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30/04/2024 | FRANCE | N°22LY01414

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 30 avril 2024, 22LY01414


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



L'association " Bien Vivre à Replonges " a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté des préfets de l'Ain et de Saône-et-Loire du 28 juin 2021 portant autorisation environnementale au titre des articles L. 181-1 et suivants du code de l'environnement pour la reconstruction du pont de Fleurville sur le territoire des communes de Pont-de-Vaux (Ain) et de Montbellet (Saône-et-Loire), tenant lieu d'autorisation au titre de l'article L. 214-3 du même code et de dérogatio

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association " Bien Vivre à Replonges " a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté des préfets de l'Ain et de Saône-et-Loire du 28 juin 2021 portant autorisation environnementale au titre des articles L. 181-1 et suivants du code de l'environnement pour la reconstruction du pont de Fleurville sur le territoire des communes de Pont-de-Vaux (Ain) et de Montbellet (Saône-et-Loire), tenant lieu d'autorisation au titre de l'article L. 214-3 du même code et de dérogation aux interdictions d'atteintes aux espèces protégées et à leurs habitats au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 de ce code.

Par un jugement n° 2107709 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté conjoint.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 mai et 23 juin 2022, le département de l'Ain, représenté par la SCP Nicolay - de Lanouvelle, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 mars 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'association " Bien Vivre à Replonges " devant le tribunal administratif de Lyon ;

3°) de mettre à la charge de cette association une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas visé l'ensemble des textes dont il a fait application ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la nécessité de prévoir un pont provisoire est avérée ;

- l'impact économique et environnemental de l'obligation pour les usagers de la route d'accéder aux voies de franchissement alternatives du pont n'a pas été évalué ;

- la solution proposée par l'association ne peut être considérée comme une autre solution satisfaisante au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, en comparaison de son impact davantage défavorable aux espèces protégées que celui de la solution autorisée telle qu'assortie des mesures d'évitement, de réduction et de compensation prévues par le pétitionnaire.

Par une ordonnance du 13 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me Raffin, pour l'association " Bien vivre à Replonges ".

Une note en délibéré, enregistrée le 9 avril 2024, a été présentée pour l'association " Bien vivre à Replonges ".

Considérant ce qui suit :

1. Le département de l'Ain a déposé le 12 juin 2019 auprès des préfets de l'Ain et de Saône-et-Loire une demande d'autorisation environnementale pour la construction, en amont du pont de Fleurville, d'un nouvel ouvrage d'une longueur de 272 mètres afin de remédier aux difficultés de circulation et aux restrictions impliquées par la fragilité de ce pont, de maintenir le franchissement de la Saône pour les usagers, de rétablir une liaison sécurisée entre les départements de l'Ain et de Saône-et-Loire pour les véhicules, d'améliorer les circulations locales et notamment douces, et de permettre le croisement de deux véhicules et de faciliter l'entretien ultérieur de l'ouvrage. Outre les avis recueillis par ailleurs, le conseil national de protection de la nature (CNPN) et l'autorité environnementale (AE) ont, au début de l'année 2020, chacun émis un avis, pour l'un favorable sous conditions et, pour l'autre, assorti de recommandations appelant en particulier à une analyse des répercussions du nouvel ouvrage en termes de circulations motorisées induites et de nuisances associées, ainsi que des variantes sur des bases actualisées et cohérentes, et à une meilleure caractérisation des zones de chantier. L'enquête publique s'est déroulée du 6 juillet au 19 août 2020. Dans son rapport du 18 septembre 2020, le commissaire enquêteur s'est déclaré défavorable au projet de construction d'un nouvel ouvrage en amont de celui existant. Le département de l'Ain a organisé une réunion de concertation avec les élus et partenaires locaux le 21 janvier 2021 et une réunion publique s'est tenue à Pont-de-Vaux le 27 janvier 2021. Par une délibération du 1er février 2021, le conseil départemental de l'Ain, en application de l'article L. 123-16 du code de l'environnement, a réitéré la demande d'autorisation environnementale relative à ce projet. Par un arrêté du 28 juin 2021, les préfets de l'Ain et de Saône-et-Loire ont accordé au département de l'Ain l'autorisation environnementale demandée au titre des articles L. 181-1 et suivants du code de l'environnement tenant lieu d'autorisation au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement et de dérogation aux interdictions d'atteintes aux espèces protégées et à leurs espaces au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 de ce même code. Le département de l'Ain relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté conjoint des préfets de l'Ain et de Saône-et-Loire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le département de l'Ain, qui se borne à soutenir que le jugement ne précise pas l'ensemble des textes dont il a fait application, sans donner davantage d'éléments à l'appui de son argument, ne permet pas à la Cour d'apprécier le moyen tiré de l'irrégularité du jugement sur ce point.

