Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 30 janvier et 28 septembre 2023, ce dernier non communiqué, la société Béon Énergie, représentée par Me Versini-Campinchi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de lui accorder une autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc composé de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Béon ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée, en précisant les prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts protégés, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'intervention de l'association Villes et villages en campagne et autres n'est pas recevable dans la mesure où le président de l'association n'a pas qualité pour la représenter et que les intervenants personnes physiques ne justifient pas que les éoliennes seront visibles depuis chez eux ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le motif tiré de ce que le projet présente un danger pour les intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement et notamment la ressource en eau, est entaché d'erreur d'appréciation ;
- le motif tiré de ce que le projet porterait atteinte aux paysages et à la conservation des sites et des monuments en méconnaissance de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, est entaché d'erreur d'appréciation ;
- le motif tiré de l'incompatibilité du projet avec le projet d'aménagement et de développement durable du plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Jovinien est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation.
Par une intervention enregistrée le 2 juin 2023 et complétée par un mémoire enregistré le 28 septembre 2023, ce dernier non communiqué, l'association Villes et villages en campagne, M. M... H..., M. E... A..., Mme G... D..., M. N... C..., M. et Mme K... et J... I..., M. et Mme B... et L... F..., représentés par Me Collet, demandent que la requête soit rejetée.
Ils soutiennent que :
- leur intervention est recevable dès lors qu'ils ont intérêt au maintien de la décision de refus ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une intervention enregistrée le 28 septembre 2023, non communiquée, l'association Sites et monuments, représentée par Me Collet, demande que la requête soit rejetée.
Elle soutient que :
- son intervention est recevable dès lors qu'elle a intérêt au maintien de la décision de refus ;
- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 22 juin 2023, l'instruction a été close au 29 septembre 2023.
Un mémoire du préfet de l'Yonne a été enregistré le 22 avril 2024, postérieurement à la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2023-372 du 15 mai 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Versini pour la société Béon Énergie ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Béon Énergie demande à la cour d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de lui accorder une autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc composé de trois éoliennes, de hauteurs respectives de cent-quatre-vingt, cent-quatre-vingt-dix et deux cents mètres en bout de pâle, d'une puissance de 12,6 MW et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Béon.
Sur les interventions :
2. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, défendeur, à qui la requête a été communiquée, et auquel s'est substitué à compter du 1er juillet 2023 le préfet de l'Yonne par application du décret du 15 mai 2023 visé ci-dessus, n'a pas présenté, avant la clôture de l'instruction, de mémoire tendant à son rejet. Par suite les interventions présentées, d'une part, par l'association Villes et villages en campagne, M. H..., M. A..., Mme D..., M. C..., M. et Mme I..., M. et Mme F... et, d'autre part, par l'association Sites et monuments, qui tendent au rejet de la requête, ne sont pas recevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la légalité de l'arrêté du 29 novembre 2022 :
3. Pour refuser d'accorder à la société Béon Énergie l'autorisation d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Béon, le préfet de l'Yonne s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, des risques que fait porter le projet sur les intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement, d'autre part, des atteintes portées par le projet aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en particulier les atteintes au paysage et à la conservation des sites et des monuments et, enfin, de l'incompatibilité du projet avec le plan local d'urbanisme de la communauté de communes du Jovinien.
En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement :
4. En application de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du même code. L'article L. 211-1 prévoit que : " I.- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : (...) 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; ".
5. Le préfet de l'Yonne a estimé, qu'au regard de la probabilité importante que des fondations superficielles soient insuffisantes, de la localisation du projet dans une zone karstique présentant de nombreuses cavités connexes entre elles, du risque fort de mouvements de terrain favorisant la survenance d'accidents et des conséquences graves qu'aurait la dégradation de ressources en eaux stratégiques, le projet de parc éolien de la société Béon Énergie présente des dangers et inconvénients pour les intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement.
