La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2024 | FRANCE | N°22LY02873

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 18 avril 2024, 22LY02873


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 2003170 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête et des mémoires, enregistrés

le 30 septembre 2022, le 13 septembre 2023 et le 22 décembre 2023, ce dernier non communiqué, le ministre de l'économie, des ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2003170 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 septembre 2022, le 13 septembre 2023 et le 22 décembre 2023, ce dernier non communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rétablir, pour un montant total de 29 253 euros, ces impositions et pénalités ;

3°) d'ordonner le reversement de la somme allouée en première instance sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le ministre soutient que :

- le procès-verbal d'audition issu de la procédure pénale concernant M. A... E... n'a pas servi à rejeter la comptabilité ni à déterminer le résultat de la société ;

- à titre subsidiaire, l'irrégularité de procédure retenue par le tribunal administratif de Grenoble ne pourrait entrainer la décharge totale de l'imposition, dans la mesure où les rectifications, autres que celles tenant à la reconstitution, ne sont pas contestées.

Par des mémoires, enregistrés le 22 décembre 2022, le 7 novembre 2023 et le 2 janvier 2024, Mme D..., représentée par Me Tournoud, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la décharge de la majoration de 25 % appliquée au bénéfice et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens ne sont pas fondés ;

- la majoration de 25 % des bénéfices industriels et commerciaux rectifiés au motif qu'elle n'aurait pas adhéré à un organisme de gestion agréé est illégale.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions du ministre tendant à ce que la cour prononce la condamnation à restitution de sommes versées au titre du remboursement des frais exposés non compris dans les dépens, sont irrecevables dès lors que leur recouvrement peut s'effectuer par l'émission d'un titre exécutoire.

Par ordonnance du 13 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 9 janvier 2023.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laval, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... E..., qui exploitait, à titre individuel, une activité de restauration rapide sous l'enseigne Speed Pizza à Fontaine (Isère), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, portant sur la période du 3 septembre 2012 au 30 juin 2015 dont il a été informé par un avis du 15 octobre 2015. A l'issue du contrôle, le vérificateur a, d'une part, écarté la comptabilité présentée comme étant irrégulière et non probante et substitué au chiffre d'affaires de 77 685 euros, ressortant de la déclaration de l'intéressé, le montant de 158 649 euros, ressortant d'une comptabilité manuscrite, saisie à son domicile par l'autorité judiciaire et, d'autre part, procédé à diverses rectifications du résultat commercial, qui ont eu pour effet de substituer au déficit de 2 555 euros, déclaré par l'intéressé et imputé sur le revenu global, un bénéfice de 92 547 euros, auquel a été appliquée la majoration d'assiette de 1,25, prévue au 1° de l'article 158-7 du code général des impôts, alors en vigueur. En conséquence de ce redressement, qui a eu pour effet de porter leur revenu imposable de l'année 2014 de 16 728 euros à 134 967 euros, M. A... E... et Mme D..., qui étaient mariés et soumis à une imposition commune pour l'imposition de leurs revenus, ont été assujettis, suivant la procédure contradictoire, à un complément d'impôt sur le revenu auquel ont été appliqués les intérêts de retard et la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de décharge de cette imposition et des pénalités présentée par Mme D... et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance. Le ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement et conclut, d'une part, au rétablissement de cette imposition, des intérêts de retard et de la majoration de 40 %, à concurrence de, respectivement, 20 283 euros, 857 euros et 8 113 euros et, d'autre part, au reversement de la somme de 1 000 euros, mise à la charge de l'Etat par le jugement attaqué.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est, alors, tenue de les lui communiquer.

3. Il résulte de l'instruction que, le 2 septembre 2015, soit quelques jours avant l'engagement de la vérification de comptabilité, l'administration a été informée, par le tribunal de grande instance de Grenoble, en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, de l'existence d'une information judiciaire faisant apparaître des éléments de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale. Après qu'un avis de passage a été remis au juge d'instruction, le 16 octobre 2015, la vérificatrice a eu accès au dossier et notamment à un procès-verbal, établi par le commissariat de police central de Grenoble. Dans sa réponse à la proposition de rectification, par lettre du 20 juillet 2016, M. A... E... a demandé la communication des pièces obtenues dans l'exercice du droit de communication. En réponse à cette demande, l'administration a joint à la réponse aux observations du contribuable du 1er août 2016, outre les pièces reçues de fournisseurs et de la commune de Fontaine, l'avis de passage adressé au juge d'instruction ainsi que la copie des feuillets manuscrits saisis par l'autorité judiciaire au domicile de M. A... E.... Elle ne lui a, en revanche, pas communiqué la copie du procès-verbal de police.

