Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 20 février 2020 par laquelle le préfet de la Drôme a rejeté la demande de regroupement familial présentée en faveur de ses deux filles.
Par jugement n° 2002576 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er septembre 2022, M. C..., représenté par Me Gay (AARPI Confluences), demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 juin 2022 et la décision du préfet de la Drôme du 20 février 2020 ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de faire droit à sa demande, subsidiairement de la réexaminer, dans le délai de quinze jours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'auteur de la décision litigieuse n'était pas compétent pour la signer, la délégation dont il se prévaut étant générale et d'une durée illimitée ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle méconnaît l'article 4 de l'accord franco-algérien et l'article R. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il dispose de ressources et d'un logement suffisants.
Par mémoire enregistré le 3 janvier 2024, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
Considérant ce qui suit :
1. Ressortissant algérien résidant en France sous couvert d'un certificat de résidence de dix ans, M. C... relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Drôme du 20 février 2020 rejetant la demande de regroupement familial qu'il a présentée en faveur de ses deux filles.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " Le préfet de département peut donner délégation de signature (...) : 1° En toutes matières et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs des services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans le département, au secrétaire général (...) ".
3. Par arrêté du 9 septembre 2019 publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de la Drôme du même jour, le préfet de la Drôme a donné délégation à M. Patrick Vieillescazes, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer " tous actes et documents administratifs relevant des services de la préfecture et de la fonction de direction des services déconcentrés de l'Etat " à l'exception d'actes limitativement énumérés, étrangers à l'objet de la décision litigieuse. Cette délégation, régulièrement consentie sur le fondement des dispositions rappelées au point 2, est précisément définie et dépourvue de caractère général. Par ailleurs, cette délégation étant révocable et prenant fin de plein droit lors du départ du délégant ou du délégataire, elle n'a pas à prévoir de terme ou d'échéance de caducité. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien : " (...) l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an (...) et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France (...) ".
5. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi dans le cas où est demandé le regroupement familial en vue de permettre à un enfant de rejoindre en France un ressortissant algérien qui en a la charge en vertu d'une décision de l'autorité judiciaire algérienne, l'autorisation de regroupement familial ne peut, en règle générale, eu égard aux stipulations de l'accord franco-algérien, être refusée pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait de demeurer en Algérie auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, l'autorité administrative peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur les motifs énumérés à l'article 4 de l'accord franco-algérien, notamment sur ceux tirés de ce que les conditions d'accueil de l'enfant en France seraient, compte tenu en particulier des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.
6. Il résulte de ces stipulations que la condition de ressources est satisfaite lorsque le demandeur et son conjoint justifient de ressources au moins égales au salaire minimum interprofessionnel de croissance, quelle que soit la composition de la famille. En vertu des dispositions des articles R. 411-4 et R. 421-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compatibles sur ce point avec les stipulations de l'accord franco-algérien, le caractère suffisant des ressources du demandeur et de son conjoint, qui alimenteront de façon stable le budget de la famille, est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période. Lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période de référence, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre en compte l'évolution des ressources du foyer du demandeur, si elle lui est favorable.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... perçoit mensuellement une allocation de retraite, complétée d'une allocation complémentaire, pour un montant total net de 972,19 euros, inférieur au montant moyen mensuel net du salaire minimum interprofessionnel de croissance, lequel avoisinait 1 200 euros au cours des douze mois qui ont précédé sa demande. M. C... ne peut en revanche utilement se prévaloir ni de l'épargne dont il dispose, laquelle ne constitue pas une ressource au sens des stipulations précitées, ni du versement de 210 euros qui lui est régulièrement consenti par sa fille aînée, lequel ne présente pas de garantie de stabilité. Par suite, le préfet de la Drôme n'a pas méconnu les stipulations précitées en retenant que M. C... ne justifiait pas de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille.
8. En troisième lieu, aucune disposition du décret susvisé du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent, applicable aux demandes de regroupement familial présentées par des ressortissants algériens, n'impose un nombre minimum de chambres parmi les conditions de salubrité et d'équipement requises pour qu'un logement soit considéré comme normal. Par suite, M. C... est fondé à soutenir qu'en retenant que son logement ne remplit pas les conditions d'habitabilité requises en raison d'un nombre insuffisant de chambres, le préfet de la Drôme a méconnu les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'il aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif tiré de l'insuffisance des ressources de l'intéressé.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
10. La demande de regroupement familial rejetée par la décision litigieuse a été présentée par M. C... en octobre 2019 en faveur des deux filles, nées respectivement en 2006 et 2008 de son mariage avec Mme A... célébré le 13 novembre 2005 en Algérie. A la suite de la dissolution de ce mariage le 20 novembre 2014, la tutelle de ces enfants a été confiée à M. C... par jugement du tribunal de Guelma du 10 décembre 2018, après désistement de leur mère. Il est toutefois constant que M. C..., qui indique résider en France depuis 1961, n'a jamais vécu aux côtés de ses filles, alors âgées de treize et onze ans, sans au demeurant établir la réalité des fréquentes visites qu'il prétend leur avoir rendues en Algérie. Il n'établit pas davantage que, comme il l'affirme, leur mère, auprès de laquelle elles avaient vécu jusqu'à ce jugement, aurait rompu tout lien avec elles. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'en rejetant sa demande de regroupement familial, le préfet de la Drôme a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations citées au point 9.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
12. Si l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale, il résulte de ce qui a été indiqué au point 10 que M. C... n'établit nullement avoir entretenu des liens avec ses deux filles, nées respectivement en 2006 et 2008. Par suite, et nonobstant le jugement du tribunal de Guelma du 10 décembre 2018 lui confiant la tutelle de ces enfants, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'en rejetant sa demande de regroupement familial, le préfet de la Drôme a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
13. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
14. Le présent arrêt rejetant les conclusions à fin d'annulation de M. C... et n'appelant, dès lors, aucune mesure d'exécution, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
15. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. C....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02680