6. Si la société requérante fait valoir que la mobilisation de la source de la Fontaine Saint-Edme à Béon, dont le périmètre de protection éloignée inclut l'emprise du projet, n'est qu'hypothétique, il ressort des termes mêmes de l'arrêté que ce projet se situe également au droit des nappes de la Craie du Gâtinais et de l'Albien-Néocomien captif, cette dernière étant considérée comme une ressource stratégique pour l'alimentation des populations actuelles et futures dans le bassin Seine-Normandie. Ainsi la nécessité de protéger la ressource en eau aux droits du projet n'est, quelle que soit l'utilisation future de la source de la Fontaine Saint Edme, pas contestable.
7. Il ressort des données fournies par le pétitionnaire dans l'étude d'impact que les eaux souterraines se trouvent à une profondeur de vingt-trois mètres sous l'éolienne E1 et de douze mètres sous l'éolienne E3. D'après la pétitionnaire, qui n'a pas été contredite sur ce point, le projet s'inscrit en zone non soumise aux débordements de nappes et aux inondations de caves, pour laquelle la profondeur estimée du toit, c'est-à-dire la distance entre les eaux souterraines et la surface, sera supérieure à cinq mètres en cas d'évènement centennal.
8. La demande d'autorisation porte sur des éoliennes dont les fondations sont superficielles, d'une profondeur de trois mètres. Par ailleurs, à la suite des échanges avec la DREAL dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation, qui lui reprochait l'absence de mesure pour éviter tout risque de contamination des eaux souterraines, l'exploitant s'est engagé à ce que, en dépit de fouilles éventuellement plus profondes en fonction des résultats des études géotechniques préalables au chantier, celles-ci n'excèdent pas cinq mètres.
9. Comme l'a indiqué le préfet, et comme l'a révélé l'étude d'impact, le projet se trouve dans une zone karstique présentant de nombreuses cavités connexes entre elles et la probabilité existe que des fondations superficielles soient insuffisantes. Ainsi, et comme l'avait proposé le pétitionnaire, le préfet pouvait exiger du pétitionnaire de lever cette incertitude avant la délivrance de l'autorisation, en complétant son dossier par des études géotechniques et hydrologiques plus poussées. Il pouvait également accorder cette autorisation sous réserve de limiter la profondeur des fondations à trois mètres et, comme il l'avait fait dans le premier projet d'arrêté établi par ses services et porté à la connaissance du pétitionnaire le 22 septembre 2022, subordonner le lancement du chantier de construction à la réalisation d'une étude géotechnique visant à identifier la nature du sol et à définir le type de fondation adaptée pour l'implantation des aérogénérateurs, parmi les types prévus dans le dossier de demande d'autorisation et pour lesquels les impacts avaient été analysés. Et si l'étude géotechnique venait à démontrer la nécessité de mettre en œuvre des fondations différentes de celles présentées dans ce dossier, il pouvait exiger du pétitionnaire de présenter une demande de modification du projet en application de l'article R. 181-46 du code de l'environnement.
10. Si le préfet a également souligné que la localisation du projet dans une zone karstique présentant de nombreuses cavités connexes entre elles l'exposait à un risque fort de mouvements de terrain favorisant la survenance d'accidents comme de fuites importantes de béton dans le sous-sol, susceptibles de provoquer en cours de chantier la pollution de la nappe, la réalisation de l'étude géotechnique évoquée au point précédent, en amont des travaux, aurait permis de s'assurer de la stabilité des sols et de confirmer l'absence de cavité ou de la possibilité de les combler sans impacter les eaux souterraines. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le pétitionnaire s'est engagé, à la suite du rapport établi par la MRAe, à mettre en place un plan de prévention adapté pour éviter tout risque de pollution accidentelle des eaux souterraines, ce plan incluant l'installations de piézomètres afin de déterminer précisément les hauteurs des nappes au droit du site d'implantation, un suivi par caméras, un suivi physico chimique des piézomètres et du captage de la fontaine Saint-Edme, et un arrêt du chantier en cas d'incident ou d'accident.
11. Dans ces conditions, et alors que l'administration pouvait assortir l'autorisation de prescriptions permettant de prévenir les dangers ou inconvénients aux intérêts protégés par l'article L. 211-1 du code de l'environnement, le préfet ne pouvait refuser d'accorder l'autorisation sollicitée au motif que le projet porterait atteinte à ces intérêts.
