Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. H... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 2 juin 2023 par lesquelles la préfète du Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2304502 du 8 juin 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juin 2023 la préfète du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2304502 du 8 juin 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter la demande de M. A....
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité compétente ;
- les moyens soulevés par M. A... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 22 mars 2024, M. A..., représenté par Me Vray, conclut au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, à l'annulation des décisions du 2 juin 2023 en litige, et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros à verser à Me Vray en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience, à laquelle elles n'étaient ni présentes ni représentées.
Le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant algérien né le 23 août 1981, est entré régulièrement en France le 14 mai 1996 au titre du regroupement familial. Il a disposé d'un titre de séjour pour la période du 19 novembre 1999 au 18 novembre 2009. Par un arrêté du 2 juin 2023, la préfète du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé le bénéfice d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par le jugement attaqué du 8 juin 2023, dont la préfète du Rhône interjette appel, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.
Sur le moyen d'annulation retenu par la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon :
2. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 2 juin 2023 par lequel la préfète du Rhône a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon s'est fondée sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué.
3. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la préfète du Rhône, par un arrêté du 31 mai 2023 régulièrement publié au recueil des actes de la préfecture du 1er juin 2023, a donné, à l'article 1er, délégation de signature à Mme B... C..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer d'une manière permanente les actes administratifs établis par sa direction dont relève l'application de la réglementation relative au séjour et à l'éloignement des étrangers, à l'exception des actes réglementaires, circulaires, instructions générales et correspondances destinées aux élus au nombre desquels ne figurent pas les décisions en litige. L'article 2 de cet arrêté précise, qu'en cas d'absence ou d'empêchement de Mme C..., délégation à l'effet de signer les actes visés à l'article 1er est donnée à Mme G... F..., attachée, cheffe du bureau de l'éloignement, lequel appartient à la direction des migrations et de l'intégration et l'article 11 du même arrêté indique qu'en cas d'absence ou d'empêchement de Mme F..., cette délégation est conférée à Mme E... D..., attachée, chargée de mission au bureau de l'éloignement. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... et Mme F... n'auraient pas été absentes ou empêchées le 2 juin 2023, date de signature de l'arrêté en litige. C'est par suite à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions contenues dans l'arrêté litigieux au motif que sa signataire, Mme E... D..., n'avait pas reçu délégation pour les signer.
4. Dès lors, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et en appel.
Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions contestées :
5. En premier lieu, l'arrêté attaqué, par lequel la préfète du Rhône a décidé d'éloigner sans délai M. A... du territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour pendant un an, vise les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de droit interne applicables en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière fondant les décisions contestées. Il mentionne la date et les conditions d'entrée en France de l'intéressé, fait état de l'absence de demande de renouvellement de son certificat de résidence et de son maintien irrégulier sur le territoire français. Il indique en outre que le comportement de M. A... est constitutif d'une menace à l'ordre public, qu'il ne justifie pas de ses moyens d'existence, qu'il a déclaré être sans domicile fixe, célibataire et sans enfant à charge. Il constate par ailleurs que les mesures décidées ne portent pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressé et qu'elles ne sont pas contraires aux stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde de des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'arrêté litigieux comporte ainsi les considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de l'ensemble des décisions qu'il contient. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.
6. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ainsi motivée, ni d'aucune pièce du dossier que le préfet n'aurait pas, préalablement à l'édiction de l'arrêté litigieux, procédé à un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit, ou qu'une convention internationale stipule, que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
8. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / 1. Au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant (...) "
9. Si M. A... fait valoir qu'il est entré en France en 1996 au titre du regroupement familial, qu'il a disposé d'un titre de séjour jusqu'au 18 novembre 2009 et s'il soutient qu'il n'aurait pas quitté le territoire français depuis cette date, il ne produit toutefois aucune pièce attestant d'une présence effective et continue sur le territoire français à compter de cette date. Dans ces conditions, il n'établit pas avoir résidé en France habituellement depuis plus de dix ans à la date de la décision contestée. Par suite le moyen tiré de la violation des stipulations précitées de l'article 6 de l'accord franco-algérien doit être écarté.
10. En deuxième lieu termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Ainsi qu'il a été dit au point 9, M. A... ne justifie pas avoir résidé habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de la décision contestée. Par ailleurs, s'il fait valoir que sa mère est décédée et que tous ses frères et sœurs résident en France, il ne justifie ni de l'existence, ni de la stabilité et de l'intensité de ses liens familiaux en France. En outre, il est constant qu'il est célibataire et sans charge de famille et il ne justifie d'aucune insertion sociale ou professionnelle sur le territoire national. Dans ces conditions la préfète du Rhône n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en édictant à son encontre une obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
12. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1°Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; /(...)/ 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants (...) / 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;(...)/ 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".
13. En l'espèce, il est constant que M. A... s'est maintenu un certain temps sur le territoire français après l'expiration de son titre de séjour le 18 novembre 2009 sans en avoir sollicité le renouvellement. Par ailleurs, il ne conteste pas être sans domicile fixe et il n'a produit aucun élément de nature à justifier qu'il disposerait de ressources propres. Dans ces conditions, la préfète pouvait, en se fondant sur ces motifs et sans commettre d'erreur de droit, considérer qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français pour lui refuser un délai de départ. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :
14. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
15. Dès lors que M. A..., qui ne fait valoir aucune circonstance humanitaire, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement pour laquelle aucun délai de départ n'a été accordé, la préfète du Rhône pouvait légalement prendre à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été précédemment exposé, notamment aux points 9 et 11 du présent arrêt, que le requérant, célibataire et sans famille à charge, ne justifie ni de l'intensité et de la stabilité de ses liens familiaux ou personnels sur le territoire national, ni d'aucune insertion sociale ou professionnelle. Dans ces circonstances, quand bien même il est entré en France en 1996 par la voie du regroupement familial, y a effectué sa scolarité et a disposé d'un certificat de résidence d'une durée de dix ans jusqu'au 18 novembre 2009, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et du caractère disproportionné de la décision litigieuse, tant dans son principe que dans sa durée, doivent être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 2 juin 2023 obligeant M. A... à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et, d'autre part, que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par M. A... doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées pour son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2304502 du 8 juin 2023 de la magistrate désignée du tribunal administrative de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel de M. A... et de son conseil sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... A..., à Me Vray et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président-assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02085