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04/04/2024 | FRANCE | N°23LY02428

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 04 avril 2024, 23LY02428


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure

La Fondation Partage et Vie a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 23 septembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme A..., la décision par laquelle la ministre du travail a tacitement rejeté son recours hiérarchique et la décision du 23 avril 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail en date du 23 septembre 2019.



Par un jugement n° 2002442

du 26 mai 2023, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La Fondation Partage et Vie a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 23 septembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme A..., la décision par laquelle la ministre du travail a tacitement rejeté son recours hiérarchique et la décision du 23 avril 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail en date du 23 septembre 2019.

Par un jugement n° 2002442 du 26 mai 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 juillet et 9 novembre 2023, la Fondation Partage et Vie représentée par Me Walgenwitz demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et les décisions des 23 septembre 2019 et 23 avril 2020 mentionnées ci-dessus ;

2°) d'enjoindre à l'inspection du travail, à titre principal, d'accorder l'autorisation de licenciement, à titre subsidiaire, de réexaminer la demande d'autorisation licenciement de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt qui sera rendu ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier ; il n'est pas motivé, ne contient pas de visa précis des textes applicables et sa minute n'a pas été signée ;

- la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'erreur de droit dès lors qu'il a recherché la cause de l'inaptitude de Mme A... ;

- elle est entachée, comme la décision de la ministre du travail, d'erreur d'appréciation sur l'existence d'un lien entre la demande de licenciement et l'exercice par Mme A... de son mandat.

Par un mémoire enregistré le 24 août 2023, Mme A... représentée par Me Davy conclut au rejet de la requête et qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la Fondation et Partage et Vie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Le ministre du travail à qui la requête a été communiquée n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 27 septembre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 11 octobre 2023.

La Fondation Partage et Vie a produit un mémoire après clôture le 14 mars 2024, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère,

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,

- et les observations de Me Walgenwitz pour la Fondation Partage et Vie ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été embauchée en 2003 par la fondation Caisses d'Epargne Pour La solidarité, aux droits de laquelle est venue la Fondation Partage et Vie, d'abord comme infirmière, puis comme infirmière coordinatrice, puis enfin comme encadrante des soins au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées et dépendantes (EHPAD) " Le Moulin ", sur le territoire de la commune de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Elle est titulaire des mandats de déléguée du personnel, membre du comité d'établissement, déléguée syndicale et conseillère du salarié. A la suite d'un avis du médecin du travail du 2 juillet 2019 la déclarant inapte à son poste, la fondation a sollicité le 25 juillet 2019, l'autorisation de procéder à son licenciement pour inaptitude. Le 23 septembre 2019, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder cette autorisation, puis cette décision a été confirmée par décision expresse du ministre du travail le 23 avril 2020 prise sur recours hiérarchique de la fondation. La Fondation Partage et Vie relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des motifs mêmes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés par la requérante dans sa demande, ont répondu de manière suffisamment précise aux moyens que celle-ci avait développés à l'encontre de l'arrêté en litige. Par ailleurs, le jugement, qui vise le code du travail, contient le visa des textes législatifs et réglementaires dont il est fait application. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement doit être écarté.

3. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. "

4. Il résulte de l'instruction que la minute du jugement contesté, produite par le tribunal administratif de Grenoble le 26 mai 2023 et communiquée aux parties, a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur ainsi que la greffière d'audience. Par suite, le moyen tiré du caractère irrégulier du jugement contesté, faute de signature de la minute, manque en fait et doit être écarté.

Sur le fond du litige :

5. Aux termes de l'article R. 2421-16 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé. "

6. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

7. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

8. En premier lieu, la Fondation Partage et Vie soutient que l'inspecteur du travail aurait méconnu l'étendue de son contrôle en recherchant la cause de l'inaptitude de Mme A.... Toutefois ainsi qu'il a été dit précédemment au point 7, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. En l'espèce, l'inspectrice du travail a constaté que " l'inaptitude de madame A... résulte d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec la stigmatisation et la décrédibilisation de celle-ci dans l'exercice normal de ses mandats qui constituent des obstacles mis par la Fondation Partage et Vie à l'exercice par la salariée de ses fonctions représentatives ". Sans méconnaitre l'étendue de son contrôle, elle a constaté que son inaptitude est liée à la dégradation de son état de santé, elle-même liée à l'exercice de son mandat. En contrôlant l'absence de lien avec le mandat ainsi qu'elle est tenue de le faire, l'inspectrice du travail n'a pas commis d'erreur de droit et méconnu l'étendue de sa compétence.