En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :
12. Le préfet a retenu que le projet portait atteinte aux paysages ainsi qu'à la conservation des sites et des monuments.
13. S'agissant des paysages, le projet de parc éolien se trouve dans l'unité paysagère du plateau du Gâtinais, également dénommée Gâtinais méridional. Ce plateau descend en pentes douces au nord-est vers la vallée de l'Yonne, qui est surmontée à l'est par des rebords permettant d'avoir, notamment depuis le GR 213, des vues franches sur le plateau du Gâtinais. L'Yonne est bordée de différentes villes, notamment Joigny, située à quelques kilomètres au nord-est du projet, qui dispose d'un patrimoine touristique important et dont la communauté de communes a obtenu le label " Pays d'art et d'histoire " en décembre 2020, à l'issue d'une procédure au cours de laquelle les qualités paysagères de son territoire ont été reconnues. D'autres plateaux agricoles plus ou moins boisés sont situés au nord-ouest et à l'ouest. Au sud-est, la Champagne du Tholon est une vaste zone occupée par de grandes cultures, associées localement à des prairies, notamment dans les fonds de vallées. De grandes forêts, comme celle d'Othe, située au nord-est, viennent refermer le paysage. Certaines de ces zones ont été définies, par l'outil d'aide à la cohérence patrimoniale et paysagère de l'éolien de l'Yonne, d'octobre 2016, comme des zones où la sensibilité à l'accueil de l'éolien est très fort. Ces paysages sont assez peu anthropisés, même si un parc éolien, le parc des Beaux-Monts, situé dans la Champagne du Tholon à six kilomètres six cents à l'est du projet et à seulement cinq kilomètres de Joigny, avait d'ores et déjà été autorisé à la date du refus opposé par le préfet et est désormais construit.
14. Le plateau du Gâtinais est lui-même entrecoupé de reliefs peu élevés et de vallons où l'agriculture et les boisements se côtoient. Le village de Béon, sur le territoire duquel se trouve le projet, est principalement niché au sein d'un vallon. Les éoliennes sont implantées sur une colline qui le domine. Deux sentiers de randonnée locaux se trouvent à proximité du projet. L'outil d'aide à la cohérence patrimoniale précité identifie cette partie du territoire comme une zone de sensibilité forte à l'éolien.
15. Si la hauteur des éoliennes, ainsi que leur emplacement sur un petit relief du plateau du Gâtinais, les rendent visibles à des distances importantes, toutefois, elles ne se trouvent pas pour autant, comme l'indique l'arrêté litigieux, en position sommitale en rebord du plateau qui domine la vallée de l'Yonne, mais plus en retrait, sans être en surplomb direct de celle-ci. Depuis cette dernière et les rebords qui la dominent à l'est, les vues sur les éoliennes demeurent lointaines. Depuis les environs plus proches, les forêts qui les entourent en diminuent la perception. Contrairement à ce qu'indique le préfet dans l'arrêté litigieux, et compte tenu notamment du parc des Beaux-Monts, composé de onze mats, qui a déjà été autorisé dans le secteur, le projet litigieux n'entraîne pas une transformation très importante du paysage ouvert de la vallée de l'Yonne et de nombreux points de vue qui la surplombent dans un paysage jusque-là dépourvu d'éoliennes, mais introduit seulement trois nouveaux mats dans le paysage, dans une zone non dépourvue d'éoliennes. Si ce projet sera, comme celui de Beaux-Monts, visible depuis certains points du centre ancien et sauvegardé de Joigny ou encore depuis le chemin de grande randonnée qui surplombe la ville et longe l'Yonne, cette circonstance, compte tenu notamment de l'éloignement des machines et des très larges étendues qui, depuis ces lieux, restent ouvertes au regard et ce, malgré le parc de Beaux-Monts, n'a pas en soi pour effet d'en dégrader notablement le caractère patrimonial.
