Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 14 décembre 2021 par laquelle le président de l'université Jean Monnet de Saint-Etienne l'a suspendu de sa formation en sixième année de médecine jusqu'à la présentation d'un justificatif de vaccination contre la covid-19 et d'enjoindre au président de l'université de Saint-Etienne de le réintégrer dans sa formation " DFASM3 ".
Par un jugement n°2201119 du 22 mai 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Bénagès, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 22 mai 2023 ;
2°) d'annuler la décision de suspension du 14 décembre 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'université de Saint-Etienne une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision en litige procède d'une discrimination et d'une méconnaissance du principe d'égalité ;
- elle est dépourvue de base légale puisque fondée sur l'instruction ministérielle du 7 septembre 2021 ;
- il n'a jamais été en mesure de donner son consentement libre et éclairé aux soins médicaux ;
- au vu de l'évolution de la pharmacovigilance, la décision est entachée d'erreur d'appréciation ;
- la décision de suspension est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors notamment que l'obligation vaccinale n'est ni efficace ni proportionnée à l'objectif poursuivi ;
- à titre subsidiaire, la décision constitue une sanction déguisée ;
- elle est insuffisamment motivée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2024, régularisé par un mémoire du 17 avril 2024, l'université Jean Monnet de Saint-Etienne, représentée par Me Bory, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête d'appel n'est pas recevable ;
- les moyens présentés par M. B... ne sont pas fondés.
Par une décision du 23 août 2023, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,
- les observations de Me Bénagès, représentant M. B..., et celles de Me Conti, représentant l'université Jean Monnet de Saint-Etienne.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., étudiant en sixième année de médecine pour le diplôme de formation approfondie en sciences médicales " DFASM3 ", a fait l'objet d'une décision du 14 décembre 2021 par laquelle le président de l'université Jean Monnet de Saint-Etienne l'a suspendu de sa formation en sixième année de médecine jusqu'à la présentation d'un justificatif de vaccination contre la covid-19. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort du dossier de première instance que M. B... n'avait invoqué, à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon, que des moyens relatifs à la légalité interne de la décision de suspension en litige. Par suite, le moyen, relevant de la légalité externe de cette décision, tiré d'un défaut de motivation de celle-ci, qui relève d'une cause juridique distincte de celle dont relevaient les moyens soulevés en première instance est irrecevable. En tout état de cause, dès lors qu'elle fait mention des dispositions légales et réglementaires applicables ainsi que de l'analyse de la situation personnelle du requérant relative au non-respect de l'obligation vaccinale à laquelle il est soumis en sa qualité d'étudiant, la décision attaquée est suffisamment motivée.
3. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il y soit dérogé pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
4. Il résulte des dispositions de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, en particulier du 4° du I de cet article, qu'à compter du 15 septembre 2021, un étudiant d'un établissement préparant à l'exercice d'une profession de santé au sens de la quatrième partie du code de la santé publique, a fortiori lors de ses périodes de stage en établissement public de santé, qui ne peut présenter ni un certificat de statut vaccinal, ni un certificat de rétablissement valide, ni la preuve de l'administration d'une première dose d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, ni, enfin, un certificat médical de contre-indication répondant aux prescriptions du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié par le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021, pris pour l'application de la loi du 5 août 2021, peut faire l'objet d'une décision de suspension. L'interdiction d'exercer critiquée, s'agissant en particulier d'une personne poursuivant des études en sixième année de médecine préparant à l'exercice des professions de santé, qui se trouve dans une situation différente des étudiants en santé de première année, est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'institue, qui est la protection de la santé. La différence de traitement dont M. B... a fait l'objet, en rapport avec la différence de situation des étudiants et autres personnels n'étant pas soumis à cette obligation, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que la décision attaquée méconnaitrait, pour ce motif, le principe d'égalité ou reposerait sur une discrimination manifeste.
5. En troisième lieu, les articles 12 à 19 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ont institué une obligation de vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication, pour certaines catégories de personnes, dont les professionnels de santé et les étudiants en santé. Le décret du 7 août 2021 a modifié le décret du 1er juin 2021 pour définir notamment les justificatifs relatifs à la vaccination et les cas de contre-indication à celle-ci. La décision du président de l'université du 14 décembre 2021 qui vise la loi susvisée du 5 août 2021, en particulier ses articles 12 à 14, le code de la santé publique et le code de l'éducation, quand bien même elle viserait l'instruction ministérielle du 7 septembre 2021, trouve son fondement légal dans les dispositions des articles 12 à 14 de la loi. M. B... reconnaît d'ailleurs relever du champ d'application de cette loi en raison de l'exercice de ses fonctions dans un établissement de santé au sens de l'article L. 6111-1 du code de la santé publique et dans un établissement mentionné à l'article 12 de la loi du 5 août 2021, ainsi que de la catégorie des étudiants préparant à l'exercice des professions devant se faire vacciner en application des 2° et 3° de l'article 12 de la loi du 5 août 2021. Par suite, le moyen tiré du défaut de base légale ne peut qu'être écarté.
