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13/03/2024 | FRANCE | N°22LY02815

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 13 mars 2024, 22LY02815


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 16 décembre 2019 par laquelle le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a rejeté sa demande indemnitaire et de condamner la région à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime lui avoir été causés.



Par un jugement n° 2001101 du 19 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.




>Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 20 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Bouchair...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 16 décembre 2019 par laquelle le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a rejeté sa demande indemnitaire et de condamner la région à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime lui avoir été causés.

Par un jugement n° 2001101 du 19 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 20 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Bouchair, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 juillet 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 16 décembre 2019 et de condamner la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser une indemnité de 10 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de région Auvergne-Rhône-Alpes une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- la région a manqué à son obligation de sécurité à son égard ainsi qu'à son obligation d'aménagement raisonnable de ses conditions de travail en tant que travailleur handicapé ;

- il a ainsi subi un traitement discriminatoire, violant l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, l'article 1er de la loi du 27 mai 2008, et l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- ce comportement fautif est de nature à engager la responsabilité de la collectivité ; il a nécessairement subi un préjudice consistant en la dégradation de son état de santé et un préjudice de jouissance, lesquels doivent être chiffrés à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 février 2023, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par la SCP Lonqueue - Sagalovitsch - Eglie-Richters et Associés Sensei Avocats, agissant par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions de la requête relatives au préjudice de jouissance, nouvelles en appel, sont irrecevables ;

- les conclusions tendant à une déclaration de droit sont irrecevables ;

- le moyen tiré de l'illégalité externe de la décision du 16 décembre 2019, nouveau en appel, est irrecevable ; il est en tout état de cause inopérant dans le cadre d'un litige de plein contentieux indemnitaire ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le décret n° 85-605 du 10 juin 1985 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., adjoint technique territorial de 1ère classe des établissements d'enseignement, employé par la région Auvergne-Rhône-Alpes comme ouvrier d'installations sanitaires et thermiques au lycée Ferdinand Buisson à Voiron, a été placé en congé de longue maladie du 16 novembre 2010 au 15 novembre 2013. L'intéressé étant inapte à la reprise de ses anciennes fonctions, et la qualité de travailleur handicapé lui ayant été reconnue le 14 octobre 2013, il a repris le travail à des fonctions d'agent d'entretien et d'hygiène au lycée Françoise Dolto du Fontanil-Cornillon, avec des restrictions d'emploi. A compter de l'année 2015, ses tâches ont été réparties pour moitié entre ces fonctions d'agent d'entretien et d'hygiène et des fonctions de magasinier des ateliers. Victime le 10 juin 2015 d'un accident qui a été reconnu imputable au service, M. B... a sollicité son affectation à d'autres fonctions compatibles avec son état de santé, sans succès. Par courrier du 28 octobre 2019, il a réclamé à être indemnisé des préjudices qui lui ont été selon lui causés par les manquements de la région aux restrictions auxquelles est soumise son aptitude au travail. Par une décision du 16 décembre 2019, le directeur des ressources humaines de la région Auvergne-Rhône-Alpes a refusé le versement de toute indemnité. M. B... relève appel du jugement du 19 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et la condamnation de la région à l'indemniser.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la décision du directeur des ressources humaines de la région Auvergne-Rhône-Alpes du 16 décembre 2019 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande indemnitaire de M. B.... Au regard de cet objet, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté comme inopérant, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité en appel.

3. En deuxième lieu, M. B... soutient que la région a méconnu son obligation de sécurité et de protection de la santé de ses agents, résultant de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 5 de la directive cadre 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, de l'article L. 1424-1 du code du travail, de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983, de l'article 2-1 du décret n° 85-605 du 10 juin 1985, aux termes duquel " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ", et de l'article 24 du même décret, aux termes duquel " Les médecins du service de médecine préventive sont habilités à proposer des aménagements de poste de travail ou de conditions d'exercice des fonctions, justifiés par l'âge, la résistance physique ou l'état de santé des agents. / Lorsque l'autorité territoriale ne suit pas l'avis du service de médecine préventive, sa décision doit être motivée et le comité d'hygiène ou, à défaut, le comité technique doit en être tenu informé. ". Il soutient en outre que la région n'a pas respecté son obligation d'aménagement raisonnable des conditions de travail du travailleur handicapé, résultant de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983, aux termes duquel " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnées aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 5212-13 du code du travail d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, notamment compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur (...) ".