16. Dans ces conditions, en l'absence d'atteinte significative aux paysages, le préfet de l'Yonne a fait une inexacte application des dispositions des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement en refusant d'accorder l'autorisation sollicitée pour ce motif.
17. S'agissant de l'atteinte aux monuments et aux sites, l'aire d'étude du projet comprend cent-quinze monuments historiques, sept sites classés ou inscrits au titre du code de l'environnement et trois sites patrimoniaux remarquables dont celui de Joigny, situé à sept kilomètres. Le préfet s'est fondé sur l'atteinte portée par le projet à cinq sites inscrits ou classés au titre des monuments historiques ainsi qu'à la rupture d'échelle et à l'effet d'écrasement sur le patrimoine bâti du village de Béon, en particulier son église isolée et l'ancien prieuré de chartreux de Valprofonde.
18. Si la situation de l'église Saint-Étienne-Saint-Firmin de Senan classée au titre des monuments historiques depuis 1911, distante de quatre kilomètres quatre cents des éoliennes, engendre une covisibilité avec le projet, notamment depuis l'entrée du village, les abords de l'église sont fermés par les nombreux éléments bâtis autour, les éoliennes n'apparaissant qu'au loin, sans être prégnantes dans le paysage.
19. Depuis l'église Saint-Aubin à Saint-Aubin-sur-Yonne, classée au titre des monuments historiques depuis 1913, et située à sept kilomètres deux cents du parc, au sein du village, sur le rebord de la vallée de l'Yonne, les éoliennes sont visibles en alignement, limitant ainsi leur perception, bien qu'elles dépassent de la ligne d'horizon.
20. Depuis le château de Fey, situé dans un écrin végétal sur les hauteurs dominant la vallée de l'Yonne, à huit kilomètres quatre cents du projet et qui est inscrit au titre des monuments historiques depuis 1973, le projet n'est apparent que depuis l'esplanade arrière du château, à partir de laquelle une trouée offre une vue dominante sur les paysages de la vallée de l'Yonne. Si les éoliennes émergent au milieu de ce panorama, toutefois, le château de Fey est principalement tourné vers sa cour intérieure et des dépendances, qui n'ont aucune vue sur le parc éolien.
21. Bien que l'emplacement de la chapelle de Vauguilain à Saint-Julien-du-Sault, classée au titre des monuments historiques depuis 1959 offre une vue dominante sur le village de Saint-Julien-du-Sault, la vallée de l'Yonne et le plateau du Gâtinais, sur lequel sont implantées à plus de neuf kilomètres les trois éoliennes, ce paysage est déjà marqué, au premier plan, par des silos industriels installés au bord de la voie ferrée dont l'emprise visuelle et l'attraction qu'ils exercent sur le regard sont bien supérieures à celles générées par les éoliennes.
22. Les éoliennes sont à sept kilomètres de la ville de Joigny, qui constitue un site remarquable et a obtenu le label " Ville d'art et d'histoire " en 1991 et sont visibles depuis le parvis de l'église Saint-Jean-de-Joigny, classée depuis 1913 au titre des monuments historiques. Mais leur éloignement et la présence de bâtiments qui les masquent en grande partie préviennent tout impact significatif des éoliennes sur ce site.
23. Malgré la proximité des éoliennes du village de Béon, au vu des photomontages produits, la configuration des lieux, notamment la situation en creux de vallon de ce village et la forme des collines qui l'entourent, permettent d'éviter toute rupture d'échelle et un effet d'écrasement tels qu'il en résulterait une atteinte au patrimoine bâti du village, qui ne dispose au demeurant d'aucune protection particulière. Si l'église de Béon, qui n'est pas non plus protégée au titre des monuments historiques, est située, contrairement au reste du village, sur le flanc de la colline, l'emprise visuelle des éoliennes depuis cet édifice demeure, sur le panorama à près de trois-cent-soixante degrés dont elle dispose, limitée. Enfin, l'ancien prieuré de chartreux de Valprofonde est implanté dans une combe, entièrement boisée. Si les éoliennes et le prieuré se trouvent en situation de covisibilité depuis la route d'accès à ce dernier, elles restent en partie masquées, seuls leurs rotors dépassant, de sorte que l'atteinte paraît, là encore, réduite.
