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11/06/2024 | FRANCE | N°23LY01432

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 11 juin 2024, 23LY01432


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 par lequel la préfète de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2301919 du 16 mars 2023, le magistrat désigné du t

ribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 9 mars 2023 par lequel la préfète de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2301919 du 16 mars 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 avril 2023, 30 janvier et 14 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Petit, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail jusqu'au réexamen de sa situation et de s'assurer de l'effacement de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen effectué en application de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- il est entaché d'une omission à statuer ;

- il est également entaché d'erreurs de droit, d'erreurs de qualification juridique des faits, d'erreurs d'appréciation et d'erreurs manifeste d'appréciation et méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière faute de consultation de la commission du titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur de droit pour défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est sans base légale dès lors que sa demande de titre de séjour devant être enregistrée le 22 décembre 2022, il devait être muni d'un récépissé de demande de titre de séjour de sorte qu'aucune mesure d'éloignement ne pouvait être prise durant l'instruction de cette demande ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut de base légale ;

- elle est entachée d'erreur de droit ;

- elle est entachée de défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale du fait de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus de délai de départ volontaire ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur d'appréciation.

Par un mémoire, enregistré le 9 avril 2024, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la délivrance d'un récépissé de demande de carte de séjour et la saisine de la commission du titre de séjour ne sont consécutives qu'au jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2023, dont elle a fait appel, qui annule son arrêté portant refus d'enregistrement de la demande de titre de séjour du requérant et qui lui enjoint d'examiner cette demande de titre de séjour et de munir le requérant d'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen ; elle a pris le 15 février 2024 un arrêté portant refus de délivrance d'un titre de séjour.

M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Porée, premier conseiller,

- et les observations de Me Petit, représentant M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant albanais, né le 4 juillet 1981, a été contrôlé le 9 mars 2023 par le service de la police aux frontières de Prévessin-Moëns et placé en retenue administrative aux fins de vérification de son droit au séjour. Par un arrêté du 9 mars 2023, la préfète de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Le requérant relève appel du jugement du 16 mars 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté :

2. M. B... est entré sur le territoire français en décembre 2012, selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 6 octobre 2014. Par un arrêté du 18 janvier 2016, le préfet de l'Ain a refusé de l'admettre au séjour au vu de son état de santé et l'a obligé à quitter le territoire français. Sa demande de réexamen de la demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 26 septembre 2018. M. B... a fait l'objet d'une nouvelle mesure d'éloignement le 28 novembre 2018. Par un arrêté du 6 avril 2021, la préfète de l'Ain a rejeté une nouvelle demande d'admission au séjour de l'intéressé, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, décisions dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 28 janvier 2022. Le 22 décembre 2022, M. B... s'est présenté à la préfecture de l'Ain pour déposer une demande de titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la préfète de l'Ain a refusé d'enregistrer par décision du 5 mai 2023. Par un jugement du 5 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision de refus d'enregistrement et a enjoint à l'autorité préfectorale d'examiner la demande et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen. Le 28 novembre 2023, la commission du titre de séjour a émis un avis favorable à la délivrance à M. B... d'un titre de séjour sous réserve de la justification d'un emploi pérenne lui permettant de subvenir aux besoins de sa famille. Par un arrêté du 15 février 2024, la préfète de l'Ain a refusé de faire droit à sa demande d'admission au séjour. Par un arrêt de ce jour, la cour a rejeté l'appel de la préfète de l'Ain contre le jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2023.

3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ".

4. Aux termes, d'autre part, de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance (...) de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu'il précise (...) ". Si le seul dépôt d'une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité administrative décide de l'éloignement d'un étranger qui se trouve dans l'un des cas mentionnés aux 3° et 4° précités de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la remise d'un récépissé à l'étranger admis à souscrire une demande de délivrance de titre de séjour lui ouvre droit de séjourner pendant l'instruction de sa demande et dans la limite de la durée de validité de ce document. Ce récépissé ne peut être délivré que si la demande s'avère complète et sous réserve qu'elle ne présente pas de caractère abusif.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus, M. B... s'est présenté, le 22 décembre 2022, à la préfecture de l'Ain pour déposer une demande de titre de séjour, dont il n'est pas soutenu qu'elle n'était pas complète. Il résulte de l'arrêt de la cour de ce jour confirmant le jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 octobre 2023 annulant le refus d'enregistrement pris par la préfète de l'Ain, que la demande d'admission au séjour de l'intéressé devait être enregistrée, ce qui impliquait qu'il fut muni sans délai du récépissé prévu à l'article R. 431-12 précité autorisant sa présence sur le territoire français pour une durée déterminée. Il suit de là que, comme il le soutient à juste titre, M. B... ne relevait d'aucun des cas prévus à l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans lesquels le préfet pouvait prendre une obligation de quitter le territoire français lorsqu'il a pris la mesure d'éloignement dont il a été l'objet. L'obligation de quitter le territoire français prise par le préfet par arrêté du 9 mars 2023 est donc dépourvue de base légale et doit être annulée.

6. L'annulation de l'obligation de quitter le territoire français emporte, par voie de conséquence, l'annulation des décisions prises sur son fondement dans l'arrêté en litige. Il en résulte que les décisions portant refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de destination, interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, doivent être annulées.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Sur l'injonction :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".

9. Le présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 614-16 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la délivrance à M. B... sans délai d'une autorisation provisoire de séjour, jusqu'au réexamen de sa situation.

10. En second lieu, l'exécution du présent arrêt implique également que la préfète de l'Ain fasse supprimer le signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen résultant de l'interdiction de retour prononcée à son encontre. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de faire procéder à cette suppression sans délai.

Sur les frais liés au litige :

11. M. B... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut prétendre au bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, l'État versera, en application de ces dispositions, la somme de 1 300 euros à Me Petit, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2301919 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 16 mars 2023 et l'arrêté de la préfète de l'Ain du 9 mars 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Ain de délivrer à M. B... sans délai une autorisation provisoire de séjour jusqu'au réexamen de sa situation, et de prendre, sans délai, toute mesure utile afin qu'il soit procédé à l'effacement du signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Article 3 : L'État versera à Me Petit, avocat de M. B..., une somme de 1 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juin 2024.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01432


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01432
Date de la décision : 11/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Arnaud POREE
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : PETIT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-11;23ly01432 ?
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