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30/04/2024 | FRANCE | N°22LY03631

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 30 avril 2024, 22LY03631


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. D... et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014, ainsi que des majorations correspondantes.



Par un jugement n° 2002654 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour



Par une requête et des mémoires, enregistr

és le 12 décembre 2022, le 10 juillet 2023 et le 14 mars 2024, M. et Mme A..., représentés par Me Lallemand, demandent à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... et Mme E... A... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 2002654 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 décembre 2022, le 10 juillet 2023 et le 14 mars 2024, M. et Mme A..., représentés par Me Lallemand, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 ainsi que des majorations correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'administration a implicitement eu recours à la procédure de répression des abus de droit et les a privés de la garantie constituée par la saisine du comité de l'abus de droit fiscal ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une société de fait entre Mme B... A... et Mme E... A..., de telle sorte qu'elle ne pouvait remettre en cause le régime du forfait agricole sous le bénéfice duquel Mme E... A... s'était placée ;

- la pénalité de 40 % pour manquement délibéré n'est pas justifiée.

Par des mémoires, enregistrés le 3 juillet 2023 et le 11 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 11 mars 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 27 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laval, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... A... et sa belle-sœur, Mme B... A..., qui exercent, à titre individuel, une activité de viticulture, sont associées et sont cogérantes du groupement foncier agricole du Soleiller, dont elles détiennent chacune 25 % du capital, groupement qui est propriétaire d'un domaine viticole à Creissan (Hérault), qu'elles louent chacune pour la moitié de sa surface et exploitent en appellation AOP St Chinian. A la suite de la vérification de comptabilité de la SARL Vignobles A..., à qui Mmes A... vendent leur production viticole, l'administration, estimant que les intéressées exerçaient leur activité agricole en société de fait, a, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, remis en cause, à compter de l'année 2014, les régimes du forfait agricole puis du micro-BA dont elles bénéficiaient à raison de leur exploitation agricole, motif pris de ce que les recettes de la société de fait dépassaient les seuils en-deçà desquels ces régimes sont applicables. Ces rectifications ont eu pour conséquence, pour le foyer fiscal de Mme E... A..., imposable à l'impôt sur le revenu à proportion des droits qu'elle détient dans cette société de fait, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2014, 2015, 2016. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 18 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à la réduction, en droits et majorations, de l'imposition supplémentaire à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2014.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles./ En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que l'administration s'est fondée sur l'existence d'une société de fait entre Mmes E... et B... A... pour constater que les recettes de l'exploitation dépassaient les seuils du régime du forfait et du régime micro-BA et leur substituer le régime réel simplifié. Ce faisant, l'administration s'est bornée à qualifier une situation de fait, résultant du comportement de Mmes A... dans l'exploitation de leurs parcelles respectives, dont elle a déduit que chacune avait, dans les faits, apporté les parcelles qu'elles louaient distinctement à l'exploitation d'une seule et même entreprise, qu'elles géraient ensemble et aux résultats de laquelle elles participaient conjointement. Elle n'a, à aucun moment, entendu écarter les actes passés par chacune d'entre elle, qu'il s'agisse des contrats de location des parcelles de vignes qu'elles exploitaient, des contrats d'entraide et des contrats d'achats de vendange, dont elle a seulement relevé la similarité et la simultanéité. L'administration ne peut, dès lors, être regardée comme ayant implicitement mis en œuvre la procédure de répression des abus de droit. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition doit, par suite, être écarté.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

4. Aux termes de l'article 238 bis L du code général des impôts : " Les bénéfices réalisés par les sociétés créées de fait sont imposés selon les règles prévues au présent code pour les sociétés en participation ". Aux termes de l'article 8 du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) / Il en est de même, sous les mêmes conditions : / 2° Des membres des sociétés en participation (...) ".

5. L'existence d'une société de fait entre deux personnes est subordonnée tant aux apports faits à cette entreprise par ces personnes qu'à la participation de celles-ci à la direction et au contrôle de l'affaire, d'une part, aux bénéfices et aux pertes, d'autre part. Il appartient à l'administration d'établir l'existence d'une société de fait.