9. En deuxième lieu, l'inspectrice du travail, puis le ministre du travail ont considéré que l'inaptitude de Mme A... résultait d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec les obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives et qu'elle était, à cet égard, de nature à révéler l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats de Mme A.... Les décisions contestées retiennent pour caractériser un tel lien, d'une part, le comportement d'un auditeur externe, M. B... C..., psychologue, psychothérapeute et consultant en institution sociale, lors d'une réunion collective le 28 mars 2018, d'autre part, la procédure de licenciement pour motif disciplinaire engagée le 29 juin 2018 à l'encontre de Mme A... et, enfin, le fait que la plupart des salariées élues représentantes du personnel ont quitté leur fonction au sein de l'établissement.

10. Il ressort des pièces produites en première instance par l'intéressée que le 28 mars 2018 lors de la restitution d'un audit effectué à la demande de la fondation sur la communication au sein de la direction de l'établissement et animé par un psychologue, ce dernier a indiqué que Mme A... était en " opposition frontale avec la direction, sous couvert de représentation syndicale " ce qui alimentait une situation conflictuelle au sein de l'EHPAD, sans que le directeur qui était présent ne le recadre et ne rappelle la protection dont bénéficient les représentants syndicaux pour la défense des droits des salariés. A la suite de cet incident, elle a été placée en arrêt maladie.

11. Parallèlement, à la suite de la dénonciation par une salariée de faits de harcèlement moral qui auraient été commis par deux autres salariées, il a été décidé au cours d'une réunion exceptionnelle du 9 avril 2018 de mener une enquête interne sur ces faits. A l'issue de l'enquête, en juin 2018, une procédure de licenciement pour faute a été engagée à l'encontre de Mme A... au motif qu'elle était l'auteur de manœuvres relevant de harcèlement moral à l'égard de plusieurs professionnels de la résidence ainsi que de harcèlement moral caractérisé à l'égard d'une aide-soignante coordinatrice. La demande d'autorisation de licenciement qui a suivi a été rejetée par l'inspection du travail et le ministre au motif que certains faits étaient prescrits, que d'autres n'étaient pas établis et que ceux qui restaient relevaient de l'exercice normal de son mandat. Ces rejets n'ont pas été contestés au contentieux. Pendant toute la durée de cette procédure, Mme A... a été maintenue en arrêt de travail, d'abord pour des problèmes de dos, ensuite en raison de la souffrance psychologique ressentie à raison de cette situation.

12. Pour démontrer, malgré ces élemens, que le licenciement est sans lien avec le mandat, la fondation appelante fait valoir que l'avis d'inaptitude ne mentionne par son origine professionnelle, et que le conseil des prud'hommes n'a pas reconnu de discrimination syndicale ni de harcèlement exercé à son égard. Toutefois la CPAM a reconnu l'incident du 28 mars 2018 comme accident du travail. Mme A... a ensuite été placée en affection longue durée et reconnue par la suite travailleur handicapé. La seule décision des prud'hommes frappée d'appel ne saurait suffire à démontrer que la demande de licenciement de Mme A... serait sans lien avec l'exercice de son mandat.

13. Alors même que le départ d'autres représentantes du personnel de l'établissement ne parait pas en l'espèce, à défaut de précisions suffisantes sur les motifs qui ont justifié ces départs, révélateur d'un lien avec le mandat, au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés et de leur chronologie, le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les fonctions représentatives normalement exercées par Mme A... doit être regardé comme établi. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par l'inspecteur du travail et le ministre, en ce qui concerne le lien entre les mandats de Mme A... et la demande d'autorisation de licenciement, doit donc être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que la Fondation Partage et Vie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête est rejetée dans l'ensemble de ses conclusions.

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la Fondation Partage et Vie est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de Mme A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Partage et Vie, à Mme A... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement,

M. Chassagne, premier conseiller,

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

La rapporteure,

C. DjebiriLa présidente de la formation de jugement,

A. Duguit-Larcher

Le greffier en chef,

C. Gomez

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier en chef,

N°23LY02428 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02428
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : Mme DUGUIT-LARCHER
Rapporteur ?: Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : LOIA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;23ly02428 ?
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