La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/06/2024 | FRANCE | N°23LY02550

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 03 juin 2024, 23LY02550


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieures :



M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 15 avril 2022 par laquelle l'inspectrice d'académie, directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère, a refusé de les autoriser à instruire en famille leur fille, née en décembre 2019, pour l'année scolaire 2022-2023, ensemble le refus implicite opposé à leur recours gracieux et, d'autre part, d'autoriser l'instruction en famille de leur fi

lle.



Par un jugement n° 2204776 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Gren...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieures :

M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 15 avril 2022 par laquelle l'inspectrice d'académie, directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère, a refusé de les autoriser à instruire en famille leur fille, née en décembre 2019, pour l'année scolaire 2022-2023, ensemble le refus implicite opposé à leur recours gracieux et, d'autre part, d'autoriser l'instruction en famille de leur fille.

Par un jugement n° 2204776 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 juillet 2023 M. et Mme A..., représentés par Me Vocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2204776 du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'annuler la décision du 15 avril 2022 par laquelle l'inspectrice d'académie, directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère, a refusé de les autoriser à instruire en famille leur fille, née en décembre 2019, pour l'année scolaire 2022-2023, ensemble le refus implicite opposé à leur recours gracieux ;

3°) d'autoriser l'instruction en famille de leur fille ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement du 29 juin 2023 est entaché d'irrégularité pour défaut de respect du contradictoire, le mémoire en défense du rectorat en date du 13 octobre 2022 ne leur ayant pas été communiqué ;

- en imposant la justification d'une situation propre à leur enfant, le refus en litige méconnaît le 4°) de l'article L. 131-5 du code de l'éducation tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021 ;

- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure dès lors que la procédure prévue à l'article R. 131-11-6 du code de l'éducation n'a pas été respectée ;

- elle est entaché d'un vice de procédure faute d'une décision de la commission visée par l'article D. 131-11-12 du code de l'éducation ;

- elle méconnait les dispositions de l'article R. 131-11-2 du code de l'éducation dès lors qu'il n'est pas établi que la situation de leur fille aurait été examinée par un médecin de l'éducation nationale préalablement à son édiction ;

- la décision de refus du 15 avril 2022 n'est pas suffisamment motivée ;

- le refus contesté méconnait la cohérence de l'organisation de la famille et l'intérêt supérieur de l'enfant au regard de son état de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2024, la rectrice de l'académie de Grenoble conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le jugement du 29 juin 2023 n'est pas entaché d'irrégularité, le contradictoire ayant été respecté en l'espèce :

- les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants sont irrecevables faute d'exercice du recours administratif préalable obligatoire prévu par les articles D. 131-11-10 et D. 131-11-13 du code de l'éducation ou, subsidiairement, en raison de leur caractère prématuré ;

- la décision contestée, prise par une autorité compétente, n'est entachée d'aucun vice de procédure et est suffisamment motivée ;

- elle n'est entachée d'aucune erreur de droit ou erreur de fait ;

- les requérants ne démontrent pas que la scolarisation de leur fille dans un établissement public ou privé serait de nature à compromettre ses intérêts ni que l'instruction en famille serait mieux adaptée à son état de santé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... ont sollicité, en mars 2022, en raison de son état de santé et de sa situation de handicap, l'autorisation d'instruire en famille leur fille B..., née en décembre 2019, au titre de l'année scolaire 2022-2023. Par une décision du 15 avril 2022, l'inspectrice d'académie, directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère a opposé un refus à leur demande. Par un jugement du 29 juin 2023, dont M. et Mme A... interjettent appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 131-5 du code de l'éducation : " Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire définie à l'article L. 131-1 doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé ou bien, à condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille. / (...) / La présente obligation s'applique à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de trois ans. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant : 1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap (...) ". Aux termes de l'article D. 131-11-10 de ce code : " Toute décision de refus d'autorisation d'instruction dans la famille peut être contestée dans un délai de quinze jours à compter de sa notification écrite par les personnes responsables de l'enfant auprès d'une commission présidée par le recteur d'académie ". Aux termes de l'article D. 131-11-11 du même code : " La commission est présidée par le recteur d'académie ou son représentant. Elle comprend en outre quatre membres : 1° Un inspecteur de l'éducation nationale ; 2° Un inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional ; 3° Un médecin de l'éducation nationale ; 4° Un conseiller technique de service social. (...) ". Et aux termes de l'article D. 131-11-12 dudit code : " (...) / La commission se réunit dans un délai d'un mois maximum à compter de la réception du recours administratif préalable obligatoire. La décision de la commission est notifiée dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la réunion de la commission. "

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé ". Aux termes de l'article L. 114-3 du même code : " Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie (...) ". Aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : 2° Lorsque la demande (...) présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif (...) ".

