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10/04/2024 | FRANCE | N°22LY02074

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 10 avril 2024, 22LY02074


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SARL Avenir Carrelage a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er mars 2013 au 28 février 2016 ainsi que des majorations correspondantes, le rétablissement des déficits reportables déclarés au titre de ses exercices clos de 2013 à 2016 et la décharge de l'amende qui lui a été appliquée sur le fondement du 2. du I de l'article 1737 du code général d

es impôts.



Par un jugement n° 2000290 du 16 mai 2022, le tribunal administratif de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL Avenir Carrelage a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er mars 2013 au 28 février 2016 ainsi que des majorations correspondantes, le rétablissement des déficits reportables déclarés au titre de ses exercices clos de 2013 à 2016 et la décharge de l'amende qui lui a été appliquée sur le fondement du 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts.

Par un jugement n° 2000290 du 16 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin de décharge de l'amende infligée à la SARL Avenir Carrelage à concurrence du dégrèvement de 5 500 euros prononcé en cours d'instance et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2022, la SARL Avenir Carrelage, représentée par Me Palomares, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations correspondantes, de l'amende qui lui a été appliquée et le rétablissement de ses déficits reportables ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée, la méthode de reconstitution des recettes est sommaire voire radicalement viciée, en particulier en tant qu'elle se fonde sur la circonstance que les matériaux achetés correspondent à 30 % des sommes facturées à ses clients ;

- le tribunal administratif a rejeté sa requête sans aucune motivation sur ce point ;

- l'administration n'apporte pas la preuve que les charges pour lesquelles le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée a été remis en cause n'ont pas été engagées dans l'intérêt de l'entreprise ;

- la remise en cause de la taxe sur la valeur ajoutée déductible est infondée s'agissant de la facture de la société Chauff' Alex ;

- l'administration ne lui a pas communiqué les éléments obtenus par l'exercice de son droit de communication auprès de ce fournisseur ;

- l'administration n'a pas tiré les conséquences, en matière d'impôt sur les sociétés, de la remise en cause de l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à certaines prestations qu'elle a réalisées, dès lors que la cascade qui a été appliquée a, elle-même, été neutralisée par le constat d'un profit sur le Trésor ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu sur le moyen de la neutralisation de la cascade par le profit sur le Trésor ;

- la méthode de reconstitution de recettes au titre de l'impôt sur les sociétés est sommaire voire radicalement viciée, en particulier en tant qu'elle se fonde sur la circonstance que les matériaux achetés correspondent à 30 % des sommes facturées à ses clients ;

- l'administration n'apporte pas la preuve que les charges non admises en déduction de ses résultats imposables n'ont pas été engagées dans l'intérêt de l'entreprise ;

- la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses n'est pas justifiée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que le refus de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé la facture d'un montant de 1 550 euros émise le 22 septembre 2014 par la société Chauff'Alex, motif pris du caractère fictif de cette facture, ne pouvait être légalement fondé sur l'article 271-II du code général des impôts.

Un mémoire en réponse au moyen d'ordre public, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a été enregistré le 23 février 2024 et communiqué.

Par ordonnance du 22 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laval, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Avenir Carrelage, en redressement judiciaire depuis le 27 août 2013, qui a pour associés, à parts égales, M. E... et Mme D..., qui en est la gérante, exerce une activité de travaux de revêtement des sols et murs. Elle a fait l'objet, en 2017, d'une vérification de comptabilité, portant sur la période du 1er mars 2013 au 28 février 2016, à l'issue de laquelle l'administration, après avoir écarté sa comptabilité comme non probante, a procédé à des rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée collectée et déductible, selon la procédure de taxation d'office et à des rehaussements de ses résultats imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, qui ont donné lieu à la réduction des déficits reportables déclarés par la société au titre des exercices clos de 2013 à 2016, selon la procédure contradictoire. La SARL Avenir Carrelage s'est, en conséquence, vu réclamer des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er mars 2013 au 28 février 2016, assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts. L'administration lui a également infligé une amende de 11 000 euros sur le fondement du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts. Par un jugement du 16 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a, d'une part, constaté un non-lieu à statuer à hauteur de 5 500 euros s'agissant de l'amende et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge, en droit et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés, du surplus de cette amende et au rétablissement de ses déficits reportables au titre des exercices clos de 2013 à 2016. La société relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. "

3. Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Grenoble s'est prononcé, de manière suffisamment motivée, sur le moyen tiré de ce que l'administration n'avait pas tiré les conséquences, s'agissant du rehaussement des résultats de la SARL Avenir Carrelage, de la remise en cause du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée appliquée à certaines prestations. Le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments développés à l'appui de ce moyen, n'a ainsi entaché son jugement d'aucune irrégularité.