3. En second lieu, si le département de l'Ain fait valoir l'insuffisante motivation du jugement en litige, en tant notamment que le tribunal n'a pas régulièrement justifié que la solution alternative existante invoquée par l'association requérante présenterait un impact moindre sur l'environnement que la solution autorisée par l'arrêté du 28 juin 2021, ou que l'association n'apportait aucun élément pour réfuter l'argumentaire de l'exposant à ce titre, que " la réalisation du projet contesté n'impliquerait qu'une amélioration marginale des continuités écologiques, qu'il s'agisse de l'écoulement des eaux ou de la circulation des sédiments ", de telles considérations relèvent non de la régularité du jugement mais de son bien-fondé.

4. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté en toutes ses branches.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. L'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit que : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Il résulte du 4° du I de l'article L. 411-2 du même code que l'autorité administrative peut délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies les trois conditions distinctes et cumulatives tenant en premier lieu, à l'absence de solution alternative satisfaisante, " pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle ", en deuxième lieu, au fait de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à l'existence d'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, parmi lesquels : " c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".

6. Il résulte de ces dispositions, qui transposent en droit interne l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats ", que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où de telles mesures présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

7. Le projet contesté, qui comporte la réalisation d'un pont composé de quatre travées avec deux culées sur les rives et trois piles en rivière, et la destruction du pont existant ainsi que de la maison pontière, est prévu dans un espace naturel remarquable inventorié comme zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique et comme zone importante pour la conservation des oiseaux présentant une sensibilité écologique particulière, caractérisée notamment par la présence de plusieurs espèces protégées et de leurs habitats. Les travaux envisagés entraineront la destruction, l'altération ou la dégradation de sites de reproduction ou d'aire de repos et la destruction ou la perturbation de quatorze espèces de mammifères, d'une espèce de reptiles et de vingt-et-une espèce d'oiseaux sauvages protégées. Ils impliquent en outre la destruction d'une partie de la zone humide située en particulier à l'endroit de la berge d'appui de la future culée en rive gauche.

8. S'il résulte de l'instruction que la réalisation de ce projet, qui trouve sa justification dans des préoccupations de sécurité publique tenant à la nécessité de remplacer le pont existant, dont le tablier, dans ses parties métalliques, est largement corrodé, par un ouvrage permettant d'assurer la traversée de la Saône en toute sécurité, répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, les juges de première instance ont cependant retenu, pour annuler l'autorisation délivrée, l'existence d'une solution alternative satisfaisante qui consisterait, comme l'a proposé le commissaire enquêteur, à reconstruire le pont actuellement en place sur les appuis existants, après consolidation de ces derniers, et qui présenterait également un impact moindre sur l'environnement.

9. En premier lieu, le département de l'Ain soutient que cette proposition, qui s'est fondée sur les études préliminaires réalisées en 2013 qu'il estime lacunaires, ne peut être vue comme plus satisfaisante dès lors que des inconvénients significatifs sur le plan technique n'ont pas été décelés par le commissaire enquêteur, faute d'études approfondies menées pour s'assurer de la faisabilité de cette solution.

