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10/04/2024 | FRANCE | N°23LY01019

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 10 avril 2024, 23LY01019


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon : 1°) de prononcer son admission à l'aide juridictionnelle provisoire ; 2°) d'annuler les décisions du 19 février 2023 par lesquelles le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination, lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans, ainsi que la décision du 21 février 2023 prononçant son assignation à résiden

ce ; 3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon : 1°) de prononcer son admission à l'aide juridictionnelle provisoire ; 2°) d'annuler les décisions du 19 février 2023 par lesquelles le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination, lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans, ainsi que la décision du 21 février 2023 prononçant son assignation à résidence ; 3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer dans un délai de 8 jours une autorisation provisoire de séjour durant la procédure de réexamen dans un délai de 8 jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; 4°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de procéder à l'effacement de son signalement au fichier des personnes recherchées dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; 5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2301292 du 28 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire (article 1er), a annulé l'interdiction de circuler sur le territoire français (article 2), a enjoint au préfet de l'Isère le cas échéant de mettre en œuvre la procédure d'effacement de l'inscription de M. B... au fichier des personnes recherchées dans un délai d'un mois (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande (article 4).

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2023, M. B..., représenté par Me Paquet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 28 février 2023 en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui restituer son titre de séjour italien, dans le délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou de réexaminer sa situation, dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous la même astreinte, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant la procédure de réexamen dans le délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au profit de son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou à son profit en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans le cas où il ne serait pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- les décisions litigieuses sont entachées d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- le préfet de l'Isère a fondé sa décision sur des éléments erronés dès lors que, contrairement à ce qu'elle mentionne, il a présenté son titre de séjour italien lors de son interpellation, qu'il a déclaré avoir l'intention de se conformer à cette mesure d'éloignement et qu'il a bien exécuté la mesure d'éloignement du 30 janvier 2016 ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 611-1 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire méconnaît les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire, enregistré le 7 mars 2024, le préfet de l'Isère conclut au non-lieu à statuer et au rejet des conclusions de la requête, présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'il a saisi les autorités italiennes d'une demande de réadmission qui lui a été accordée le 17 mars 2023.

Par une décision du 3 mai 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. B.... Le recours contre cette décision a été rejeté par une décision du 25 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant tunisien né le 1er mars 1984, a été interpellé, le 18 février 2023, aux abords d'une voie de tramway, et placé en garde à vue pour des faits d'agression sexuelle commis sur le territoire de la commune de Grenoble. Par des décisions du 19 février 2023, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination, lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'a placé en rétention administrative. Par une ordonnance du 21 février 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné sa mise en liberté. Par une décision du même jour, le préfet de l'Isère a prononcé son assignation à résidence. Par jugement n° 2301292 du 28 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'interdiction de circuler sur le territoire français, a enjoint au préfet de l'Isère le cas échéant de mettre en œuvre la procédure d'effacement de l'inscription de M. B... au fichier des personnes recherchées dans un délai d'un mois et a rejeté le surplus des conclusions de M. B..., dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français sans délai et la décision fixant le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 28 février 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon en ce qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet :

2. La circonstance que M. B... a finalement été reconduit en Italie le 3 avril 2023, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Isère aurait retiré les décisions contestées, ne rend pas sans objet, contrairement à ce qu'il soutient, les conclusions de M. B... dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français sans délai et la décision fixant le pays de destination.

Sur la légalité des décisions du 19 février 2023 :

3. Il résulte des dispositions des articles L. 611-1 et L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'obligation de quitter le territoire français, et de l'article L. 621-4 du même code, relatives aux procédures de remise d'un étranger à un Etat membre de l'Union européenne que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 621-4, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement de cet article L. 621-4, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.

4. Lors de son audition du 19 février 2023, M. B... a déclaré être en France depuis environ une semaine, et être arrivé directement en provenance d'Italie, en train, depuis Turin. Il a expressément demandé à être reconduit vers l'Italie, pays dans lequel il justifie être légalement admissible, puisqu'il est titulaire d'un " permesso di soggiorno per lavoro autonomo " d'une durée de deux ans et valable jusqu'au 19 décembre 2024. Le préfet de l'Isère a d'ailleurs a adressé, mais postérieurement à la mesure d'éloignement, le 20 février 2023, une demande de réadmission auprès des services du centre de coopération policière et douanière de Vintimille. M. B... est, par suite, fondé à soutenir que le préfet de l'Isère, préalablement à l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français, aurait dû saisir en priorité les autorités italiennes d'une demande de réadmission sur le fondement des dispositions de l'article L. 621-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Il est dès lors fondé à demander l'annulation de l'article 4 de ce jugement ainsi que celle des décisions du préfet de l'Isère du 19 février 2023, portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixant le pays de destination de cette mesure.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

6. D'une part, il appartient à la cour, lorsqu'elle est saisie, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce que soit prescrite une mesure d'exécution dans un sens déterminé, de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision.

7. D'autre part, il ressort des écritures en défense du préfet de l'Isère que M. B... a finalement été reconduit en Italie le 3 avril 2023. Par suite, les conclusions de M. B... à fin d'injonction sont devenues sans objet. Il n'y a dès lors pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de la requête de M. B....

Article 2 : L'article 4 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 28 février 2023 et les décisions du préfet de l'Isère du 19 février 2023, portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

M. Joël Arnould, premier conseiller,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2024.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLa présidente,

Emilie Felmy

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01019


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01019
Date de la décision : 10/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : PAQUET;PAQUET;PAQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-10;23ly01019 ?
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