Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... D..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite par laquelle le département de la Savoie a rejeté la demande indemnitaire dont elle l'a saisi le 4 août 2020 et de condamner ledit département à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi.
Par un jugement n° 2006052 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 3 janvier 2023, Mme D..., représentée par Me Bouhalassa, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 8 novembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision implicite ayant rejeté sa demande indemnitaire et de condamner le département de la Savoie à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;
3°) de mettre à la charge du département de la Savoie une somme de 2 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal, en jugeant que les faits dont elle faisait état n'étaient pas de nature à faire présumer un harcèlement, a commis une erreur d'appréciation ;
- le département de la Savoie, en laissant perdurer un harcèlement moral dont il avait parfaitement connaissance, a violé l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- cette faute lui a causé une perte de rémunération, des frais médicaux que le département a refusé de prendre en charge et un préjudice moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 avril 2023, le département de la Savoie, représenté par la SELARL d'avocats Itinéraires Droit Public, agissant par Me Verne, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme D... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 14 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Auger, représentant le département de la Savoie ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., puéricultrice territoriale, est employée depuis 2008 par le département de la Savoie, au sein de la Maison sociale de Maurienne. Placée en arrêt de travail depuis le 15 octobre 2019, elle a adressé le 27 janvier 2020 aux services du département une déclaration d'accident de service, faisant état de ce qu'elle aurait été agressée le 15 octobre précédent par M. A..., agent chargé des fonctions de coordonnateur de l'équipe de la protection maternelle et infantile (PMI) de Maurienne, agression qui s'inscrivait selon elle dans un contexte d'agissements répétés de M. A..., remontant à plusieurs mois, voire plusieurs années. Le 4 août 2020, alors que l'instruction de cette déclaration était en cours, elle a saisi le département d'une demande tendant au versement d'une indemnité en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime. Mme D... relève appel du jugement du 8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de la Savoie à l'indemniser.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 visée ci-dessus, portant droits et obligation des fonctionnaire, aujourd'hui repris à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. En l'espèce, Mme D... soutient qu'elle a été victime durant plusieurs mois de faits de harcèlement moral de la part de M. A..., coordonnateur de l'équipe de PMI. Elle accuse celui-ci de lui avoir fait des remarques répétées sur son physique et sa manière de s'habiller, de l'avoir sanctionnée d'un avertissement verbal pour son attitude au cours d'une journée de cohésion, de l'avoir menacée d'autres sanctions ainsi que de lui avoir indiqué qu'elle serait considérée comme étant en " abandon de poste " si elle ne venait pas travailler un jour de repos, et de dénigrer ses compétences. Elle soutient également que sa hiérarchie, saisie de ces agissements au printemps 2019, n'a pas réagi, et que cette situation est la cause de sa perte de contrôle lors de la réunion d'équipe du 15 octobre 2019, au cours de laquelle elle ne s'est pas sentie écoutée, et de son placement en arrêt de maladie suite à cet évènement. Toutefois, si la requérante produit deux attestations émanant d'une ancienne médecin coordonnatrice et d'une ancienne infirmière du service, dont l'une précise qu'après son départ à la retraite, Mme D... a évoqué avec elle ses difficultés relationnelles avec M. A..., et l'autre rapporte que ce dernier aurait instauré un climat malsain dans le service et aurait exercé des pressions sur elle pour qu'elle lui fournisse des éléments dont il souhaitait se servir pour appuyer ses revendications concernant sa rémunération, les auteurs de ces attestations n'ont pas été témoins des faits invoqués par la requérante. Ces allégations sont démenties par M. A... et la directrice du service, et aucun des agents interrogés au cours de l'enquête administrative n'a admis avoir été témoin des faits invoqués par la requérante. Il ne ressort pas des échanges de SMS produits par la requérante que lors de ces auditions, les agents ne se seraient pas exprimés librement. Par ailleurs, si la requérante établit avoir sollicité au moins deux fois un entretien avec la directrice de la maison sociale avant son arrêt de maladie, il ressort du compte rendu de l'entretien qu'elle a eu avec elle le 19 septembre 2019 qu'elle a fait part d'une surcharge de travail et de problèmes d'organisation, les difficultés relationnelles avec le coordonnateur n'étant pas mentionnées. Si la directrice de la maison sociale a ultérieurement refusé de recevoir la requérante au cours de son congé de maladie, et l'a invitée à cesser de contacter ses collègues pour le suivi de ses tâches durant son absence, ces messages sont motivés par la nécessité pour la requérante, qui avait déclaré une souffrance liée au travail, de se reposer. Enfin, si la souffrance au travail de la requérante a été médicalement reconnue, et que son administration lui a proposé un soutien psychologique qu'elle a d'ailleurs refusé, le médecin agréé qui l'a examinée le 23 avril 2020 a souligné que peu de faits objectifs étaient avancés. Ainsi, les faits invoqués par Mme D... comme étant de nature à faire présumer une situation de harcèlement moral ne sont pas établis, et l'existence du harcèlement moral dont la requérante dit avoir été victime ne l'est pas davantage. La requérante n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à condamner le département de la Savoie à l'indemniser.
Sur les frais liés au litige :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Savoie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme D.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... le paiement des frais que le département réclame en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Savoie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., épouse B..., et au département de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mai 2024.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00009