10. S'agissant de la faisabilité technique, il résulte de l'instruction, en particulier de l'étude préliminaire d'ouvrage d'art (EPOA) de 2013, dont les conclusions fondent la proposition alternative contestée, que la reconstruction du tablier sur les appuis existants constitue une possibilité technique pertinente. Pour contester cette appréciation, le département de l'Ain se réfère à l'étude réalisée par le bureau d'études CONCRETE, visant à analyser la faisabilité d'un projet de remplacement du tablier existant en reprenant les appuis existants, rédigée en 2001, soit près de douze ans avant l'étude préliminaire précitée. Cette étude relève que la marge de tolérance de descentes de charges des têtes de pile étant quasi nulle, le surplus de poids devra être maîtrisé afin de limiter la surcharge supplémentaire et que des micro-pieux devront être réalisés en tête de piles ainsi qu'un cerclage dans le cas où la stabilité en compression ne peut être assurée en tête de pile en maçonnerie, afin de solliciter le matériau de remplissage et le sol de fondation, et en conclusion qu'il est nécessaire de prévoir le remplacement de la tête de piles par un chevêtre plus large en béton armé ou précontraint et qu'un renforcement de la partie inférieure des piles est préconisé. Ces conclusions ne sont pas de nature à remettre en cause la possibilité de retenir les appuis existants, moyennant des renforcements, pour reconstruire le tablier du pont. Par suite, la pertinence et la faisabilité de la solution alternative ne sont pas utilement contestées sur ce point par le département qui précise lui-même que la réutilisation des piles existantes est envisageable moyennant, compte tenu de l'absence de toute marge de tolérance, des renforcements.

11. S'agissant ensuite de la largeur du profil en travers, il résulte de l'instruction que, telle que reprise de la proposition du commissaire enquêteur, la solution alternative consiste en la réalisation de deux voies de trois mètres, d'un trottoir de deux mètres et d'un passage de service de 0,80 mètre et, pour les modes de circulation " doux ", d'une voie cyclable bidirectionnelle de deux mètres de large, soit une largeur totale fixée à 8,80 mètres. Alors même que le projet autorisé par l'arrêté en litige se limite à une largeur utile de 10,50 m, le département de l'Ain soutient que la largeur de la proposition alternative a été manifestement sous-évaluée et qu'une largeur de 14,40 mètres hors corniches est nécessaire compte tenu des règles de conception routière imposant une largeur de voie mixte minimale, de la nécessité de prendre en compte les emprises des structures porteuses et dispositifs de retenue et des exigences de sécurité publique liées à l'insertion et la visibilité des usagers de la route comme d'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Toutefois, il ressort de l'annexe F du rapport du commissaire enquêteur que celui-ci rappelle que le volet 2 de l'EPOA précitée propose un profil en travers d'une largeur utile de 8,80 m décomposé en deux trottoirs de 1,40 m et deux voies de circulation de 3 m, c'est à dire encore 9,60 m en incluant les équipements de sécurité mais hors corniches. L'EPOA retient que la fréquentation piétonne de l'ouvrage sera sans doute très modeste, car sans grand intérêt ni utilité avérés, et que la piste cyclable peut, comme en site urbain d'intense fréquentation, relever d'un double sens de largeur de deux mètres. L'annexe relève encore que selon la note en réponse du conseil départemental de l'Ain, un profil raisonnable serait une largeur utile de 8,80 m, correspondant au volet 2 précité, le commissaire enquêteur précisant que, pour un meilleur confort pour les cyclistes, une répartition différente des voies mais pour la même largeur est possible, le trottoir large étant de préférence positionné côté sud pour conserver la maison pontière et permettre le raccordement à la piste cyclable existante le long du canal. Si le département oppose une étude du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) de 2017, cette étude se borne à faire état de recommandations en ce qui concerne les dimensions des voies vertes dédiées aux piétons et cyclistes de 3 mètres de large, et pour les voies dédiées aux véhicules accueillant des poids lourds, de 3,25 mètres, au surplus au titre des voies structurantes d'agglomération dont le présent pont ne relève pas.

