La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/03/2024 | FRANCE | N°22LY02823

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 27 mars 2024, 22LY02823


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La commune de Marsanne a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté interministériel du 28 avril 2020 en tant qu'il ne reconnaît pas l'état de catastrophe naturelle sur son territoire, ainsi que la décision du 12 octobre 2020 rejetant son recours gracieux.



Par un jugement n° 2007497 du 26 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 28 avril 2020, enjoint aux ministres compétents de reconnaître l'état de catas

trophe naturelle sur le territoire de la commune de Marsanne dans un délai de trois mois et mis à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Marsanne a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté interministériel du 28 avril 2020 en tant qu'il ne reconnaît pas l'état de catastrophe naturelle sur son territoire, ainsi que la décision du 12 octobre 2020 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2007497 du 26 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 28 avril 2020, enjoint aux ministres compétents de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur le territoire de la commune de Marsanne dans un délai de trois mois et mis à la charge de l'Etat le versement à la commune de Marsanne d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 septembre 2022 et un mémoire enregistré le 7 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par SELAS d'avocats Arco-Legal, agissant par Me Fergon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la commune de Marsanne devant le tribunal administratif de Grenoble ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marsanne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le séisme litigieux n'a pas atteint un niveau d'intensité anormal justifiant de le reconnaître comme une catastrophe naturelle.

Par des mémoires en défense enregistrés le 5 décembre 2022 et le 12 décembre 2023, la commune de Marsanne, représentée par la SELARL d'avocats Fayol et Associés, agissant par Me Blanc, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 23 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Breysse, avocat, pour la commune de Marsanne ;

Considérant ce qui suit :

1. Suite à un séisme survenu le 11 novembre 2019 et ayant son épicentre au Teil, dans le département de l'Ardèche, le maire de Marsanne a, le 14 novembre suivant, déposé une demande de reconnaissance d'une catastrophe naturelle sur le territoire de sa commune. Par un arrêté du 28 avril 2020, les ministres de l'intérieur, de l'économie et des finances, et de l'action et des comptes publics ont reconnu l'état de catastrophe naturelle tenant notamment à ce séisme dans certaines communes, mais rejeté entre autres demandes celle présentée par la commune de Marsanne. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 26 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté en tant qu'il a rejeté la demande de la commune de Marsanne et enjoint aux ministres compétents de reconnaître l'état de catastrophe naturelle à Marsanne.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances, dans sa rédaction alors applicable : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles (...) / Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. (...) ".

3. En matière de séismes, l'intensité anormale est reconnue lorsque la magnitude a dépassé le niveau 5 sur l'échelle de Richter et l'intensité macrosismique atteint le niveau mixte V-VI sur l'échelle macrosismique européenne de 1998 (EMS-98). En l'espèce, il est constant que le séisme du 11 novembre 2019, dont la magnitude a été évaluée entre 5,2 et 5,4, remplit cette première condition. Les auteurs de l'arrêté attaqué ont estimé qu'en revanche, la seconde condition n'était pas remplie.