4. D'une part, il résulte de l'instruction qu'à la suite de sa reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, M. B... a été reclassé à des fonctions d'agent d'entretien et d'hygiène, puis à mi-temps, à des fonctions de magasinier, que le service de médecine de prévention, qui l'a reçu les 13 février 2014, 20 février 2015, 15 février et 16 novembre 2016, a estimées compatibles avec son état de santé, sous réserve du respect de restrictions portant sur l'absence de piétinement, de travail en hauteur, d'utilisation de machines générant des vibrations, de flexion forcée du buste en avant et de port répétitif de charges de plus de cinq kilogrammes. Il est constant que l'accident de service dont M. B... a été victime le 10 juin 2015, est intervenu alors qu'il nettoyait un vide-sanitaire d'une hauteur de 1,60 mètres, tâche qui impliquait nécessairement une flexion avant forcée du buste de M. B..., en méconnaissance des préconisations de la médecine de prévention. Toutefois, le requérant ne produit pas d'élément de nature à démontrer qu'outre cette regrettable méconnaissance ponctuelle des préconisations de la médecine de prévention, il aurait été conduit à occuper durablement des fonctions incompatibles avec son état de santé et son handicap. Ainsi, si le 15 février 2016, le médecin de prévention a préconisé de privilégier les activités en magasin atelier, il a néanmoins conclu à la compatibilité du poste de l'intéressé avec son état de santé, sous réserve du respect des aménagements précédemment définis. Le requérant ne produit aucun élément dont il ressortirait qu'il a été conduit régulièrement à accomplir des tâches au restaurant scolaire, pour lequel le médecin de prévention a préconisé qu'il n'apporte qu'une aide ponctuelle. Enfin, si le requérant fait valoir qu'a été préconisé la fourniture d'un nouveau transpalette électrique, il résulte de l'instruction que le service dispose déjà d'un tel appareil, bien que moins aisé à utiliser, et que le cas échéant, il n'a pas l'obligation d'accomplir les tâches qui ne seraient pas compatibles avec son état de santé et son handicap, celles-ci pouvant être prises en charges par ses collègues.

5. D'autre part, M. B... ne justifie d'aucune dépense de santé qu'il aurait exposée suite à son accident du 10 juin 2015, reconnu imputable au service, et que la région n'aurait pas remboursée. Par ailleurs, il ne produit aucun élément précis justifiant d'une aggravation de son état de santé du fait de son accident, et d'un préjudice de jouissance en découlant. Dès lors, le requérant ne peut prétendre à aucune indemnité au titre de la méconnaissance fautive par la région de son obligation de sécurité et d'adaptation de son poste.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 visée ci-dessus, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement (...) de son handicap, (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. (...) La discrimination inclut : 1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (...) ".

7. Lorsqu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, le juge doit tenir compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. Il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, et au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

8. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le refus de la région d'affecter M. B... à un poste de magasinier à plein temps, que le requérant estime plus compatible avec son état de santé et son handicap, est motivé par l'absence de poste disponible. M. B... ne fait état d'aucun élément pouvant faire présumer que ce refus ne serait en réalité fondé sur aucun motif objectif et aurait de ce fait un caractère discriminatoire.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le paiement de la somme que la région Auvergne-Rhône-Alpes demande en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la région Auvergne-Rhône-Alpes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 27 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2024.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02815


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02815
Date de la décision : 13/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : BOUCHAIR

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-13;22ly02815 ?
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