4. Il résulte de la proposition de rectification du 18 mai 2016 que la vérificatrice s'est fondée sur l'existence de la comptabilité occulte, constituée des feuillets manuscrits saisis par l'autorité judiciaire, consultés dans le cadre du droit de communication, pour écarter la comptabilité de l'année 2014, présentée au cours du contrôle, et pour reconstituer le chiffre d'affaires qu'elle a fixé à 158 649, en substituant au montant de 77 685 euros, résultant de la déclaration de M. A... E..., le chiffre résultant des documents saisis. Si la proposition de rectification relève, par recoupement, des similitudes entre la comptabilité manuscrite et la comptabilité présentée, il résulte des énonciations de la proposition de rectification que le procès-verbal de police faisait état de ce que M. A... E... reconnaissait que la comptabilité manuscrite saisie était celle de son établissement. Dans ces conditions, dès lors que c'est sur la base de ce procès-verbal que la comptabilité occulte a pu être rattachée à l'établissement, ce que l'intéressé a, au demeurant, contesté dès le premier entretien avec la vérificatrice du 9 novembre 2015, l'administration devait lui communiquer ce document afin de lui permettre d'en discuter la teneur ou la portée ou, à tout le moins, l'informer qu'elle n'était pas en possession de cette pièce. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Grenoble a retenu qu'en s'abstenant de communiquer à M. A... E... une copie de cette pièce, l'administration a entaché la procédure d'imposition suivie à son encontre, d'une irrégularité.

5. Cette irrégularité n'emporte, toutefois, de conséquence que sur la seule fraction de l'imposition établie au titre de l'année 2014 sur la base du procès-verbal, soit les recettes supplémentaires d'un montant de 80 964 euros, résultant de l'exploitation de la comptabilité occulte. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a déduit de l'irrégularité de procédure qu'il a retenue qu'elle impliquait la décharge de la totalité du complément d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes, assigné au foyer fiscal, du fait de la rectification du bénéfice déclaré par M. A... E....

Sur l'application de la majoration du 1° de l'article 158-7 du code général des impôts :

6. En se bornant à invoquer l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 26604/16, Waldner c. France du 7 décembre 2023 retenant qu'il y a eu violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans une affaire mettant en cause l'application de la majoration de 25 %, applicable aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux prévue au 1°, désormais abrogé, du 7 de l'article 158 du code, sans préciser en quoi la situation de M. A... E..., qui tenait une comptabilité occulte, pourrait conduire à écarter l'application de cette disposition, Mme D... n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

Sur les conclusions du ministre relatives au frais de première instance.

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des frais d'instance ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. En l'espèce, le tribunal administratif a fait droit à la demande de décharge présentée par Mme D... et mis à la charge de l'Etat, qui doit être regardé comme la partie perdante pour l'essentiel, même si l'irrégularité de procédure retenue par les premiers juges n'impliquait pas la décharge de la totalité du complément d'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes, assignés au foyer fiscal de Mme D..., une somme de 1 500 euros. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions de l'Etat tendant au remboursement des frais d'instance mis à sa charge par le tribunal administratif de Grenoble.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le résultat rectifié après cascade de M. A... E... devant servir de base à l'imposition à l'impôt sur le revenu du foyer fiscal de l'année 2014 doit être ramené de 92 547 euros à 11 583 euros, soit 14 479 euros après application de la majoration de 25 % auquel il y a lieu d'ajouter l'annulation du déficit de 2 555 euros imputé sur le revenu global. Le ministre est, dès lors, seulement fondé à demander le rétablissement de l'imposition à l'impôt sur le revenu et des pénalités correspondantes, à concurrence d'une base d'imposition de 17 034 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. A... E... et Mme D... ont été assujettis au titre de l'année 2014 est remise à leur charge, à concurrence d'une base d'imposition de 17 034 euros ainsi que les pénalités correspondantes.

Article 2 : Le jugement n° 2003170 du tribunal administratif de Grenoble du 30 mai 2022 est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

M. Porée, premier conseiller,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 avril 2024.

Le rapporteur,

J.-S. Laval

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02873


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02873
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-01-03-01-02-03 Contributions et taxes. - Généralités. - Règles générales d'établissement de l'impôt. - Contrôle fiscal. - Vérification de comptabilité. - Garanties accordées au contribuable.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Jean-Simon LAVAL
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : ARBOR TOURNOUD PIGNIER WOLF

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-18;22ly02873 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award