4. L'intensité d'un séisme dans l'EMS-98 est apprécié au vu de trois catégories d'indicateurs : " a) effets sur les humains / b) effets sur les objets et sur la nature (...) / c) dégâts sur les bâtiments ". Le niveau d'intensité V " Fort " est défini de la façon suivante : " a) La secousse est ressentie à l'intérieur des habitations par la plupart des personnes et à l'extérieur par quelques personnes. Quelques personnes effrayées se précipitent dehors. Réveil de la plupart des dormeurs. Les observateurs ressentent une forte secousse ou une forte oscillation de l'ensemble du bâtiment de la pièce ou du mobilier. / b) Balancement important des objets suspendus. La porcelaine et les verres s'entrechoquent. De petits objets, des objets dont le centre de gravité est élevé et/ou qui sont mal posés peuvent se déplacer ou tomber. Des portes ou des fenêtres s'ouvrent ou se ferment. Dans quelques cas, des vitres se brisent. Les liquides oscillent et peuvent être projetés hors des récipients pleins. Les animaux deviennent nerveux à l'intérieur. / c) Dégâts de degré 1 de quelques bâtiments de classes de vulnérabilité A et B ", classes correspondant aux bâtiments les moins résistants. Le niveau d'intensité VI " Dégâts légers " est décrit de la façon suivante : " a) Secousse ressentie par la plupart des personnes à l'intérieur des habitations et par de nombreuses personnes à l'extérieur. Quelques personnes perdent leur sang-froid. De nombreuses personnes effrayées se précipitent dehors. / b) De petits objets de stabilité moyenne peuvent tomber et le mobilier peut être déplacé. Dans certains cas, bris de vaisselle et de verres, Les animaux d'élevage (même à l'extérieur) peuvent s'affoler. / c) De nombreux bâtiments des classes de vulnérabilité A et B subissent des dégâts de degré 1, quelques-uns de classes A et B subissent des dégâts de degré 2 ; quelques-uns de classe C subissent des dégâts de degré 1 ". Les dégâts de degré 1 sont définis comme des " Dégâts négligeables à légers (aucun dégât structural, légers dégâts non structuraux) ". Les dégâts de degré 2 sont définis comme des " Dégâts modérés (dégâts structuraux légers, dégâts non structuraux modérés) ". L'échelle précise toutefois que " Dans la réalité, les données disponibles ne correspondront souvent pas aux descriptions des degrés d'intensité sous tous les aspects. Dans ces cas, l'enquêteur doit décider des degrés qui offrent la meilleure correspondance avec les données dont il dispose. Pour ce faire, il est important de rechercher un élément de cohérence dans l'ensemble des données plutôt que de se fier à l'un des diagnostics comme à un étalon. Il est nécessaire de veiller à ne pas donner trop d'importance à des observations occasionnelles extrêmes qui peuvent conduire à une surestimation de l'intensité dans le lieu en question. Par exemple, l'utilisation excessive des dégâts en tant que diagnostic a entraîné par le passé une surestimation des intensités lorsque des cas de dégâts isolés, voire anormaux, ont conduit à des évaluations d'intensité de 6 ou plus, même si l'ensemble des autres données suggérait une valeur plus faible ". L'échelle indique en outre que " Il peut également exister des cas où les données peuvent aussi bien être interprétées comme (par exemple) 6 ou 7 (mais visiblement pas 8). Dans de tels cas, on écrira l'intensité sous la forme 6-7, signifiant soit 6, soit 7 ; cela n'implique aucune valeur intermédiaire quelconque. (...) Un autre problème est celui des ambiguïtés dans les données ; par exemple, les effets sur les humains peuvent suggérer une intensité de 6 seulement, tandis que les effets sur les structures suggèrent une intensité 8 ou vice-versa. (...) si des cas particuliers de ce type se présentent et que l'on ne peut discerner une certaine forme de cohérence, il est alors nécessaire d'exprimer l'intensité sous la forme d'un intervalle comme discuté ci-dessus ".

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la note complémentaire du Bureau central sismologique français du 2 décembre 2022, produite par le ministre de l'intérieur et des outre-mer devant la Cour, que l'évaluation de l'intensité du séisme dans les communes concernées a été appréciée par ce Bureau central au vu des résultats d'une visite sur les lieux d'un groupe d'intervention macrosismique ayant relevé des témoignages quant aux effets du séisme sur les personnes et les objets, et examiné les dégâts aux bâtiments, ces éléments ayant été complétés par les justificatifs ultérieurement transmis par la commune. Les chercheurs du groupe ont constaté à Marsanne que les indicateurs relatifs aux effets du séisme sur les personnes et sur les objets correspondaient à une intensité du séisme de niveau IV, et ont retenu une valeur de V compte tenu des dégâts aux bâtiments ayant un caractère léger, ou n'étant pas imputables au séisme, certains paraissant très anciens. Si la commune a transmis à l'administration de l'Etat des déclarations relatives aux dégâts portant sur une cinquantaine de bâtiments, la fréquence de ces dégâts, qui affectent moins de 10 % des habitations de la commune, au nombre d'environ 720, est faible. Ces déclarations et les photographies produites ne permettent ni de déterminer la classe de vulnérabilité des bâtiments concernés, ni la date d'apparition des dégâts et leur nature exacte, et en particulier s'ils affectent la structure de l'ouvrage ou les seuls revêtements. La commune ne produit en outre aucun élément venant démentir les constatations du Bureau central quant aux effets du séisme sur les personnes et sur les objets. Dans ces circonstances, les ministres ont à raison estimé que l'intensité du séisme n'avait pas excédé le niveau V de l'EMS-98 et c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances qu'ils ont refusé de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur le territoire de la commune de Marsanne.

6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 28 avril 2020 en ce qu'il avait rejeté la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de la commune de Marsanne.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Marsanne. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Marsanne la somme que le ministre de l'intérieur et des outre-mer réclame en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2007497 du 26 juillet 2022 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande de la commune de Marsanne devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la commune de Marsanne.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, où siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02823


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02823
Date de la décision : 27/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

12 Assurance et prévoyance.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : FAYOL ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-27;22ly02823 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award