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28/05/2024 | FRANCE | N°22LY02367

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 28 mai 2024, 22LY02367


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Office national l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 197 255 euros en réparation des conséquences dommageables résultant d'une intervention chirurgicale réalisée au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.

Par un jugement n° 1901771 du 31 mai 2022, le tribunal adminis

tratif de Clermont-Ferrand a condamné l'ONIAM à lui verser la somme de 21 193 euros, assortie de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Office national l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 197 255 euros en réparation des conséquences dommageables résultant d'une intervention chirurgicale réalisée au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.

Par un jugement n° 1901771 du 31 mai 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné l'ONIAM à lui verser la somme de 21 193 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2019, en réparation de ses préjudices et une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2022, et des mémoires enregistrés les 30 août et 23 octobre 2022 l'ONIAM, représenté par la SCP UGGC Avocats, agissant par Me Welsch, demande à la cour d'annuler le jugement n° 1901771 du 31 mai 2022 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- la condition d'anormalité permettant une indemnisation au titre de la solidarité nationale n'est pas remplie en l'espèce, dès lors que les douleurs chroniques apparues dans les suites de l'intervention chirurgicale en cause ne constituent pas des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles M. A... aurait été exposé en l'absence de traitement et qu'en outre, la survenance de ces douleurs ne présentait pas une probabilité faible ;

- les seules conséquences de l'atrophie testiculaire droite dont souffre M. A... ne remplissent pas les critères de gravité fixés à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

Par des mémoires en défense enregistrés les 2 novembre et 1er décembre 2022, M. A..., représenté par la SCP Lafond Pogliani Bordas, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de l'ONIAM le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les conséquences dommageables résultant de son intervention pour le traitement d'une hernie inguinale subie le 21 septembre 2011 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, présentent un caractère de gravité et d'anormalité au regard de son état initial et de l'évolution prévisible de celui-ci.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 septembre 2011, M. A..., né le 27 février 1963, a subi, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, une cure prothétique pour le traitement d'une hernie inguinale récidivante. Dans les suites de cette intervention, il a souffert de douleurs neurologiques et d'une atrophie du testicule droit. Le 3 septembre 2018, M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) d'une demande d'indemnisation. Au vu du rapport d'expertise déposé le 22 janvier 2019, cette commission a estimé, par un avis du 8 mars 2019, que les séquelles présentées par M. A... étaient en lien direct avec l'intervention du 21 septembre 2011 et caractérisaient un accident médical non fautif ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale. La demande d'indemnisation adressée par M. A... à l'ONIAM a été rejetée par une décision du 17 juillet 2019. Par le jugement attaqué du 31 mai 2022, dont l'ONIAM interjette appel, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné l'ONIAM à verser à M. A... la somme de 21 193 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2019 en réparation de ses préjudices et une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le droit à réparation au titre de la solidarité nationale :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...)". Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du même code : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 de ce code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 % A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

4. La condition d'anormalité du dommage, prévue par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 22 janvier 2019, que M. A... a été opéré le 21 septembre 2011 au CHU de Clermont-Ferrand pour une cure prothétique d'une seconde récidive de hernie inguinale droite pour laquelle l'indication opératoire était légitime, les récidives exposant à un risque d'étranglement intestinal accru. Les douleurs neurologiques, qui sont apparues dans les jours suivant l'intervention, ont justifié une réhospitalisation précoce. Si l'expert mandaté par la CCI indique, dans son rapport du 22 janvier 2019, que les douleurs neuropathiques chroniques sont la principale complication de ce type d'intervention, il précise qu'en l'espèce, on ne retrouve pas les caractéristiques d'un syndrome neuropathique systématisé, puisque M. A... souffre de douleurs permanentes, électives, centrées sur une masse douloureuse et palpable pouvant correspondre à une partie de la prothèse engainée par une réaction inflammatoire, avec des renforcements paroxystiques déclenchés ou majorés par le contact, qu'il qualifie de syndrome neuropathique atypique non systématisé. Par ailleurs, M. A... présente une atrophie importante du testicule droit, diagnostiquée au cours d'un examen réalisé au printemps 2013, consécutive à une fibrose post opératoire et à l'hématome survenu 3 jours après l'intervention ayant majoré la compression du cordon spermatique. L'expert indique qu'il existe un lien direct et certain entre la survenue des douleurs et l'intervention du 21 septembre 2011 et qu'il en est de même de l'atrophie du testicule droit, qu'il qualifie d'accidents médicaux non fautifs.

6. Il résulte du rapport d'expertise précité que la cure de hernie récidivée inguinale droite a eu pour M. A... des conséquences anormales au regard de son état initial comme de l'évolution prévisible de celui-ci, les douleurs neuropathiques et l'atrophie testiculaire étant des séquelles notablement plus graves que celles auxquelles il aurait été exposé en l'absence de traitement. Il résulte en effet de ce rapport qu'en l'absence de traitement M. A... aurait été exposé à des douleurs et des limitations fonctionnelles, notamment quant au port de charges, mais dont l'intensité aurait été bien moindre que celle des douleurs actuellement présentées, et qu'il aurait été exempt de toute atrophie testiculaire, ces séquelles ayant par ailleurs pour l'intéressé un retentissement psychologique très important, majoré par la prise d'un traitement des douleurs lourd ayant des effets secondaires très gênants dans la vie quotidienne. Les éléments apportés par l'ONIAM ne sont pas de nature à remettre sérieusement en cause l'anormalité des dommages au regard de l'état de santé initial de M. A... ou de son évolution prévisible dès lors qu'il ressort notamment de l'analyse médicale critique produite à l'appui de la requête que la morbidité secondaire à une hernie inguinale non opérée est seulement de 7 % et que le risque de complication majeure dans une telle hypothèse est seulement de 3 %. Ainsi, il résulte de l'instruction que l'acte médical en cause a entraîné chez le requérant des conséquences immédiates notablement plus graves que celles auxquelles il aurait pu être exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Par suite, les conséquences dommageables de cette intervention doivent être regardées, en l'espèce, comme anormales au regard de l'évolution prévisible de son état, quand bien même la probabilité de la survenance de douleurs neuropathiques consécutives à ce type d'intervention n'est pas faible, notamment en cas de récidive.

7. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise qu'une intervention pour une cure de hernie inguinale implique habituellement un arrêt de travail d'une durée d'un mois. Il en ressort également qu'en l'espèce M. A... a été placé en arrêt de travail du 29 septembre au 15 février 2012, puis du 1er novembre 2013 au 1er novembre 2016, date à laquelle il a été déclaré en invalidité du fait des complications. Le rapport d'expertise mentionne en outre que le licenciement de M. A... en mai 2014 est en lien direct avec les arrêts de travail prolongés dus à ces complications. Dès lors, le critère de gravité du dommage doit être regardé comme rempli en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

8. Il résulte de ce qui précède que les conséquences des dommages subis par M. A... remplissent la condition de gravité requise pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale, dont seul le principe est discuté dans le cadre de la présente instance.

9. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 31 mai 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a mis à sa charge une somme de 21 193 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2019, en réparation des dommages subis par M. A... dans les suites de l'intervention effectuée au CHU de Clermont-Ferrand le 21 septembre 2011.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'ONIAM, partie perdante, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu en revanche de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par M. A... en mettant à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est rejetée.

Article 2 : L'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. A... une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

Le greffier en chef,

C. Gomez

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02367


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02367
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : UGGC & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-28;22ly02367 ?
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