4. S'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision qui ne peut donner lieu à un recours devant le juge de l'excès de pouvoir qu'après l'exercice d'un recours administratif préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l'y a invité, produit la preuve de l'exercice de ce recours, le juge de l'excès de pouvoir doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l'annulation de la décision, née de l'exercice du recours, qui s'y est substituée.

5. En l'espèce, si M. et Mme A... n'ont pas expressément saisi la commission prévue aux articles D. 131-11-10 et suivants du code de l'éducation, ils ont contesté la décision du 15 avril 2022, leur refusant l'autorisation d'instruire en famille leur fille B..., par un courriel du 21 avril 2022 adressé à l'inspectrice d'académie, directrice académique des services de l'éducation nationale de l'Isère, et ce courriel a été suivi, en temps utile, par un recours administratif présenté par leur avocat à la rectrice, ce recours administratif ayant été notifié le 4 mai 2022. Eu égard à son objet et au délai dans lequel il a été présenté, ce dernier, même s'il ne fait pas mention des dispositions de l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation, devait, par application des dispositions de l'article L. 114-2 du code des relations entre l'administration et le public, être transmis à la commission et il a fait naître, en application des dispositions précitées de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, une décision implicite de rejet le 4 juillet 2022. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par l'administration et tirée de ce que les conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir présentées par les requérants sont irrecevables faute d'exercice du recours administratif préalable obligatoire prévu par les articles D. 131-11-10 et D. 131-11-13 du code de l'éducation doit être rejetée. Pour les mêmes motifs, la fin de non-recevoir tirée de ce que la demande, enregistrée le 27 juillet 2022, serait prématurée doit également être rejetée.

En ce qui concerne la légalité de la décision administrative attaquée :

6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, M. et Mme A... ont formé un recours contre le refus opposé à leur demande d'autorisation d'instruire en famille leur fille née en décembre 2019 au titre de l'année scolaire 2022-2023. Ce recours, réceptionné le 4 mai 2022, bien que n'étant pas adressé à la commission compétente pour en connaître, devait, par application des dispositions précitées de l'article L. 114-2 du code des relations entre l'administration et le public, être transmis pour examen à la commission mentionnée à l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation. Or en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette commission, dont la saisine constitue une garantie pour les personnes s'étant vu refuser l'autorisation d'instruire leur enfant en famille, se soit réunie avant la naissance, le 4 juillet 2022, de la décision implicite de rejet du recours de M. et Mme A.... Par ailleurs, s'il résulte des pièces du dossier que la commission, qui s'est tenue le 13 octobre 2022, a autorisé les requérants à instruire leur fille en famille, cette décision n'a été prise qu'en exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et non pas pour statuer sur le recours présenté le 4 mai 2022. Dans ces conditions, M. et Mme A..., qui ont ainsi été privés d'une garantie, sont fondés à soutenir que la décision implicite de rejet opposée à leur recours est entachée d'illégalité et doit être annulée pour ce motif.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ni d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation du refus d'autorisation d'instruire leur fille en famille.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par les requérants étant postérieures à la fin de l'année scolaire 2022-2023 pour laquelle l'autorisation d'instruction en famille litigieuse était sollicitée, elles se trouvent privées d'objet et doivent être rejetées pour ce motif.

Sur les frais d'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droits aux conclusions présentées par M. et Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Grenoble et la décision refusant à M. et Mme A... l'autorisation d'instruire en famille leur fille B... au titre de l'année scolaire 2022-2023 sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02550
Date de la décision : 03/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

30-01-03 ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE. - QUESTIONS GÉNÉRALES. - QUESTIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES ÉLÈVES. - REFUS D'AUTORISATION D'INSTRUCTION EN FAMILLE - SAISINE DE LA COMMISSION MENTIONNÉE AUX ARTICLES D. 131-11-10 ET D. 131-11-11 DU CODE DE L'ÉDUCATION.

30-01-03 Un recours administratif contre une décision portant refus d'autorisation d'instruction en famille, dès lors qu'il est formé dans le délai de 15 jours prévu à l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation, doit être regardé comme le recours administratif préalable obligatoire, prévu par les dispositions cet article, et la commission compétente doit se réunir pour en connaître. L'absence de réunion de cette commission préalablement au rejet de ce recours administratif constitue un vice de procédure, privant l'auteur du recours de la garantie que constitue l'examen de son dossier par cette commission.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : VOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-03;23ly02550 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award