4. En revanche, la SARL Avenir Carrelage contestait, dans sa requête de première instance, à l'appui de ses conclusions dirigées contre les rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée qui lui ont été assignés, la méthode de reconstitution des recettes utilisée par le service. Il ressort des énonciations du jugement que le tribunal administratif de Grenoble ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qu'il a visé et qui n'était pas inopérant. Il en résulte que ce jugement est, pour ce motif, irrégulier, et qu'il doit, dans cette mesure, être annulé.

5. Il y a lieu pour la cour de se prononcer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la SARL Avenir Carrelages tendant à la décharge des rappels de taxe ajoutée collectée sur les produits non déclarés et, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres chefs de rectification.

Sur la taxe sur la valeur ajoutée collectée sur les produits non déclarés :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. (...) ". Aux termes de l'article R. 256-1 du même livre : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. / (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (...) ".

7. L'avis de mise en recouvrement du 16 janvier 2018 se réfère à une proposition de rectification du 21 juillet 2017, alors que celle adressée à la SARL Avenir Carrelage est datée du 24 juillet 2017 et à la réponse aux observations du contribuable du 22 septembre 2017, mais ne vise pas le document du 12 octobre 2017, par lequel l'administration a réduit le montant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SARL Avenir Carrelage. Il résulte toutefois de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté, que le courrier du 12 octobre 2017 a été notifié à SARL Avenir Carrelage le 13 octobre 2017 et que les montants des rappels de taxe sur la valeur ajoutée effectivement mis en recouvrement correspondent aux montants retenus en dernier lieu par le service tels qu'ils ressortent du tableau des conséquences financières figurant dans ce courrier. Alors, par ailleurs, que la proposition de rectification était aisément identifiable en dépit de l'erreur commise sur sa date, cette omission constitue une simple erreur matérielle qui, dans les circonstances de l'espèce, n'a pas privé la société de la possibilité de contester utilement les montants mis en recouvrement. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

8. En second lieu, aux termes du I. de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ".

9. La SARL Avenir Carrelage ne contestant pas avoir été régulièrement imposée d'office, la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions mises à sa charge lui incombe, en application de l'article L. 193-1 du livre des procédures fiscales.

10. Le contribuable, à qui incombe la charge de prouver l'exagération de l'évaluation administrative peut, s'il n'est pas en mesure d'établir le montant exact de ses résultats en s'appuyant sur une comptabilité régulière et probante, critiquer la méthode d'évaluation que l'administration a suivie et qu'elle doit lui faire connaître, en vue de démontrer que cette méthode aboutit, au moins sur certains points, à une exagération des bases d'imposition.

11. L'administration, après avoir rejeté la comptabilité de la société comme non probante, a constaté que des achats de matériaux enregistrés en comptabilité n'avaient pas leur pendant dans les refacturations aux clients. Pour reconstituer les recettes correspondantes, elle a appliqué aux achats un coefficient de 3,33, déterminé à partir des déclarations de la gérante de la SARL Avenir Carrelage selon lesquelles les achats représentent 30 % du montant de la prestation facturée, la commande de fournitures intervenant après le paiement d'un acompte de 30 % par le client, ce qui évite à la société de faire l'avance du montant des fournitures. L'administration a opéré de la même manière lorsqu'elle a constaté que les facturations ne correspondaient pas à ce ratio de marge, mais présentaient soit un prix inférieur, soit un prix correspondant au seul coût des matériaux. Elle a ensuite appliqué aux recettes, ainsi reconstituées, le taux normal de taxe sur la valeur ajoutée.

12. La SARL Avenir Carrelage fait valoir que cette reconstitution de recettes est excessivement sommaire, voire radicalement viciée, en ce qu'elle ne tient pas compte du fonctionnement de l'entreprise et qu'elle ne résulte d'aucune étude sur sa marge réelle. Toutefois, alors qu'elle ne conteste pas le rejet de sa comptabilité et que la méthode de l'administration repose sur les conditions d'exploitation de l'entreprise, telles que décrites par la gérante au cours du contrôle, la SARL Avenir Carrelage, en se bornant à faire valoir que le taux d'acompte de 30 %, usuel dans le secteur, ne correspond pas au prix des matériaux et que l'administration ne démontre pas l'encaissement des recettes en cause, n'établit ni que cette méthode serait viciée dans son principe, ni, en l'absence notamment de présentation d'une méthode alternative de reconstitution, son caractère excessivement sommaire et l'exagération des bases d'imposition en résultant.