24. Dans ces conditions, le préfet de l'Yonne a fait une inexacte application des dispositions des articles L. 181-3 du code de l'environnement et de l'article L. 511-1 en refusant d'accorder l'autorisation sollicitée pour assurer la conservation de ces sites et monuments.
En ce qui concerne l'incompatibilité avec le plan local d'urbanisme :
25. Il résulte des articles L. 421-5 et L. 421-8 du code de l'urbanisme, du premier alinéa de l'article R. 425-29-2 du même code et de l'article D. 181-15-2 du code de l'environnement que les projets d'installation d'éoliennes terrestres soumis, depuis le 1er mars 2017, à autorisation environnementale sont dispensés de l'obtention d'un permis de construire ce qui n'a, toutefois, ni pour objet ni pour effet de dispenser de tels projets du respect des règles d'urbanisme qui leurs sont applicables, les dispositions de ces articles mettant à la charge de l'autorité administrative, à l'occasion de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, l'examen de la conformité des projets d'installation d'éoliennes aux documents d'urbanisme applicables. Ces dispositions assurent ainsi le respect, par les projets d'installation d'éoliennes terrestres, des prescriptions du plan local d'urbanisme, notamment celles relatives à la hauteur des constructions et installations.
26. Toutefois, le projet d'aménagement et de développement durable d'un plan local d'urbanisme, prévu par l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, n'est pas directement opposable aux demandes d'autorisation de construire qui n'ont pas non plus à être compatibles avec lui. Il en va de même des demandes d'autorisation environnementale. Par suite, le préfet ne pouvait refuser d'accorder l'autorisation sollicitée au motif que le projet ne serait pas compatible avec la protection du cône de vue de la côte Saint-Jacques identifié dans le projet d'aménagement et de développement durable du plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté de communes du Jovinien.
27. Ainsi, aucun des motifs sur lesquels le préfet s'est fondé pour refuser d'accorder l'autorisation litigieuse n'est légal.
28. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner le dernier moyen de la requête, que la société Béon Énergie est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 29 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Yonne a refusé de lui accorder l'autorisation sollicitée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
29. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
30. Le préfet de l'Yonne n'a invoqué aucun motif d'irrégularité de la procédure mise en œuvre, ni aucune atteinte autre que celles précédemment analysées et ayant justifié le rejet de la demande de la société. Dans ces conditions, eu égard aux motifs d'annulation retenus, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale sollicitée, d'autre part, en la renvoyant devant le préfet de l'Yonne pour fixer les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement et notamment celles résultant des points 4 à 11 du présent arrêt, enfin, en ordonnant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
31. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation ainsi délivrée par la cour et l'information des tiers, le maire de Béon et le préfet de l'Yonne procéderont, conformément à l'article R. 181-44 du code de l'environnement, dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt, à son affichage à la mairie de Béon pendant une durée minimum d'un mois, à sa publication sur le site internet des services de l'État du département de l'Yonne pendant une durée minimale de quatre mois et à son envoi aux conseils municipaux et aux autorités locales qui ont été consultées.
Sur les frais liés au litige :
32. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Béon Énergie et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions de l'association Villes et villages en campagne et autres et de l'association Sites et monuments ne sont pas admises.
Article 2 : L'arrêté du 29 novembre 2022 du préfet de l'Yonne est annulé.
Article 3 : L'autorisation environnementale pour la construction de trois aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Béon est accordée à la société Béon Énergie.
Article 4 : La société Béon Énergie est renvoyée devant le préfet de l'Yonne pour que soient fixées les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement.
Article 5 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de fixer les prescriptions mentionnées à l'article 4 dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 6 : L'État versera à la société Béon Énergie une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 8 : Le préfet de l'Yonne et le maire de Béon procèderont aux mesures de publicités prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société Béon Énergie, à la commune de Béon, au préfet de l'Yonne, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à M. N... C..., désigné en qualité de représentant unique de l'association Villes et villages en campagne et autres, et à l'association Sites et monuments.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY00340
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