28 janvier 2022. Le 22 décembre 2022, Mme C... a présenté une nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 5 mai 2023, la préfète de l'Ain a refusé d'enregistrer cette demande, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prolongé, pour une durée de six mois, l'interdiction de retour prise à son encontre le 6 avril 2021. La préfète de l'Ain relève appel du jugement du 5 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté et lui a enjoint d'examiner la demande de titre de séjour de Mme C....

2. Les requêtes susvisées de la préfète de l'Ain sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un seul arrêt.

Sur la requête n° 23LY03425 :

En ce qui concerne les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par l'intimée :

3. La circonstance que la préfète de l'Ain, conformément à l'injonction faite par le tribunal administratif, a procédé à l'enregistrement de la demande de titre de séjour de Mme C..., qui s'est, en conséquence, vu délivrer un récépissé de demande de titre de séjour, ne saurait avoir pour effet de priver d'objet son appel dirigé contre le jugement ayant annulé la décision de refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour et prononcé cette injonction. Par suite, les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par Mme C... doivent être rejetées.

En ce qui concerne le refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour :

4. Le tribunal administratif de Lyon a annulé le refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour de Mme C... aux motifs, d'une part, que la préfète de l'Ain ne pouvait se fonder sur le caractère tardif de cette demande au regard des dispositions de l'article D. 431-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que ces dispositions n'étaient pas entrées en vigueur aux dates auxquelles l'intéressée a déposé sa demande d'asile en 2012 et sa demande de réexamen en 2018 et, d'autre part, que cette demande ne pouvait être regardée comme abusive en raison de sa présence sur le territoire français depuis plus de dix ans.

5. La préfète de l'Ain ne conteste pas, en appel, le premier de ces deux motifs d'annulation.

6. Aux termes de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance (...) de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu'il précise (...) ". Il résulte de ces dispositions, combinées à celles de l'article R. 431-2 du même code organisant les modalités d'accueil en préfecture, que l'apposition d'un timbre de la préfecture de l'Ain sur la demande de titre de séjour déposée par Mme C... le 22 décembre 2022 n'est que la constatation matérielle de la remise de sa demande de titre et se distingue du récépissé, qui ne peut être délivré que si la demande s'avère complète et sous réserve qu'elle ne présente pas de caractère abusif. Le caractère abusif doit ressortir de la reconduction pure et simple des motifs de fait ou de droit appuyant la prétention du demandeur. Tel n'est pas le cas s'il est produit des éléments nouveaux nécessitant que le droit au séjour soit apprécié au terme d'une nouvelle instruction.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande déposée le 22 décembre 2022, Mme C... se prévalait d'une présence en France de dix ans au moins nécessitant la consultation de la commission du titre de séjour. Ce motif appuyant sa demande, distinct de ceux de ses précédentes demandes présentées sur le fondement des dispositions alors codifiées aux articles L. 313-11-7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, nécessitait qu'une appréciation soit portée sur les circonstances invoquées au terme d'une nouvelle instruction. Mme C... s'étant prévalue de cet élément nouveau, sa demande ne pouvait être regardée comme abusive et la préfète de l'Ain n'a pu, sans méconnaître les dispositions analysées au point 6, refuser de lui en délivrer récépissé et de l'instruire.

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignant le pays de destination et portant prolongation de l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Dans la mesure où la décision relative au séjour n'est pas le fondement de l'obligation de quitter le territoire français, l'annulation de la première ne conduit pas, par elle-même, à l'annulation par voie de conséquence de la seconde, qui aurait pu être légalement prise en l'absence de toute décision sur le séjour et n'est pas intervenue en raison de ce refus. Il en va ainsi, en principe, pour les obligations de quitter le territoire prises sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et pour celles prises sur le fondement du 3° du même article, à raison non d'un refus de titre de séjour édicté concomitamment, mais d'un refus de séjour antérieur. Toutefois, dans le cas où est contesté à l'occasion d'un recours dirigé contre une telle obligation un refus relatif au séjour pris concomitamment, si le juge annule ledit refus, il lui appartient, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier, eu égard au motif qu'il retient, si l'illégalité du refus relatif au séjour justifie l'annulation de la mesure d'éloignement. Tel est le cas, notamment, lorsque le motif de l'annulation implique le droit de l'intéressé à séjourner en France.

9. Or, si le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide de l'éloignement d'un étranger qui se trouve dans l'un des cas mentionnés aux 3° et 4° de l'article L. 611-1 du code, la remise d'un récépissé, en application de l'article L. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui ouvre le droit de séjourner pendant l'instruction de sa demande et dans la limite de la durée de validité de ce document. Le refus d'instruire sa demande de titre ayant été opposé à tort à Mme C... et l'annulation de cette décision impliquant la remise du récépissé prévu à l'article R. 431-12 précité autorisant sa présence sur le territoire français pour une durée déterminée, la préfète de l'Ain ne pouvait l'obliger à quitter le territoire français en se fondant sur un refus de titre antérieur et sur le rejet de sa demande d'asile. Il suit de là que, comme elle le soutient à juste titre, Mme C... ne relevait d'aucun des cas prévus à l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans lesquels la préfète pouvait prendre une obligation de quitter le territoire français lorsqu'elle a pris la mesure d'éloignement dont elle a été l'objet. L'obligation de quitter le territoire français prise par la préfète de l'Ain par arrêté du 5 mai 2023 est donc dépourvue de base légale.

10. L'annulation de l'obligation de quitter le territoire français emporte, par voie de conséquence, l'annulation de la décision refusant un délai de départ volontaire et des décisions portant désignation du pays de destination et prolongation, pour une durée de six mois, de l'interdiction de retour sur le territoire français prise par la préfète de l'Ain dans l'arrêté du 5 mai 2023.

11. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé l'ensemble des décisions contenues dans l'arrêté du 5 mai 2023.

En ce qui concerne les frais liés au litige :

12. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Petit.

Sur la requête n° 23LY03430 :

13. La cour ayant statué sur le fond du litige, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la préfète de l'Ain tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 23LY03425 de la préfète de l'Ain est rejetée.

Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 23LY03430 de la préfète de l'Ain.

Article 3 : L'Etat versera à Me Petit la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme E... A..., épouse C....

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juin 2024.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03425 - 23LY03430


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03425
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : PETIT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;23ly03425 ?
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