Sur la taxe sur la valeur ajoutée déductible :

13. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission (...) / IV.- 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. / 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : / 1° Lorsque le bien ou le service est utilisé par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise (...) ".

14. L'administration a remis en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des dépenses qu'elle a estimé étrangères à l'intérêt de l'entreprise, notamment les frais de location d'un local à usage d'entrepôt dont le bail a été conclu par M. E..., associé de la SARL Avenir Carrelage et non par celle-ci.

15. Si la SARL Avenir Carrelage fait valoir que cet entrepôt, qui a été visité par la vérificatrice lors du contrôle, comme l'indique la proposition de rectification du 24 juillet 2017, est utilisé pour les besoins de son activité, elle n'apporte, alors qu'elle supporte la charge de la preuve, aucun justificatif de nature à démontrer que les matériaux qui y sont entreposés lui appartiennent et sont utilisés dans le cadre de son exploitation. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a remis en cause son droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses de location de cet immeuble.

16. L'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement des dispositions du a) du 1. du II de l'article 271 du code général des impôts, la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée de 140,91 euros figurant sur une facture d'un montant de 1 550 euros émise le 22 septembre 2014 par la société Chauff'Alex, après avoir relevé, dans la proposition de rectification, sous l'intitulé " TVA déduite sur factures fictives ", que cette facture, enregistrée en comptabilité sous le nom du fournisseur Antoine Carrelage, mentionne une "réfection de plomberie" alors qu'aucune prestation de cette nature pour le compte de la SARL Avenir Carrelage n'a été portée à la connaissance du service, que les factures établies sous l'enseigne Chauff'Alex, exploitée par M. B... C..., sont en tout point différentes de celle présentée, qu'en réponse au droit de communication, ce dernier a fourni les factures qu'ils avaient établies parmi lesquelles la facture en litige ne figurait pas, qu'aucune facture de vente établie par la SARL Avenir Carrelage ne fait état de travaux de réfection de plomberie et, enfin, qu'aucun éclaircissement n'a été apporté au cours du contrôle sur la nature de cette facture.

17. Les éléments de fait, ci-dessus énoncés, retenus par l'administration à l'appui de la rectification ainsi opérée, tendent à démontrer que la facture en litige se rapporte à une prestation fictive, de telle sorte qu'elle ne pouvait se fonder sur les dispositions du a) du 1. du II de l'article 271 du code général des impôts.

18. Le ministre demande toutefois, dans son mémoire du 23 février 2024, qu'aux dispositions initialement retenues soient substituées celles du 2. de l'article 272 du code général des impôts et du 4. de l'article 283 du même code.

19. L'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, y compris pour la première fois en appel, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.

20. Aux termes du 2. de l'article 272 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ". Le 4. de l'article 283 du même code dispose que " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée. ". Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et se présentait à ses clients comme assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, sans qu'il soit manifeste qu'il n'aurait pas rempli les obligations l'autorisant à faire figurer cette taxe sur ses factures, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance.

21. Ainsi qu'il a été dit au point 16 ci-dessus, pour remettre en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné sur la facture en litige, l'administration s'est fondée sur la circonstance que les factures établies par la société Chauff'Alex, dont elle a obtenu copie dans le cadre de l'exercice du droit de communication, étaient en tous points différentes de celle présentée dans le cadre du contrôle, qu'aucune prestation de plomberie pour le compte de la SARL Avenir Carrelage n'a été portée à sa connaissance et que les factures de vente établies par cette société, qui a pour activité les travaux de revêtements des murs et sols, ne font pas état de travaux de réfection de plomberie. La SARL Avenir Carrelage, qui se borne à faire valoir que le chèque qu'elle a émis en règlement de cette facture a bien été encaissé par le fournisseur Chauff'Alex, n'apporte aucune explication ni ne produit aucun élément de nature à justifier de la réalité des prestations rendues en contrepartie de la dépense qu'elle a comptabilisée. Par suite, l'administration doit être regardée comme établissant le caractère fictif de la facture en litige. Dans ces conditions, et alors que la SARL Avenir Carrelage n'a été privée d'aucune garantie, la substitution de base légale demandée par le ministre doit être accueillie.

