Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler les arrêtés des 22 septembre 2017, 30 octobre 2017, 29 novembre 2017, 26 décembre 2017 et 13 février 2018 par lesquels le préfet de la Corse-du-Sud l'a placée puis maintenue en congé de maladie ordinaire du 11 janvier 2017 au 2 mars 2018, à mi-traitement du 11 avril 2017 au 10 janvier 2018 puis du 27 janvier 2018 au 2 mars 2018 ainsi que les deux arrêtés du 11 janvier 2018 par lesquels le préfet de la Corse-du-Sud a rejeté sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service d'un accident survenu le 11 janvier 2017 et de sa pathologie anxio-dépressive et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident et de la maladie avec toutes les conséquences pécuniaires qui s'y attachent.
Par un jugement nos 1701297, 1800024, 1800149, 1800295, 1800305, 1800422 du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé les arrêtés attaqués et enjoint à la préfète de la Corse-du-Sud de reconnaître, dans un délai de deux mois, l'imputabilité au service de la pathologie de la requérante, de lui verser la différence entre le montant des traitements qu'elle a reçus entre le 11 avril 2017 et le 2 mars 2018 et celui du traitement plein qu'elle aurait dû percevoir au titre de cette même période et enfin de prendre en charge les frais médicaux qu'elle a pu exposer depuis le 11 janvier 2017 en raison de cette pathologie.
Par un arrêt n° 20LY00613 du 25 février 2021, sur appel du ministre de l'intérieur, la cour administrative d'appel de Lyon, à qui la requête a été transmise par ordonnance en date du 20 janvier 2020 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat prise en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, a annulé ce jugement, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de Mme B... à fin d'annulation dirigées contre les arrêtés des 22 septembre 2017, 30 octobre 2017, 29 novembre 2017, 26 décembre 2017 et 13 février 2018 et à fin d'injonction en rétablissement de plein traitement y afférant, et rejeté le surplus de ses conclusions.
Par décision n° 451972 du 8 mars 2023, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé l'article 3 de l'arrêt du 25 février 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation des arrêtés du 11 janvier 2018 du préfet de la Corse-du-Sud refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, et a renvoyé, dans cette mesure, le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 23LY00874.
Procédure devant la cour avant cassation
Par requête enregistrée le 19 novembre 2019 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, transmise par ordonnance en date du 20 janvier 2020 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat à la cour administrative d'appel de Lyon et enregistrée au greffe de cette cour, le 13 février 2020, le ministre de l'intérieur demande à cette juridiction d'annuler ce jugement du 3 octobre 2019 du tribunal administratif de Bastia et de rejeter les demandes de Mme B....
Le ministre de l'intérieur soutient que :
- les moyens qu'il invoque en cause d'appel sont de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué et le rejet des demandes présentées au tribunal par Mme B... ;
- à cet égard, le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé et fait droit à des demandes qui relevaient d'un non-lieu à statuer, les arrêtés litigieux portant placement en congés de maladie ayant été retirés en cours d'instance ;
- le moyen tiré du défaut de motivation des arrêtés n° 18-0006-BRH du 11 janvier 2018 manque en fait ;
- les circonstances de l'espèce permettent d'établir que la maladie de Mme B... provient de cause étrangère au service.
Par mémoire enregistré le 11 août 2020, Mme B..., représentée par Me Leturcq, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun moyen de la requête n'est fondé ;
- l'arrêté du 11 janvier 2018 est insuffisamment motivé ;
- le 11 janvier 2017 a eu lieu un accident de service imputable au service, suivi d'une maladie professionnelle.
Procédure devant la cour après cassation
Par un mémoire enregistré le 11 août 2023, Mme B..., représentée par Me Perino Scarcella, conclut en outre à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer, de lui verser la somme de 1 279,78 euros, au titre de la prise en charge des frais médicaux engagés du mois de janvier 2017 au 29 septembre 2018.
Elle soutient que :
- c'est à tort, comme le relève le Conseil d'Etat dans son arrêt du 8 mars 2023, que la cour a exigé un lien certain et déterminant entre son état de santé et ses conditions de travail, pour reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont elle est atteinte, alors que seule l'existence d'un lien direct doit être démontré ;
- sa pathologie anxio-dépressive ne s'était jamais manifestée précédemment et trouve son origine exclusive dans le contexte professionnel délétère dans lequel elle évoluait alors, la réception du courriel du 11 janvier 2017 et la décision d'affectation d'office à un poste non voulu traduisant une perte de responsabilités et une discrimination.