6. Il résulte de l'instruction que Mmes E... A... et B... A... ont conclu avec le groupement foncier agricole Soleiller, constitué avec leurs époux et dont elles sont, chacune, associées, deux baux à ferme, prenant effet au 1er janvier 2005, portant respectivement sur 3 hectares 65 ares 57 centiares et 3 hectares 65 ares et 55 centiares d'un unique domaine viticole situé à Creissan, exploité avant son rachat par le groupement foncier agricole, par un même viticulteur. Mmes A... ont confié, par deux contrats d'entraide agricole, conclus le même jour, au même prestataire, la réalisation de prestations similaires, à savoir, notamment, des travaux d'épandage phytosanitaire et de rognage, la participation aux vendanges et le pressurage du raisin. Ainsi, la même personne assure l'entretien et l'exploitation de leurs parcelles, qui forment un tout contigu, même si chacune a été divisée en deux, cette séparation étant simplement matérialisée par la présence d'affichettes. Mmes A... ont, également, signé avec la société Vignobles A..., détenue par leurs époux, qui est leur unique client depuis 2005, les mêmes contrats pluriannuels d'exclusivité de vente de l'intégralité de leurs récoltes, donnant lieu à l'établissement, à la même date, de factures annuelles quasi-identiques. Elles ont, par ailleurs, eu recours au même transporteur pour assurer la livraison commune de leurs productions et stockent leurs récoltes à la même adresse. Les déclarations de récolte déposées par chacune des viticultrices révèlent, en outre, une similitude de production en volume par appellation, ainsi, d'ailleurs, qu'une abstention simultanée de récolte au titre de la campagne 2013-2014. Enfin, il résulte de l'instruction que Mmes A... se partagent les recettes de l'exploitation, proportionnellement à la surface des parcelles qu'elles louent et il n'est pas contesté qu'elles prennent, ensemble, en charge les dépenses nécessaires à l'exploitation telles que l'achat des produits phytosanitaires, le carburant pour le matériel, l'assurance, l'eau et l'électricité du bâtiment agricole, dépenses reconstituées forfaitairement par le vérificateur. Il en résulte que Mmes A... participent à la gestion d'une même exploitation, dont elles tirent des bénéfices similaires et dont elles sont susceptibles de subir les mêmes pertes. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant que les intéressées avaient, en termes d'apport, de gestion et de participation aux résultats d'une exploitation unique, constitué une société de fait, la circonstance qu'elles tenaient des comptabilités distinctes, utilisaient des comptes bancaires séparés et commercialisaient leurs productions sous leur propre nom ne suffisant pas, alors même que les récoltes auraient été vendues, certaines années, à des prix différents, à remettre en cause l'existence, entre elles, d'une telle société de fait. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a pris en compte la totalité des recettes déclarées par chacune d'elles et a, en conséquence, remis en cause le régime du forfait agricole pour les années 2014 et 2015 et le régime micro-BA pour l'année 2016 et établi, sur cette base, le montant des bénéfices agricoles imposables de Mme E... A..., à proportion des droits qu'elle détient dans cette société de fait.

Sur les majorations :

7. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

8. En relevant que Mme A... avait procédé, avec sa belle-sœur, à la division du domaine agricole qu'elles cultivaient en deux entreprises distinctes, en dépit des conditions réelles d'exploitation, qui révèlent l'existence, entre elles, d'une société de fait, ce qui lui a permis de bénéficier, pendant plusieurs années, d'un régime d'imposition plus favorable, l'administration établit l'intention délibérée de Mme A... d'éluder l'impôt. Par suite, le moyen tiré de ce que l'application de la majoration prévue par les dispositions précitées n'est pas fondée doit être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et Mme E... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Courbon, présidente de la formation de jugement,

M. Porée, premier conseiller,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2024.

Le rapporteur,

J.-S. Laval

La présidente,

A. Courbon

La greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03631


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03631
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-01-01-02-02 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Questions communes. - Personnes imposables. - Sociétés de fait.


Composition du Tribunal
Président : Mme COURBON
Rapporteur ?: M. Jean-Simon LAVAL
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS LAWREA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22ly03631 ?
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