22. A supposer que la SARL Avenir Carrelage ait entendu invoquer une méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, tirée du défaut de communication des éléments obtenus dans le cadre du droit de communication exercé à l'égard de l'entreprise Chauff'Alex, elle n'établit pas, ni même n'allègue, avoir sollicité de l'administration la communication de ces éléments.

Sur les déficits reportables au titre de l'impôt sur les sociétés :

23. Il résulte de l'instruction que l'administration a réintégré dans les résultats imposables de la SARL Avenir Carrelage à l'impôt sur les sociétés, d'une part, un profit sur le Trésor correspondant à une partie des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été notifiés, d'autre part, des recettes non comptabilisées et non déclarées et, enfin, des charges non déductibles. Ces rectifications n'ont entraîné l'établissement d'aucune cotisation d'impôt sur les sociétés, mais la remise en cause des montants des déficits reportables déclarés par la société.

24. En premier lieu, aux termes de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales : " En cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, le supplément de taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées afférent à un exercice donné est déduit, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, des résultats du même exercice, sauf demande expresse des contribuables, formulée dans le délai qui leur est imparti pour répondre à la proposition de rectification. (...) ". Lorsque l'administration substitue un taux de taxe sur la valeur ajoutée plus élevé que celui initialement appliqué par le contribuable, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en résultant sont admis en déduction des résultats pour la détermination des bénéfices dans les conditions prévues à l'article L. 77 précité. L'erreur commise par le contribuable, en appliquant un taux moins élevé que celui qui devait être appliqué, ne lui procure aucune créance sur ses clients. Par suite, cette erreur n'est pas de nature à faire naître par elle-même une dette de taxe à l'égard du Trésor, pouvant donner lieu à la réintégration dans les résultats du contribuable d'un profit sur le Trésor d'un montant égal au rappel de taxe sur la valeur ajoutée.

25. Il résulte de l'instruction que la SARL Avenir Carrelage faisait application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 279-0 bis du code général des impôts en matière de travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des locaux à usage d'habitation, achevés depuis plus de deux ans. A l'issue des opérations de contrôle, le service a substitué à ce taux le taux normal de taxe sur la valeur ajoutée prévu à l'article 278 du même code s'agissant des prestations pour lesquelles la société n'a pas produit les attestations des preneurs visées au 3. de l'article 279-0 bis.

26. La SARL Avenir Carrelage soutient que la remise en cause du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée appliquée à certains des travaux facturés à ses clients lui ouvre un droit à réduction de ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés, ses résultats hors taxe se trouvant, du fait du calcul de la taxe " en-dedans ", majorés du montant correspondant à la différence entre le taux normal de taxe à la valeur ajoutée et le taux réduit qu'elle a appliqué et facturé à ses clients. Elle ajoute que si l'administration a mis en œuvre le mécanisme de la cascade prévu par les dispositions énoncées au point 24, cette cascade a été, de fait, neutralisée par la réintégration dans ses résultats d'un profit sur le Trésor.

27. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des termes de la proposition de rectification du 24 juillet 2017 et des mentions figurant sur le tableau des conséquences financières qu'elle contient, que l'administration a fait application du mécanisme de la cascade prévu par les dispositions de l'article L. 77 du livre des procédures fiscales et déduit, à ce titre, des résultats imposables de la SARL Avenir Carrelage les sommes de 5 364 euros au titre de l'exercice clos en 2015, de 7 751 euros au titre de l'exercice clos en 2015 et de 5 795 euros au titre de l'exercice clos en 2016, alors qu'elle a, en parallèle, réintégré un profit sur le Trésor limité aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée sur recettes non déclarées et sur travaux de sous-traitance et aux rappels de taxe déductibles sur factures fictives et sur dépenses non engagées dans l'intérêt de l'entreprise, d'un montant de 2 698 euros au titre de l'exercice 2014, de 3 292 euros au titre de l'exercice 2015 et de 1 045 euros au titre de l'exercice 2016. Le différentiel entre cascade et profit sur le Trésor, égal, pour chacun de ces trois exercices, respectivement à 2 666 euros, 4 459 euros et 4 750 euros correspond au montant du rappel de taxe sur la valeur ajoutée collectée résultant de la remise en cause du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la SARL Avenir Carrelage, l'administration a bien pris en compte et neutralisé, par la mise en œuvre de la cascade, le surplus de chiffre d'affaires hors taxe qu'elle a réalisé au titre des trois exercices en litige.