6. En quatrième lieu, le but poursuivi par la vaccination obligatoire n'est pas seulement de répondre, à un instant donné, à une vague épidémique, mais d'obtenir un effet d'une certaine durée, y compris en prévision de vagues futures. A la date du décret du 7 août 2021, les personnes vaccinées avaient douze fois moins de risque de contracter le virus de la covid-19 que les personnes non vaccinées et, en cas de contamination, avaient quatre fois moins de risque de le transmettre que les personnes non vaccinées. L'instauration d'un " passe sanitaire ", puis d'un " passe vaccinal ", selon les modalités fixées par les textes successifs, a permis de maintenir l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements présentant un risque particulier de diffusion du virus. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles et de l'expérience de la période précédente que d'autres mesures, telles que les " gestes barrière " ou le port du masque, n'auraient pas suffi à maîtriser l'épidémie. Il ne ressort des pièces du dossier, ni que les tests auraient présenté des difficultés d'accès ou de réalisation telles qu'elles auraient fait obstacle à l'obtention du " passe sanitaire ", ni que ces mêmes tests auraient présenté des garanties telles qu'elles auraient rendu inutile le régime du " passe vaccinal ". Il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, telle qu'encadrée par le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil. En vertu de ce règlement, l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, quand bien même elle s'accompagne d'une poursuite des études et d'un dispositif de pharmacovigilance destiné à surveiller les éventuels effets indésirables. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles que la vaccination offre une protection très élevée contre les formes graves de la maladie et réduit fortement les risques de transmission du virus, même si des incertitudes s'étaient fait jour sur ce second point, tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ces bénéfices. La préservation des personnes les plus exposées aux formes graves nécessitait non seulement une protection directe mais aussi un ralentissement de la propagation du virus. Il ressort de ces mêmes avis que les personnes rétablies de la maladie ne bénéficient pas d'une immunité aussi durable que celle des personnes vaccinées.
7. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation vaccinale, alors même qu'elle ne garantirait pas totalement l'absence de contamination, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, et que la décision en litige le serait par voie de conséquence. Pour les mêmes raisons, les moyens tirés d'une rupture d'égalité ou d'une méconnaissance du principe de non-discrimination ne peuvent qu'être écartés.
8. En cinquième lieu, le quatrième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique dispose que : " Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ". Si M. B... se prévaut de l'interdiction de la réalisation de tout acte médical ou scientifique sur une personne sans que cette dernière ait préalablement exprimé son consentement libre et éclairé, il est précisément constant qu'il n'a pas été contraint de subir une injection du vaccin contre la covid-19 et qu'il n'a donc été privé d'aucun droit. Par suite, le moyen, qui est inopérant, doit être écarté. En tout état de cause, les dispositions de la loi du 5 août 2021 qui instaurent une obligation de vaccination contre la covid-19 applicable aux professions de santé et étudiants en santé, constituent une restriction au droit institué par l'article L. 1111-4 du code de la santé publique de ne pas recevoir de traitement sans consentement libre et éclairé. Elles sont toutefois directement liées aux risques et exigences spécifiques à l'exercice de ces fonctions. Le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la décision en litige aurait méconnu son droit au consentement libre et éclairé.
9. En sixième et dernier lieu, l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qui soumet notamment les personnels cités au point 4 à l'obligation de vaccination contre la covid-19, détermine les conséquences de la méconnaissance de cette obligation, en prévoyant leur suspension. Lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application de ces dispositions et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité sans prononcer de sanction dès lors qu'elle n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif qu'il aurait commis. Cette mesure, qui ne révèle aucune intention répressive, ne saurait, dès lors, être regardée comme une sanction ou une sanction déguisée. Par conséquent, le moyen tiré de l'existence d'une telle sanction entachant d'illégalité la décision de suspension en litige doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université de Saint-Etienne, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'université de Saint-Etienne sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'université Jean Monnet de Saint-Etienne présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'université Jean Monnet de Saint-Etienne et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2024.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de la Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02453