Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et de l'industrie Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser les sommes de 115 000 euros au titre du préjudice matériel et 10 000 euros au titre du préjudice moral en réparation de discriminations dont elle aurait fait l'objet, d'enjoindre à la chambre de commerce et de l'industrie (CCI) Auvergne-Rhône-Alpes de la reclasser au niveau VI du répertoire national des emplois consulaires avec l'indice de qualification correspondant et le même indice de résultat que M. C..., de verser aux débats les contrats de travail, avenants et bulletins de paie de M. C... depuis 2010, les tableaux d'avancement et de promotion, ses plans de charges, ses entretiens annuels de progrès depuis 2015, les plans de charges annuels de M. C... sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2001282 du 13 avril 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Benichou demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la CCI Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser une somme de 125 000 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) d'enjoindre à la CCI Auvergne-Rhône-Alpes de la reclasser au niveau VI du répertoire national des emplois avec l'indice de qualification correspondant avec le même indice de résultat que M. C..., de produire sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, le versement aux débats les contrats de travail, avenants, bulletins de paie de M. C... ainsi que le montant des primes distribuées depuis 2010, les tableaux d'avancement et de promotion, ses plans de charges qui, chaque année, fixent le nombre d'heures et permettent le déclenchement d'heures complémentaires, ses entretiens annuels de progrès depuis 2015, les plans de charges annuels de M. C... ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est victime de discrimination en ce qui concerne sa rémunération et le déroulement de sa carrière ;
- cette discrimination a pour origine d'une part son genre et d'autre part l'exercice de ses mandats syndicaux et de représentante du personnel ;
- son classement au niveau V résulte d'une différence de traitement avec un collègue, intervenant devant les mêmes classes et exerçant les mêmes fonctions, lui aussi représentant syndical, qui est classé au niveau VI et bénéficie en 2019 d'un salaire deux fois supérieur au sien ;
- elle a fait l'objet d'agissements discriminatoires à l'occasion des entretiens annuels de progrès.
Par un mémoire enregistré le 28 juillet 2023, la chambre de commerce et d'industrie Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me Bousquet, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de Mme A... à lui verser une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est irrecevable et qu'aucun moyen n'est fondé.
Par une ordonnance du 21 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations Me Bousquet pour la CCI Auvergne-Rhône-Alpes ;
Considérant ce qui suit :
1. Recrutée le 9 août 2007 comme professeur d'anglais vacataire de niveau IV par la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble devenue en 2013 la chambre de commerce et de l'industrie (CCI) Auvergne-Rhône-Alpes, Mme A... a été titularisée dans l'emploi d'enseignante confirmée de niveau V le 23 août 2008. Le 25 octobre 2019, elle a adressé au président de la CCI Auvergne-Rhône-Alpes un courrier, resté sans réponse, lui demandant de mettre fin aux discriminations dont elle était victime en raison de son engagement syndical et de son genre, en lui attribuant un traitement égal à celui d'un collègue représentant le syndicat adverse. Mme A... demande à la cour d'annuler le jugement qui a rejeté sa demande de condamnation de la CCI Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser les sommes de 115 000 euros au titre de son préjudice matériel et 10 000 euros au titre de son préjudice moral.
Sur le fond du litige :
2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) / Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. (...) ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de (...) ses convictions, (...) ses activités syndicales (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 4 de cette même loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ".
3. De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Aux termes de l'article 19 du statut des personnels administratifs des chambres de commerce et d'industrie consolidé au 19 juin 2018 " (...) Chaque agent titulaire acquiert dans la compagnie consulaire concernée indépendamment des promotions ou augmentation au choix qui peuvent lui être attribuées au titre des changements de qualification ou des résultats obtenus des points d'expérience. L'indice d'expérience est automatiquement augmenté de cinq points chaque année au titre de la garantie de carrière à compter de la cinquième année suivant le recrutement (...) Lorsqu'un agent contractuel est titularisé, les dispositions du présent article lui sont appliquées. (...) L'attribution des points d'expérience débute à la titularisation ou au plus tard à compter de la cinquième année suivant son recrutement comme contractuel dans la Compagnie Consulaire ". Il résulte de ces dispositions que chaque agent titulaire peut bénéficier de promotions ou d'augmentations au titre des changements de qualification ou des résultats obtenus.
5. Mme A... soutient avoir subi, au cours de sa carrière un blocage dans l'avancée de sa rémunération en raison de son genre et en raison de son engagement syndical depuis le 18 janvier 2011.
