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10/04/2024 | FRANCE | N°22LY03184

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 10 avril 2024, 22LY03184


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 14 octobre 2022 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2207713 du 19 octobre 2022, le mag

istrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.



Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 14 octobre 2022 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2207713 du 19 octobre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 27 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Lussiana, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2022 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler les décisions du préfet du Puy-de-Dôme du 14 octobre 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocate de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement contesté :

- le magistrat désigné a écarté comme insuffisamment lisible une pièce qui lui avait été présentée à l'audience, sans l'avoir invité à en communiquer une meilleure copie ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- entré en France sous couvert d'un titre de séjour tchèque, il n'entrait pas dans le champ d'application du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il n'entrait dans aucune des hypothèses dans lesquelles un membre de la famille d'un ressortissant d'un pays de l'Union européenne peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement et n'a pas bénéficié des garanties prévues pour la présentation des documents justifiant de la régularité de sa situation ;

En ce qui concerne le refus d'un délai de départ volontaire :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- en l'absence de toute urgence, l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'autorisait pas à lui refuser un délai de départ volontaire ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français implique celle de la décision fixant le pays de destination de son éloignement ;

En ce qui concerne la décision prononçant une interdiction de retour :

- aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'autorise le préfet à prononcer une interdiction de retour sur le territoire français à l'encontre d'un membre de la famille d'un ressortissant d'un Etat de l'Union européenne ;

En ce qui concerne le préjudice subi :

- il a subi une privation de liberté illégale du fait de son placement en rétention, dont il sollicitera réparation par une requête séparée.

Par un mémoire enregistré le 8 décembre 2023, le préfet du Puy-de-Dôme conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.

Par une ordonnance du 11 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 janvier 2024.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité tunisienne, déclare être entré en France en 2019. Le 4 juin 2021, après son interpellation dans le Puy-de-Dôme pour des faits de vol, le préfet de ce département lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a prescrit son éloignement à destination de la Tunisie et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le 13 octobre 2022, il a été interpellé pour outrage aux agents de police, menaces réitérées de violences et port sans motif légitime d'une arme blanche. Par des décisions prises le lendemain, le préfet du Puy-de-Dôme lui a de nouveau fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 19 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a relevé, au point 7 du jugement attaqué, que la copie du titre de séjour tchèque produite par le requérant était peu lisible, il ne l'a pas écartée pour ce motif, mais a considéré que ce document était insusceptible de démontrer le caractère régulier de son entrée en France. Le moyen tiré de ce qu'en ne l'invitant pas à en produire une meilleure copie, le magistrat aurait entaché son jugement d'irrégularité, ne peut dès lors et en tout état de cause qu'être écarté.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article R. 221-2 du même code : " Les documents permettant aux ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 200-4 d'être admis sur le territoire français sont leur passeport en cours de validité et un visa ou, s'ils en sont dispensés, un document établissant leur lien familial. / La possession du titre de séjour délivré par un Etat membre de l'Union européenne portant la mention "Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union" en cours de validité dispense les membres de la famille concernés de l'obligation d'obtenir un visa. (...) ".

4. M. A... fait valoir qu'étant titulaire d'un titre de séjour tchèque portant la mention " membre de la famille d'un citoyen de l'Union " délivré le 9 juillet 2019, il est entré régulièrement en France. Toutefois, le requérant ne conteste pas sérieusement la circonstance opposée par le préfet, selon laquelle les autorités tchèques auraient annulé ce titre de séjour le 4 mars 2020. En outre, il ne précise pas la date de son entrée en France, dont il ne justifie pas qu'elle serait postérieure à la date de délivrance de ce titre et antérieure à son annulation. Enfin, M. A... n'est titulaire d'aucun passeport en cours de validité, dont la présentation est requise même dans l'hypothèse où le membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne est dispensé de l'obligation d'obtenir un visa. Dès lors, le requérant, qui ne justifie pas d'une entrée régulière sur le territoire français, entrait dans le champ du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 200-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux citoyens de l'Union européenne et aux membres de leur famille : " Les restrictions au droit de circuler et de séjourner librement en France prononcées à l'encontre de l'étranger dont la situation est régie par le présent livre ne peuvent être motivées que par un comportement qui constitue, du point de vue de l'ordre public et de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 221-2 du même code : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre qui ne disposent pas des documents d'entrée mentionnés à l'article L. 221-1 se voient accorder tous les moyens raisonnables leur permettant de se les procurer dans un délai raisonnable ou de faire confirmer ou prouver par d'autres moyens leur qualité de bénéficiaires du droit de circuler et de séjourner librement en France, avant qu'il soit procédé à leur refoulement ".

6. M. A... a déclaré avoir divorcé de son épouse de nationalité tchèque en 2021. S'il indique être le père d'un enfant né à Paris en 2016 d'une précédente relation, il ne justifie pas des démarches entreprises en vue de s'en voir reconnaître la paternité, et ne soutient pas que cet enfant aurait la nationalité d'un Etat de l'Union européenne. Dès lors, M. A..., qui n'a plus la qualité de membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne, ne peut utilement se prévaloir des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à cette catégorie de ressortissants étrangers. Les moyens tirés de ce qu'il n'entrait dans aucune des hypothèses dans lesquelles un membre de la famille d'un ressortissant d'un pays de l'Union européenne peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement et n'a pas bénéficié des garanties prévues pour la présentation des documents justifiant de la régularité de sa situation doivent dès lors être écartés comme inopérants.

Sur la légalité de la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre du refus de lui accorder un délai de départ volontaire.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux citoyens de l'Union européenne et aux membres de leur famille : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. / L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel ".

9. Pour les motifs déjà exposés au point 6 ci-dessus, M. A..., qui n'a plus la qualité de membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne, ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions pour contester la décision de refus de lui accorder un délai de départ volontaire.

Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination de la mesure d'éloignement :

10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans :

11. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".

12. M. A..., qui n'a plus la qualité de membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne, ne peut utilement faire valoir qu'en cette qualité, il ne peut faire l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

14. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

M. Joël Arnould, premier conseiller,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2024.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Emilie Felmy

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 22LY03184


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03184
Date de la décision : 10/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : LUSSIANA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-10;22ly03184 ?
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