Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 17 octobre 2022 par lesquelles la préfète de l'Ain a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2300349 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 mai 2023 et le 11 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Cadoux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 avril 2023 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, ou si le bénéfice de l'aide juridictionnelle lui était refusée, de lui verser une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public en estimant qu'il ne démontrait pas que son traitement à base du médicament " Orencia " serait indisponible en Albanie alors que la préfète de l'Ain ne contestait pas le fait que la préparation " Orencia (Abatacept) n'est pas disponible en Albanie " et soutenait seulement qu'il pouvait bénéficier d'un traitement de substitution ;
- le jugement attaqué est irrégulier pour être insuffisamment motivé et pour n'avoir pas répondu à un mémoire produit avant clôture et comportant des éléments nouveaux ;
- les premiers juges ont entaché leur décision d'erreur de fait dans l'application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les premiers juges ont entaché leur décision d'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors qu'il souffre de multiples pathologies et qu'il lui a été reconnu un taux d'incapacité supérieur à 80 % et que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il pourrait bénéficier en Albanie d'une prise en charge et d'un traitement adapté à ses pathologies ;
- si la préfète de l'Ain estime qu'il n'est pas établi que la substance du médicament " Orencia " ne pourrait être substituée par d'autres produits commercialisés et remboursés en Albanie et aux effets analogues, comme l'infliximab, l'étanercept et l'adalimumab, elle n'établit pas que ces produits sont effectivement commercialisés en Albanie, alors qu'il verse aux débats de nombreux éléments en sens contraire et établissant la différence entre les molécules ;
- en outre, il est atteint d'une psychose chronique traitée sans interruption depuis 2014 ;
- en cas de retour en Albanie il ne pourrait y bénéficier d'un accès effectif au traitement par Orencia (Abatacept) en raison de son coût, en l'absence d'autorisation de mise sur le marché, de l'absence de remboursement et de son handicap à l'origine de faibles ressources ;
- l'obligation de quitter le territoire qui lui a été faite est illégale pour être fondée sur un refus de séjour illégale ;
- l'obligation de quitter le territoire qui lui a été faite est illégale dès lors qu'il remplit les conditions pour obtenir de plein droit le titre de séjour prévu par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire qui lui a été faite méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire qui lui a été faite méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale pour être fondée sur une obligation de quitter le territoire français illégale ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a transmis, le 19 juin 2023, le dossier médical de M. A... qui a été communiqué aux parties le même jour.
Par un mémoire enregistré le 3 juillet 2023, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Dèche, présidente ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant albanais, né le 28 avril 1965, a déclaré être entré en France, le 14 septembre 2014. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée en dernier lieu, par la Cour nationale du droit d'asile, le 7 mars 2016. A la suite d'une demande présentée, le 30 juin 2016, il a obtenu un titre de séjour en raison de son état de santé qui a été régulièrement renouvelé jusqu'au 3 mars 2022. Par décisions du 17 octobre 2022, la préfète de l'Ain a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 6 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 17 octobre 2022.
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an (...)./ La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État./ Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ./ Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ".
3. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, au sens des dispositions précitées, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... souffre de plusieurs pathologies notamment une pathologie psychologique et une pathologie somatique connue sous le nom de polyarthrite rhumatoïde pour laquelle il reçoit un traitement par injection d'Orencia, dont le principe actif est l'Abatacept.
5. Par un avis du 19 septembre 2022, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Pour contester cet avis et afin de démontrer l'indisponibilité du traitement, le requérant produit notamment un certificat, daté du 9 décembre 2022, émanant d'un médecin chirurgien et oncologue du centre hospitalo-universitaire Mère Térésa en Albanie selon lequel " la préparation Orencia (Abatacept) n'est pas disponible en Albanie " ainsi qu'une attestation traduite, datée du 14 juin 2023, émanant de l'Agence Nationale des Médicaments et des Dispositifs Médicaux de la République d'Albanie, qui indique que " les pharmacies de la République d'Albanie et la pharmacie en question " Florifarma " n'ont pas le droit de commercialiser des médicaments sans autorisation de mise sur le marché tels que le médicament Orencia 125mg, avec le principe actif " Abatacept ", sous la forme de dosage solution injectable en seringue préremplie x 125 mg qui n'est pas équipé d'une autorisation de mise sur le marché dans la République d'Albanie ". Ces documents sont corroborés par les informations délivrées par l'agence nationale de médicaments rattachée au Ministère de la Santé albanais (Agjencia Kombetare e Barnave dhe Pajisjeve Mjekesore) dont il ressort que l'Abatacept ne figure ni sur la liste des médicaments commercialisés dans les pharmacies et hôpitaux dont le coût est pris en charge par l'Etat albanais, ni sur celles des médicaments disponibles dans les pharmacies et hôpitaux, mais pour lesquels aucune prise en charge n'est prévue, ni sur celle de l'ensemble des médicaments enregistrés en Albanie. Afin de démontrer, que contrairement à ce que soutient la préfète en défense, à la date de la décision en litige, il bénéficiait de manière régulière et effective de ce traitement, l'intéressé produit cinq ordonnances médicales de prescription exceptionnelle en date des 12 juin 2019, 4 juin 2020, 10 mai 2021, 5 mai 2022 et 31 janvier 2023. Il produit également une attestation d'un pharmacien exerçant à Oyonnax, datée du 7 juin 2023 attestant de la délivrance à l'intéressé de l'Orencia, de manière régulière. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'Orencia est un médicament d'exception, particulièrement coûteux, mis sur le marché au prix de 825,26 euros, soit 86 252,78 leks albanais alors que le salaire minimum de base en Albanie, en janvier 2023, était fixé à 31 114,38 leks. Il ressort également d'un document relayé par les Nations Unies, intitulé " National strategy on people with desabilities " qu'en Albanie, le montant des allocations pour une personne totalement invalide s'élève à 12 300 leks par mois, que pour une personne partiellement invalide, comme M. A..., ce montant s'élève à 4 547 leks. Il ressort ainsi de ces éléments qui ne sont pas utilement contredits en défense, qu'en tout état de cause, M. A... ne pourra pas, ainsi qu'il le soutient, bénéficier effectivement en Albanie d'un accès aux soins que son état de santé nécessite. Dans ces conditions, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et nonobstant l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le requérant est fondé à soutenir qu'en refusant de renouveler son titre de séjour en qualité d'étranger malade, la préfète de l'Ain a méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, il est fondé à demander l'annulation de la décision refusant le renouvellement de son titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, ni sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions de la préfète de l'Ain, du 17 octobre 2022 refusant de renouveler son titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'annulation, pour le motif sus-indiqué, des décisions de la préfète de l'Ain implique nécessairement que soit délivré à M. A... un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre à la préfète de l'Ain de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés à l'instance :
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Cadoux, avocate de M. A..., de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300349 du 6 avril 2023 du tribunal administratif de Lyon et les décisions du 17 octobre 2022 de la préfète de l'Ain sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Ain de délivrer à M. A... un titre de séjour en qualité d'étranger malade, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Cadoux, avocate de M. A..., une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Me Cadoux et à la préfète de l'Ain.
Copie en sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Dèche, présidente,
Mme Mauclair, première conseillère,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.
La rapporteure,
P. Dèche
L'assesseure la plus ancienne,
A.- G. Mauclair,
La greffière,
C. Driguzzi
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY01578