28. En deuxième lieu, aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) "

29. La remise en cause des déficits reportables à l'impôt sur les sociétés a été établie à l'issue d'une procédure contradictoire et n'a pas été acceptée par la société requérante. Par suite, l'administration supporte la charge de la preuve du bien-fondé des rectifications.

30. La SARL Avenir Carrelage fait valoir que la reconstitution de recettes à laquelle l'administration a procédé qui a consisté, ainsi qu'il a été dit au point 11 ci-dessus, à appliquer à ses achats une marge de 3,33, est excessivement sommaire, voire radicalement viciée, en ce qu'elle ne tient pas compte du fonctionnement de l'entreprise et qu'elle ne résulte d'aucune étude sur sa marge réelle. Toutefois, outre que cette méthode repose, contrairement à ce qu'elle soutient, sur les conditions d'exploitation de l'entreprise, telles que décrites par la gérante au cours du contrôle, l'administration fait valoir, sans être contredite sur ce point, qu'une étude de marge était impossible en raison du caractère sommaire des factures adressées à ses clients, simplement libellées " réfection ". Dans ces conditions, et alors que la SARL Avenir Carrelage, qui ne présente aucune méthode alternative de reconstitution de ses recettes, se borne à faire valoir que le taux d'acompte de 30 %, usuel dans le secteur, ne correspond pas au prix des matériaux, sans apporter aucun justificatif à l'appui de cette affirmation, l'administration doit être regardée comme démontrant le bien-fondé de la méthode de reconstitution qu'elle a utilisée et, par conséquent, de la rectification du déficit reportable de la société en résultant.

31. En troisième lieu, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ".

32. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts, que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

33. L'administration a notamment remis en cause le caractère déductible des charges afférentes à la location et l'entretien d'un local à usage d'entrepôt-remise situé à Grenoble et à l'entretien et la réparation d'un véhicule, au motif qu'elles n'ont pas été engagées dans l'intérêt de l'exploitation, le bail de l'entrepôt ayant été conclu par M. E..., associé de la SARL Avenir Carrelage et le véhicule concerné appartenant à Mme D..., gérante. En se bornant à indiquer que le local à usage d'entrepôt a été visité au cours du contrôle par la vérificatrice, et que tant ce local que le véhicule sont utilisés pour les besoins de son exploitation, la SARL Avenir Carrelage n'apporte aucun élément permettant de relier les charges en litige, qui sont afférentes à des biens dont elle n'est ni locataire, ni propriétaire, avec son activité. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme démontrant que ces charges n'ont pas été engagées dans son intérêt et comme justifiant, par suite, du bien-fondé de la remise en cause de leur caractère déductible de ses résultats.

Sur les majorations :

34. Si la société requérante soutient qu'elle n'a commis aucune manœuvre frauduleuse, il ressort du tableau des conséquences financières figurant dans la proposition de rectification du 24 juillet 2017, qu'aucune pénalité pour manœuvres frauduleuses ne lui a été appliquée. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant.

35. Il résulte de ce qui précède que la SARL Avenir Carrelage n'est pas fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés à raison de la rectification opérée en matière de taxe collectée sur produits non déclarés.

36. Il résulte également de ce qui précède que la SARL Avenir Carrelage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée procédant des autres chefs de rectification opérés par le service, au rétablissement de ses déficits reportables et à la décharge de l'amende qui lui a été appliquée.

Sur les frais liés au litige

37. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme au titre des frais liés au litige exposés par la SARL Avenir Carrelage.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000290 du tribunal administratif de Grenoble du 16 mai 2022 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la SARL Avenir Carrelage tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée correspondant à des recettes non déclarées.

Article 2 : La demande présentée par la SARL Avenir Carrelage devant le tribunal administratif de Grenoble portant sur ce chef de rectification et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Avenir Carrelage et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Courbon, présidente de la formation de jugement,

M. Porée, premier conseiller,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 avril 2024.

Le rapporteur,

J.-S. Laval

La présidente,

A. Courbon

La greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02074


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02074
Date de la décision : 10/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée.


Composition du Tribunal
Président : Mme COURBON
Rapporteur ?: M. Jean-Simon LAVAL
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : PALOMARES

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-10;22ly02074 ?
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