12. Il résulte également de l'instruction que l'application du nouveau gabarit fluvial sur la Saône nécessite la réhausse du niveau des chaussées au niveau des accès à l'ouvrage afin de garantir une hauteur de navigation de sept mètres, tout en limitant les pentes longitudinales de l'aménagement pour garantir le respect des règles d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Ainsi que les premiers juges l'ont retenu et qu'il ressort de l'annexe D du rapport du commissaire enquêteur, la solution alternative permettrait, par la pose d'un tablier de faible épaisseur, de limiter l'accentuation de sa courbe et donc de réduire l'épaisseur des remblais d'accès de part et d'autre de l'ouvrage. L'option de reconstruction de l'ouvrage de type " bow-string ", constitué de deux arcs porteurs et d'un tablier de 1,20 mètre d'épaisseur retenue par le commissaire enquêteur est contestée par le département, ainsi notamment qu'il résulte de sa réponse au procès-verbal de synthèse à la suite de l'enquête publique, rédigée en septembre 2020. Si le département de l'Ain soutient que la réhausse nécessaire s'élève à 1,90 m et non 1,20 m en rive droite comme la proposition le prétend, d'une part, il ne produit pas l'étude géométrique à laquelle il se réfère, d'autre part et en tout état de cause, il ne démontre pas que les pentes à l'endroit du raccordement du pont à la chaussée, bien qu'accentuées du fait du remblaiement sur place des carrefours existants, ne seraient pas compatibles avec les exigences de sécurité publique, notamment au titre de la visibilité des usagers de la route comme de l'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Enfin, s'il soutient que cette accentuation des pentes implique de mettre en place des soutènements, il ne démontre pas que la stabilité des constructions existantes serait menacée ou que les renforcements à prévoir ne seraient pas envisageables. S'agissant des modalités d'accostage en rive gauche du pont reconstruit, le département oppose un profil en travers existant inadapté au profil retenu, une largeur en tête insuffisante qui nécessiterait la création d'une dalle avec encorbellements de chaque côté, un désaxement avec l'axe de la structure porteuse du pont et une réhausse importante, sans toutefois démontrer l'impossibilité de réaliser de tels aménagements en raison notamment des problématiques de tassements occasionnés par le rechargement de la digue actuelle.

13. En deuxième lieu, le département de l'Ain soutient que la proposition alternative ne peut être davantage vue comme plus satisfaisante au regard des impacts environnementaux qu'elle implique, notamment des atteintes aux espèces protégées. Toutefois, contrairement à ce qu'il soutient, il ne résulte pas de l'instruction, d'une part, qu'un pont provisoire devrait être installé pour parer à la fermeture de la circulation durant le temps de la rénovation du pont existant, ainsi que l'a du reste relevé l'EPOA, afin de préserver les échanges sociaux-économiques des bassins de vie. En particulier, comme les premiers juges l'ont retenu, si la reconstruction du pont implique que la circulation soit déviée durant le temps du confortement des piles et de la fabrication du nouveau tablier, le trafic évalué à 6 700 véhicules par jour, dont 80 % de véhicules légers, ne concerne qu'une minorité d'usagers susceptible d'emprunter le pont d'Uchizy, situé à une dizaine de kilomètres du pont de Fleurville, dont le département se borne à affirmer, sans apporter aucun élément permettant de vérifier cette allégation, qu'il ne pourrait supporter un trafic supplémentaire. En outre, le département ne conteste pas que, comme le tribunal l'a retenu dans le jugement attaqué, la plupart des usagers concernés, qui se rendent en particulier vers le nord ou le sud, spécialement en direction de Tournus, Dijon, Chalon-sur-Saône, Mâcon ou Lyon, voire vers des destinations plus éloignées de l'ouest ou de l'est, peuvent franchir la Saône notamment par le pont de Tournus situé à une vingtaine de kilomètres au nord du projet, le pont autoroutier de l'A40 ou encore celui de Saint-Laurent présents au sud de ce projet, et distants respectivement d'une quinzaine et d'une vingtaine de kilomètres. Ensuite, si le département soutient que l'impact du détournement du trafic serait conséquent en termes d'émission de gaz à effet de serre, il ne produit aucun élément pour permettre à la cour d'apprécier la pertinence de cet argument.

14. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que l'atteinte que porterait la solution alternative aux espèces protégées et à leurs habitats ainsi qu'à la ressource en eau serait d'une ampleur trop importante. Ainsi que les premiers juges l'ont retenu, la fréquentation par les chiroptères des fissures du pont à reconstruire n'a été appréhendée que dans la mesure d'un habitat potentiel, de sorte que le comblement de ces fissures n'est pas de nature à nuire à cette espèce. Il n'apparaît pas davantage, comme relevé au point 11, que la maison pontière, qui est l'espace de gîte le plus favorable aux chiroptères et que plusieurs spécimens occupent déjà, serait notoirement impactée par les travaux induits par la solution alternative.

15. Par ailleurs, si le département de l'Ain dénonce l'effet d'obstacle de l'ouvrage existant, du fait de la jetée maçonnée d'une longueur de 45 m qu'il comprend en rive gauche de la Saône, ayant pour conséquence de bloquer une partie de la circulation des sédiments, il ne démontre pas que la réalisation du projet contesté, en restituant à la Saône son lit mineur, aurait pour effet de conserver la capacité naturelle de ce fleuve que l'actuel pont empêcherait. En tout état de cause, une telle comparaison ne saurait intervenir dans l'évaluation du caractère satisfaisant de la solution alternative préconisée, consistant à maintenir l'ouvrage existant en procédant à sa reconstruction. De la même façon, si le département soutient que les travaux présentent un impact sur le point de captage d'eau de Monbellet situé à proximité du pont, aucun élément ne permet de relever un risque de pollution des eaux souterraines ou de surface. Enfin, les conséquences que la solution alternative comporte pour la gestion du risque inondation, au vu du plan de prévention des risques d'inondation applicable au projet et alors que la reconstruction du pont existant ne relève pas d'une construction nouvelle au sens de ce plan, ne sont pas davantage établies par le département de l'Ain qui avance une quantité toutefois limitée à 2 200 m3 de remblais nécessités par les travaux.

16. En troisième lieu, les impacts sociaux-économiques dénoncés par le département ne sont pas suffisamment étayés pour en apprécier l'importance. Si celui-ci soutient que sur les 17 kilomètres de la déviation mentionnée au point 13, 6,5 kilomètres ne sont pas aptes à recevoir l'augmentation de trafic et nécessiteront un investissement et des surcoûts significatifs, du fait de l'élargissement de la voirie, la mise en alternat du pont d'Uchizy, la modification des carrefours sur les RD 906 et 933 et l'installation d'équipements de sécurité, et étant précisé que les aménagements interviendraient sur des espaces naturels et/ou agricoles, il ne produit pas d'études relatives à de tels surcoûts ni aucun autre élément de nature à établir les impacts dénoncés.

17. En quatrième lieu, si le département de l'Ain évalue le coût du projet litigieux à 22 320 000 euros et celui de la solution alternative à 21 920 000 euros, cette dernière estimation inclut le coût du pont provisoire pour environ cinq millions d'euros dont il a été dit au point 13 qu'il n'était pas nécessaire. Par suite, et même si le coût d'entretien du pont reconstruit est supérieur à celui du nouveau pont, sans toutefois dépasser un million à un million et demi d'euros tous les cinq ans, cette dernière solution apparaît comme étant la plus économique.

18. En cinquième et dernier lieu, si le département de l'Ain soutient que l'analyse concrète des atteintes aux espèces protégées au regard des mesures de réduction et de compensation prévues dans la solution retenue par le pétitionnaire devait être prise en compte, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors qu'ainsi qu'il résulte des points précédents, une solution alternative satisfaisante faisait obstacle à ce que le préfet accordât la dérogation en litige.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Ain n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a retenu que la solution dont se prévalait l'association " Bien vivre à Replonges " était plus satisfaisante que celle retenue dans le projet autorisé par l'arrêté du 28 juin 2021 et a, pour ce motif, annulé cet arrêté.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association " Bien vivre à Replonges ", qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que demande le département de l'Ain au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du département de l'Ain est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Ain, à l'association " Bien vivre à Replonges " et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au département de Saône-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne à la préfète de l'Ain en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01414


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01414
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-045-01 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCP Gury & Maitre

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22ly01414 ?
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