Par un mémoire enregistré le 8 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que, compte-tenu de la cassation, il s'en remet à la sagesse de la cour.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente,
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., attachée principale d'administration de l'Etat, exerçant ses fonctions à la préfecture de la Corse-du-Sud à la date du litige, a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service, d'une part, d'un accident survenu le 11 janvier 2017, d'autre part, d'une pathologie anxio-dépressive. Par cinq arrêtés des 22 septembre 2017, 30 octobre 2017, 29 novembre 2017, 26 décembre 2017 et 13 février 2018, le préfet de la Corse-du-Sud a placé et maintenu Mme B... en congé de maladie ordinaire et a refusé, par deux arrêtés du 11 janvier 2018, de faire droit à sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de cet accident et de cette pathologie. Par un jugement du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé ces arrêtés et enjoint au préfet de la Corse-du-Sud de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie. Par un arrêt du 25 février 2021, rendu sur appel formé par le ministre de l'intérieur, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de Mme B... à fin d'annulation des arrêtés la plaçant et la maintenant en congé de maladie ordinaire ainsi que ses conclusions à fin d'injonction en rétablissement de plein traitement y afférant et rejeté le surplus de ses conclusions dirigées contre les arrêtés du 11 janvier 2018 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 11 janvier 2017 et de sa pathologie. Par une décision du 8 mars 2023, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé l'article 3 de l'arrêt du 25 février 2021 de la cour en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation des arrêtés du 11 janvier 2018 du préfet de la Corse-du-Sud refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, et a renvoyé à la cour, dans cette mesure, le jugement de l'affaire.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des termes mêmes de la décision du tribunal administratif de Bastia, en particulier de son point 6, que les premiers juges, ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que la pathologie anxio-dépressive dont souffrait l'intéressée était imputable au service. Par suite, le moyen du ministre tiré de l'insuffisance de motivation du jugement sur ce point doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat, dans sa version applicable à la date du litige : " le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) ".
5. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la pathologie anxio-dépressive de la requérante est apparue consécutivement aux difficultés et tensions observées dans son cadre de travail, notamment à la suite du rejet de ses candidatures à des postes vacants et conformes à son grade, et de son affectation d'office sur des postes auxquels elle n'était pas candidate, dans des conditions qui ont été jugées constitutives de harcèlement moral par un jugement du tribunal administratif de Bastia du 25 juin 2020, devenu définitif. En outre, les avis médicaux des 13 avril 2017 et 9 février 2018 relèvent l'absence de tout antécédent et concluent à l'existence d'une souffrance psychique liée au travail et la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette pathologie a fait l'objet d'avis favorables tant de la commission de réforme du 21 décembre 2017 que du comité médical départemental du 27 septembre 2018. Si le ministre fait valoir que le comportement de Mme B... serait seul à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail et de la souffrance psychique dont elle fait état, la circonstance qu'elle ait marqué son opposition aux affectations d'office dont elle a fait l'objet, en exerçant notamment plusieurs recours contentieux à l'encontre de l'administration ne saurait constituer une circonstance particulière de nature à détacher la survenance de la maladie du service. Dans ces conditions, la pathologie contractée par Mme B... doit être regardée comme imputable au service dès lors qu'aucun fait personnel ou circonstance particulière ne conduisent à détacher sa survenance du service.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de Mme B..., et a annulé les arrêtés du 11 janvier 2018 du préfet de la Corse-du-Sud refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme B... :
8. Il résulte de l'instruction qu'en exécution du jugement du tribunal administratif de Bastia du 3 octobre 2019, la préfète de la Corse-du-Sud a pris un arrêté n°19-0157-BRH du 29 novembre 2019 portant reconnaissance d'une maladie professionnelle concernant Mme B... dont l'article 3 précise que l'ensemble des frais médicaux inhérents à la maladie professionnelle de l'intéressée sont pris en charge par l'administration. Si, au demeurant pour la première fois en appel, Mme B... demande que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 1 279,78 euros au titre de la prise en charge de frais médicaux engagés entre janvier 2017 et septembre 2018, cette demande indemnitaire présentée sous la forme de conclusions à fin d'injonction porte sur un litige distinct de chiffrage alors que l'annulation prononcée dans le cadre de la présente instance implique uniquement, ainsi que l'a enjoint le tribunal et que l'a exécuté la préfète de la Corde su Sud, de reconnaître le principe de la prise en charge par l'Etat des frais médicaux inhérents à la maladie professionnelle. Les conclusions à fin d'injonction de versement de la somme précitée ne peuvent ainsi être accueillies, sans préjudice de la possibilité pour Mme B... de demander à l'Etat le versement des sommes qu'elle estime lui être dues et d'engager, si elle s'y croit fondée, une action indemnitaire dans l'hypothèse d'un refus.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions restant en litige de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Dèche, présidente,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.
La rapporteure,
P. DècheL'assesseur le plus ancien,
H. Stillmunkes
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00874
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