6. Elle fait valoir que lorsqu'elle a été titularisée en 2007, après avoir été vacataire à compter de 2003, elle n'a bénéficié des points d'expérience qu'en 2012, la CCI n'ayant pas repris son ancienneté en méconnaissance de l'article 19 ci-dessus du statut et que son indice de résultat n'a pas évolué comme pour ses collègues et que, donnant satisfaction dans son poste, elle aurait dû être augmentée. Toutefois rien dans les éléments fournis ne permet de faire présumer une discrimination en ce qui concerne l'échelon auquel elle a été recrutée et sa rémunération. Sur ce dernier point, il apparaît qu'elle a été augmentée en 2011, 2013, 2019 puis 2020 et que son indice de résultat la place en vingt et une énième position sur les quatre-vingt-dix-neuf salariés du niveau V, personnels enseignants et administratifs confondus, et seizième position sur les quatre-vingt-quatorze enseignants de ce niveau, en octobre 2021.
7. Pour établir la stagnation de sa carrière, Mme A... relève qu'elle est classée depuis treize ans au niveau V " enseignante formatrice I " du répertoire des emplois nationaux du réseau consulaire alors qu'elle pourrait prétendre à un classement au niveau VI " enseignante formatrice II ". Les missions qui relèvent du niveau V impliquent " la réalisation directe de tâches techniquement complexes et/ou spécialisées, ou la coordination d'opérations nécessitant l'animation ou l'encadrement d'une équipe " alors que celles du niveau VI se caractérisent " par la gestion et le développement d'activités à fort degré de technicité, de spécialisation ou d'innovation et/ou la responsabilité d'une équipe, la conduite d'un projet ". Il n'apparaît pas que son poste relèverait de ce dernier niveau, l'intéressée ne pouvant à cet égard se prévaloir de l'exemple d'une enseignante de niveau VI qui est référente pédagogique pour six autres collègues et alors par ailleurs que la dernière promotion à ce niveau date de 2013. En tout état de cause, et même en faisant l'objet de bonnes évaluations, Mme A..., qui n'apporte pas d'éléments montrant que des agents dont la valeur professionnelle aurait été moindre que la sienne auraient eux-mêmes bénéficié d'un tel avancement, ne jouissait d'aucun droit à être promue à un niveau supérieur.
8. Pour ce qui est des différences de rémunération en raison du genre, il ressort des pièces du dossier, et notamment de tableaux établis par la CCIR Auvergne-Rhône-Alpes pour les années 2017 et 2018 que le niveau d'augmentation moyen des femmes est pour l'essentiel légèrement inférieur à celui des hommes, de l'ordre de deux euros pour la catégorie à laquelle appartient l'intéressée, et que la moyenne de la rémunération mensuelle globale et fixe des permanents présents durant l'année 2018 est plus élevée pour les hommes que pour les femmes quelle que soit la catégorie socio-professionnelle. Pour la catégorie maîtrise dont relève Mme A..., la moyenne de la rémunération fixe dans le réseau hors Paris et Ile de France est de 2 527 euros pour les femmes, étant donc supérieure à celle des hommes, qui est de 2 497 euros. Si, généralement, les femmes sont statistiquement maintenues à un niveau de rémunération inférieur à celui des hommes, une telle circonstance ne saurait toutefois suffire pour caractériser une discrimination personnelle à l'égard de Mme A..., dont la rémunération dépend en particulier de son statut et de sa manière de servir. Ni le tableau mentionnant le salaire brut 2009 de certains agents, dont la provenance et l'objet ne sont pas mentionnés, ni les tableaux qu'elle a produits le 13 mars 2024 ainsi que l'absence de réponse à sa lettre du 1er mai 2021 demandant la communication des fiches de paies et récapitulatifs des rémunérations perçues, ne permettent de caractériser une discrimination à son encontre. Si elle se prévaut de ce qu'un élu CFDT, enseignant à l'IMT de Grenoble, bénéficierait d'un salaire deux fois supérieur au sien, il n'apparaît pas que cet agent, classé au niveau VI, serait dans une situation identique à la sienne.
