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13/03/2024 | FRANCE | N°23LY01221

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 13 mars 2024, 23LY01221


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, et d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour dans le mois suivant la notification de la décision à intervenir.



Par un jugement n° 2205007 du 24 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, et d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour dans le mois suivant la notification de la décision à intervenir.

Par un jugement n° 2205007 du 24 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 7 juin 2022, et enjoint à ce préfet de délivrer à M. A... B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 6 avril 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 février 2023 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble.

Il soutient que :

- M. A... B... n'avait pas transmis les pièces permettant que l'instruction de sa demande soit faite au regard de sa situation ;

- il n'établit pas résider en France depuis 2004 ;

- les moyens qu'il a invoqués en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2023, M. A... B..., représenté par Me Rochat, doit être regardé comme concluant au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que les moyens présentés par le préfet de l'Isère ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Par une décision du 27 septembre 2023, M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant tunisien né en 1976, déclare être entré en France le 10 avril 2004. Le 22 novembre 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 7 juin 2022, le préfet de l'Isère lui a opposé un refus de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 24 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 7 juin 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. A... B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Pour annuler l'arrêté du préfet de l'Isère au motif que celui-ci avait commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de son refus sur la situation personnelle de l'intéressé, les premiers juges ont retenu la résidence habituelle de M. A... B... sur le territoire français depuis 2008, son intégration dans la société française et la circonstance qu'il devait être regardé comme ayant établi, de manière stable et durable, l'essentiel de ses liens privés et professionnels sur le territoire français. Toutefois, ainsi que le fait valoir le préfet, M. A... B..., qui est célibataire et sans enfant à charge, ne justifie pas d'une intégration particulière en dépit des divers emplois qu'il aurait occupés et du contrat de travail, daté du 20 avril 2022, qu'il a produit, ni de liens particuliers sur le territoire national justifiant qu'il soit fait droit au séjour, ni enfin être dépourvu d'attaches familiales en Tunisie où ses parents et sa sœur résident. Par suite, c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 7 juin 2022 refusant de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi pour ce motif.

3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... B... à l'encontre de la décision précitée.

4. Aux termes de l'article 7 ter d) de l'accord franco-tunisien: " Reçoivent de plein droit un titre de séjour renouvelable valable un an et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle dans les conditions fixées à l'article 7 : les ressortissants tunisiens qui, à la date d'entrée en vigueur de l'accord signé à Tunis le 28 avril 2008, justifient par tous moyens résider habituellement en France depuis plus de dix ans, le séjour en qualité d'étudiant n'étant pas pris en compte dans la limite de cinq ans (...) ". Aux termes de l'article 7 quater de cet accord : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ". Aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ". Aux termes de l'article L. 423-13 de ce code : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance / (...)/ 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1 ". Aux termes de l'article L. 435-1 de ce code : " (...). / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / (...) ". L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, n'est pas applicable aux ressortissants tunisiens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, le préfet peut, en vertu du pouvoir dérogatoire dont il dispose, même sans texte, pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation, décider de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. La consultation obligatoire de la commission du titre de séjour, telle qu'elle est prévue par les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a pour objet d'éclairer l'autorité administrative sur la possibilité de régulariser la situation administrative d'un étranger et constitue pour ce dernier une garantie substantielle. Le préfet n'est tenu de saisir cette commission que si l'étranger sollicitant un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions justifie d'une présence continue de dix ans sur le territoire français. Enfin, l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 n'a pas entendu écarter l'application des dispositions de procédure qui s'appliquent à tous les étrangers en ce qui concerne la délivrance, le renouvellement ou le refus de titres de séjour.

5. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de la décision contestée devant lui en prenant en considération la situation de fait existant à la date à laquelle cette décision a été prise, et non pas seulement, contrairement à ce que le préfet de l'Isère soutient, en fonction des pièces portées à la connaissance de l'administration par l'étranger dans le cadre de l'instruction de sa demande de titre de séjour.

6. Il ressort des pièces du dossier de première instance, notamment des avis d'imposition, attestations, relevés bancaires, documents médicaux, ou bulletins de salaire produits, que M. A... B... établit sa présence en France depuis au moins le début de l'année 2010, soit depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté préfectoral contesté. Ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, la circonstance dénoncée par le préfet que M. A... B... avait communiqué, lors de l'instruction de sa demande, seulement deux à trois justificatifs par année de présence en France, dénués au surplus selon lui de valeur probante, n'est pas susceptible de contredire l'existence de la situation de fait ainsi retenue. Il s'ensuit que l'absence de saisine pour avis de la commission du titre de séjour, en méconnaissance des exigences de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a entaché l'arrêté litigieux du 7 juin 2022 d'un vice de procédure, lequel a été de nature à priver l'intéressé d'une garantie. Pour ce motif, M. A... B... est fondé à soutenir que la décision de cet arrêté refusant de lui délivrer un titre de séjour est entachée d'irrégularité.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 24 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 7 juin 2022.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation à retenir, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère qu'il procède à un nouvel examen de la demande de l'intéressé, après avoir saisi la commission du titre de séjour, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, dans le délai de trois mois suivant la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir sans délai M. A... B... d'une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais liés au litige :

9. M. A... B... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rochat, avocate de M. A... B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rochat de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Il est enjoint au préfet de l'Isère de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. A... B... et de prendre, après avoir saisi la commission du titre de séjour, une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de sa décision, une autorisation provisoire de séjour.

Article 2 : Le jugement du 24 février 2023 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de l'Isère est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à Me Rochat une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Rochat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de l'Isère, à M. D... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 27 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01221
Date de la décision : 13/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : ROCHAT

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-13;23ly01221 ?
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