Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2014.
Par un jugement n° 2100024 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 avril 2022, M. A..., représenté par Me Teissier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 15 mars 2022 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice et de le condamner aux entiers dépens.
Il soutient que :
- en estimant qu'elle doit être manifestement nécessaire à l'opération de restructuration, l'administration ajoute à la soulte une finalité qui ne figure ni dans la directive " fusions " 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, remplacée par la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009, ni dans les intentions du législateur qui n'était pas opposé à procurer un avantage fiscal lié à l'instauration d'un différé d'imposition mais limité aux cas où la soulte ne dépasserait pas un certain seuil ; de plus, c'est l'objectif de l'apport lui-même qu'il convenait d'examiner et non celui de la soulte, qui ne constituait pas une opération juridique autonome, mais n'était que l'une des composantes accessoires d'une obligation relevant d'un contrat indivisible ;
- la charge fiscale n'est en l'occurrence ni éludée, ni atténuée, mais seulement différée et postérieurement au versement de la soulte litigieuse, s'il a prélevé sur le compte ouvert en son nom dans les livres de la société Agathe, la somme de 60 000 euros, il a, dans le même temps, crédité ce compte d'une somme de 74 750 euros ; ces éléments montrent que son objectif n'était pas de percevoir des sommes en franchise d'impôt dans le cadre de l'opération d'apport réalisée et que l'administration ne pouvait engager à son encontre la procédure visée à l'article L.64 du livre des procédures fiscales.
Par un mémoire enregistré le 9 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- les observations de Me Teissier, représentant M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte du 3 mars 2014, M. A... a effectué un apport à la société civile Agathe, dont il était associé à hauteur de la moitié du capital social, sa compagne étant associée à hauteur de l'autre moitié, de la totalité des parts qu'il détenait au sein de cinq sociétés, pour un montant évalué à la somme de 1 044 824 euros. En contrepartie, il a perçu de la part de la société civile Agathe, 949 840 parts d'un euro de cette société et le versement d'une soulte d'un montant de 94 984 euros, soit 10 % de la valeur des titres reçus. Le montant de la soulte a été inscrit, le 3 mars 2014 au crédit du compte courant d'associé ouvert au nom de M. A... dans les écritures de la société civile Agathe. La soulte perçue étant d'un montant inférieur à 10 % de la valeur nominale des parts reçues, la plus-value dégagée à l'occasion de cette opération, d'un montant de 270 827 euros, a été placée en report d'imposition sur le fondement de l'article 150-0 B ter du code général des impôts. Par une proposition de rectification du 9 novembre 2017, l'administration a estimé que le versement de cette soulte d'un montant de 94 984 euros était constitutif d'un abus de droit et a remis en cause le bénéfice du report d'imposition la concernant. Elle a imposé la soulte à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières et aux contributions sociales. M. A... a, en conséquence, été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2014, assorties d'intérêts de retard et d'une majoration de 80 %. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments en droits et pénalités.
2. L'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de saisine du comité de l'abus de droit fiscal et lorsque l'administration se conforme à l'avis rendu par ce dernier, le contribuable supporte la charge de la preuve.
4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la proposition de rectification du 9 novembre 2017, le comité de l'abus de droit fiscal a confirmé, dans son avis du 11 avril 2019, le bien-fondé de la mise en œuvre, par l'administration fiscale, de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Dès lors que l'administration s'est conformée à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, il incombe à M. A... d'établir que les opérations litigieuses ne sont pas constitutives d'un abus de droit.
5. Aux termes du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. (...) ".
6. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.
7. En premier lieu, le requérant réitère en appel les moyens tirés de ce que les dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts et de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 feraient obstacle à ce que l'administration puisse remettre en cause, au moyen de la procédure de l'abus de droit, le report d'imposition d'une soulte qui n'excède pas le seuil de 10 %. Il y a lieu pour la cour d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal aux points 5 et 6 de son jugement.
8. En second lieu, pour remettre en cause le bénéfice du report d'imposition, prévu par les dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, à concurrence du seul montant de la soulte versée en contrepartie de l'apport de titres à la société civile Agathe, correspondant à la somme de 94 984 euros, l'administration a relevé, selon les termes de la proposition de rectification du 9 novembre 2017, que la composition du capital social de la société civile Agathe, constitué de M. A... et de sa compagne, avait permis à l'intéressé de fixer librement la valeur des titres reçus par la société et de donner les apparences d'un rapport déséquilibré dans la valeur d'échange des titres justifiant le versement d'une soulte. Elle a estimé que le versement de la soulte ne présentait aucun intérêt pour la société bénéficiaire de l'apport et que le montant de la soulte était très légèrement inférieur à 10 % de la valeur des titres reçus. Elle en a déduit que, via l'inscription de cette somme au crédit de son compte courant d'associé dans les écritures de la société civile Agathe, la stipulation de la soulte en litige a permis au requérant d'appréhender en franchise d'impôt des liquidités au bénéfice d'une application littérale des textes contraire à l'intention du législateur. Le requérant soutient que l'opération d'apport de titres à la société civile Agathe s'inscrit dans une opération plus vaste de réorganisation du capital des sociétés dont les titres ont été apportés afin de mettre en place un système de gouvernance assurant la permanence de la direction du groupe. Toutefois, l'opération d'apport des titres que M. A... détenait au sein de cinq sociétés, au profit de la société civile Agathe n'ayant pas été remise en cause par l'administration, la justification économique d'un tel apport est ainsi sans incidence sur l'imposition immédiate de la soulte versée. Sur ce dernier point, le requérant fait valoir que si l'administration a relevé qu'il a prélevé une somme de 60 000 euros sur son compte courant associé juste après le versement de la soulte en litige, il a immédiatement crédité ce compte d'une somme de 74 000 euros. Toutefois, cette circonstance ne suffit pas à démontrer, à elle seule, que la perception de la soulte en litige était destinée à financer une opération d'investissement au profit de la société civile Agathe. Par ailleurs, et alors qu'il résulte de l'instruction qu'initialement, M. A... s'était vu attribuer 941 000 parts de la société civile Agathe d'une valeur minimale d'un euro et une soulte de 103 824 euros, correspondant à 11 % de la valeur nominale des titres reçus en échange, et qu'ultérieurement, suite à une délibération de l'assemblée générale de cette société, le 30 avril 2014, la rémunération des apports a été modifiée, avec une attribution de 949 840 parts d'un euro à la société civile Agathe et le versement d'une soulte ramenée de ce fait à la somme de 94 984 euros correspondant à 10 % de la valeur des titres reçus, le requérant n'apporte aucun élément permettant de démontrer l'existence d'un intérêt économique associé au versement de cette soulte. Ainsi, M. A... n'établit pas, comme il lui incombe, que le versement de la soulte litigieuse poursuivait un but autre qu'exclusivement fiscal et qu'il n'était ainsi pas constitutif d'un abus de droit.
9. Il résulte de ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre de ses frais d'instance. En l'absence de dépens, la demande présentée sur le fondement de l'article R. 761-1 du même code ne peut qu'être également rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Dèche, présidente,
Mme Mauclair, première conseillère,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.
La rapporteure,
P. Dèche
L'assesseure la plus ancienne,
A.- G. Mauclair
La greffière,
C. Driguzzi
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01314