Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société par actions simplifiée Hydromécanique et frottement (SAS H.E.F) a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge des retenues à la source mises à sa charge au titre des années 2015 à 2017 à hauteur de la somme de 22 813 euros.
Par un jugement n° 2007096 du 17 mai 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2022, la SAS H.E.F, représentée par Me Teissier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et lui accorder la décharge sollicitée ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas contesté que les sommes versées par elle aux prestataires étrangers notamment les sociétés Mazars et Gibs doivent en principe être soumises à une retenue à la source en France sur le fondement de l'article 182 B du code général des impôts ;
- toutefois, l'article 14 de la convention fiscale franco-chinoise fait obstacle à l'imposition en France de ces honoraires dès lors que ces sociétés sont résidentes fiscales chinoises et sont assujetties à l'impôt dans cet Etat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le moyen soulevé n'est pas fondé.
Une ordonnance du 1er juin 2023 a fixé la clôture de l'instruction au 13 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention signée le 23 novembre 2013 entre la France et la Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lagnier pour la SAS H.E.F ;
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) H.E.F est à la tête du groupe international du même nom spécialisé dans l'ingénierie des surfaces. Ne disposant pas de personnel, elle fait appel, pour le contrôle de ses filiales, à des prestataires, comme des cabinets d'avocats et des consultants, implantés dans le même pays que celles-ci, pour assurer des missions d'audit et d'expertise. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a soumis à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts les honoraires versés par la société H.E.F à ces prestataires au titre des exercices clos les 31 octobre 2015, 31 octobre 2016 et 31 octobre 2017. La société H.E.F relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces retenues à la source, ainsi que des intérêts de retard et de la majoration de 10%, à hauteur de la somme de 22 813 euros correspondant aux retenues à la source opérées sur les honoraires versés aux sociétés Shanghai Mazars Certified Public Accountants et Beijing Sj Grand Economic Consulting (Gibs).
Sur les conclusions en décharge :
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale française :
3. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : " I. - Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / (...) c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. (...) ". Il résulte de ces dispositions que sont soumises à retenue à la source les sommes payées par une société qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés qui n'y disposent pas d'une installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations qui sont, soit matériellement fournies en France, soit, bien que matériellement fournies à l'étranger, effectivement utilisées par le débiteur pour les besoins de son activité en France.
4. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'au cours de la période vérifiée, la société H.E.F a versé aux sociétés Shanghai Mazars Certified Public Accountants et Gibs, lesquelles ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France, des honoraires en rémunération de prestations de conseils. Il est constant que ces prestations, bien que matériellement exécutées à l'étranger par ces sociétés, ont été effectivement utilisées par la société H.E.F pour opérer en France des choix de gestion, contrôler ses filiales et plus généralement dans le cadre de son activité de holding exercée en France. Dans ces conditions, les prestations litigieuses doivent être regardées comme utilisées en France au sens des dispositions du c du I de l'article 182 B du code général des impôts. Par suite, c'est à bon droit que les sommes versées en rémunération des prestations en cause ont été assujetties à la retenue à la source sur le fondement des dispositions précitées du code général des impôts.
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-chinoise :
5. Aux termes de l'article 14 de la convention fiscale franco-chinoise : " 1. Les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire de l'exercice d'une profession libérale ou d'autres activités de caractère indépendant ne sont imposables que dans cet Etat ; toutefois, ces revenus sont aussi imposables dans l'autre Etat contractant dans l'un quelconque des cas suivants : / a) si ce résident dispose de façon habituelle, dans l'autre Etat contractant, d'une base fixe pour l'exercice de ses activités ; en ce cas, seule la fraction des revenus qui est imputable à ladite base fixe est imposable dans l'autre Etat contractant ; ou / b) si son séjour dans l'autre Etat contractant s'étend sur une période ou des périodes d'une durée totale égale ou supérieure à cent quatre-vingt-trois jours durant toute période de douze mois commençant ou se terminant durant l'année fiscale considérée ; en ce cas, seule la fraction des revenus qui est tirée des activités exercées dans cet autre Etat est imposable dans cet autre Etat. / c) L'expression " profession libérale " comprend notamment les activités indépendantes d'ordre scientifique, littéraire, artistique, éducatif ou pédagogique, ainsi que les activités indépendantes des médecins, avocats, ingénieurs, architectes, dentistes et comptables. ". Son article 4 stipule que : " 1. Au sens du présent Accord, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son lieu d'enregistrement, de son siège de direction effective ou tout autre critère de nature analogue et s'applique aussi à cet Etat ainsi qu'à toutes ses collectivités locales. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat. (...) ".
6. La société requérante soutient que l'article 14 de la convention fiscale franco-chinoise fait obstacle à l'imposition en France des honoraires versées aux sociétés Shanghai Mazars Certified Public Accountants et Gibs dès lors que ces sociétés sont résidentes fiscales chinoises et sont assujetties à l'impôt dans cet Etat. Si elle produit pour en justifier deux " rapports d'information sur le crédit d'entreprise " concernant ces deux sociétés et une attestation établie par la société Shanghai Mazars Certified Public Accountants du 7 novembre 2018 indiquant qu'aucun certificat de résidence n'a pu être obtenu pour l'année 2014, ces documents ne permettent pas d'établir que ces deux sociétés seraient assujetties à l'impôt sur les sociétés en Chine. En revanche, la société H.E.F produit un certificat de résidence fiscale délivré à la société Gibs au titre des années 2015 à 2017, dont l'administration ne remet pas en cause les mentions, indiquant que cette société y est résidente fiscale au sens de la loi chinoise. Ce certificat indique précisément qu'il est établi afin d'éviter la double imposition des bénéfices de cette société, ce qui démontre qu'elle est soumise à l'impôt sur les sociétés en Chine et qu'elle n'y est pas exonérée en raison de sa nature ou de son activité. Par suite, les honoraires versés à la société Gibs n'étaient imposables qu'en Chine en application des stipulations de l'article 14 de la convention franco-chinoise.
7. Il résulte de ce qui précède que la SAS H.E.F est uniquement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la réduction des retenues à la source opérées sur les honoraires versés à la société Beijing Sj Grand Economic Consulting (Gibs).
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des conclusions présentées par la SAS H.E.F sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La SAS Hydromécanique et frottement est déchargée des retenues à la source opérées sur les honoraires versés à la société Beijing Sj Grand Economic Consulting au titre des années 2015 à 2017.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 17 mai 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Hydromécanique et frottement la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SAS Hydromécanique et frottement est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Hydromécanique et frottement et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Dèche, présidente,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLa présidente,
P. Dèche
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02255
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