9. En ce qui concerne son indice de résultat, elle se plaint d'un gel de ce dernier. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, elle a été augmentée en 2011, 2013, 2019 puis 2020. Sur un plan général, il n'apparaît pas que les augmentations de rémunération au sein de la CCI seraient arbitraires. A cet égard, la direction des ressources humaines de la CCI de Grenoble a transmis, par courriel du 18 mars 2019, un document explicatif daté du même jour sur la politique salariale de cette chambre et notamment de l'IMT, établissement où elle exerce ses fonctions d'enseignante, dont il ressort notamment une faible disparité hommes/femmes en médiane ou moyenne pour les personnels de niveau V, y compris les enseignants de l'IMT. Il en résulte en particulier que la rémunération médiane pour l'IMT est de 2 062 euros, alors que celle de Mme A... en 2018 était de 2 132 euros, et que pour les enseignants formateurs de niveau V, la médiane des femmes se situe à 2 029 euros et celle des hommes à 2 081 euros, la moyenne des femmes étant à 2 055 euros et celle des hommes à 2 120 euros. Les différences d'indices de résultat des hommes et des femmes soulignées en 2011 par la chambre régionale des comptes à propos de la CCI de Lyon pour les exercices 2005 et suivants ne sont pas transposables au cas de Mme A..., qui relève de la CCI de Grenoble. Si Mme A... se prévaut également d'un courriel du 7 décembre 2017 de représentants syndicaux adressé au directeur général de la CCI de Grenoble indiquant " qu'une large majorité de collaborateurs de la CCI de Grenoble subit depuis trop longtemps une stagnation de salaire ", aucune discrimination en tant que telle ne saurait en être déduite. Les informations contenues dans le document intitulé " taux directeur 2017, bilan des exercices 2014-2015-2016, commission paritaire régionale du 28 septembre 2017 " concernant les revalorisations salariales applicables à la catégorie maîtrise, dont il résulte que deux-cent-quarante-six femmes contre cinquante-deux hommes pour la totalité des CCI de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont quatre-vingt-dix-huit femmes et vingt-six hommes pour la seule CCI de Grenoble, ont perçu une revalorisation de salaire, ne sont pas davantage susceptibles de faire présumer une discrimination dont Mme A... aurait été victime en raison de son genre.
10. Mme A... soutient par ailleurs n'avoir pas bénéficié de primes de fin d'année en 2017 et 2018 et avoir eu des appréciations moins favorables lors de ses évaluations en raison d'objectifs non définis. Rien, et notamment pas le mail du 16 janvier 2019 de la CFE CGC AURA auquel elle renvoie, qui ne trouve appui sur aucun témoignage de tiers, ne permet d'affirmer qu'elle aurait été la seule agente de la CCI dans cette situation.
11. En outre, aucune tenue à l'écart du travail d'équipe n'est avérée, l'absence de communication de certains courriels n'étant pas justifiée. Il n'apparaît pas que les changements de classe attribués au dernier moment constitueraient une pratique discriminatoire à son égard. L'évolution de son appréciation, passée de " résultat supérieur aux attentes exprimées ", seulement attribuée en 2011, à " résultat au niveau des attentes exprimées ", dont rien ne permet de dire qu'elle ne serait pas fondée sur des éléments objectifs, ne saurait suffire à justifier une différence de traitement à son détriment. L'annulation de ses convocations au Service Interacadémique des concours et examen est relative à un diplôme (DSCG) qui n'était plus enseigné à l'IMT de Grenoble, l'intéressée étant par ailleurs, lors de sa convocation par le service interacadémique des concours, en réunion technique à Lyon. Il ne résulte pas plus de l'instruction que sa mise à l'écart de certains projets, notamment pour la mise en œuvre de la validation des acquis de l'expérience (VAE) qui a été confiée à un autre agent, procèderait d'une forme de discrimination à son égard. Le refus qui lui aurait été opposé d'effectuer des heures supplémentaires pour continuer à assurer les heures d'enseignement en communication au titre de ses heures régulières, et du bénéfice de formations, n'est pas avéré. Quant à l'absence pendant trois ans, à compter de 2019, d'entretiens d'évaluation, aussi regrettable qu'elle soit, elle ne saurait suffire à faire présumer, en tant que telle, un traitement négatif de la situation de Mme A... à raison de son genre ou de ses fonctions syndicales.
12. Dès lors, et comme l'a d'ailleurs estimé le défenseur de droits, aucune discrimination syndicale ou de genre aux dépens de Mme A... ne saurait donc être présumée.
13. Dans ces circonstances, la CCI Auvergne-Rhône-Alpes ne saurait, contrairement à ce que soutient l'intéressée, être tenue responsable des conséquences d'actes ou décisions discriminatoires à l'encontre de cette dernière.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de sa requête, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la CCI Auvergne-Rhône-Alpes.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la CCI Auvergne-Rhône-Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera transmise à la CCI Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.
La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY01990 2
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