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07/03/2024 | FRANCE | N°22LY01697

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 07 mars 2024, 22LY01697


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme C... E... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2019 par lequel le préfet de l'Isère a décidé de transférer les voies privées du lotissement des Evêquaux 1 cadastrées section AH n°156 et 174 ainsi qu'une partie de la parcelle n° 165 dans le domaine public de la commune de Biviers.



Par un jugement n° 1905863 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

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Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 31 mai 2022, M. B... et Mme E..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... E... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2019 par lequel le préfet de l'Isère a décidé de transférer les voies privées du lotissement des Evêquaux 1 cadastrées section AH n°156 et 174 ainsi qu'une partie de la parcelle n° 165 dans le domaine public de la commune de Biviers.

Par un jugement n° 1905863 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 31 mai 2022, M. B... et Mme E..., représentés par Me Bolleau (SELARL Concorde avocats), demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 mars 2022 et l'arrêté du préfet de l'Isère du 5 juillet 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Biviers la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier, à défaut pour la minute d'être signée conformément à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement attaqué est irrégulier, à défaut de répondre au moyen tiré de la méconnaissance du 4ème alinéa de l'article L. 318-3 et de l'article R. 318-10 du code de l'urbanisme en l'absence d'état parcellaire et d'approbation préfectorale d'un plan d'alignement versés au dossier d'enquête publique ;

- la délibération du conseil municipal de Biviers du 10 avril 2018 autorisant la signature d'un acte constitutif de servitude avec l'association syndicale libre du lotissement du Servantin, dont l'illégalité peut être invoquée par voie d'exception dans le cadre de cette opération globale, a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière, en raison, d'une part, de la présence de M. D... lors de son adoption en méconnaissance de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales et, d'autre part, de l'insuffisante information des élus quant à la nécessité de régulariser un ouvrage public, en méconnaissance de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales ;

- l'arrêté litigieux a été adopté au terme d'une enquête publique irrégulière, le commissaire enquêteur n'ayant pas procédé à un examen sérieux du dossier d'enquête publique et n'ayant pas précisément répondu à leurs observations ;

- les voies transférées ne constituent pas des voies ouvertes à la circulation publique, seules susceptibles d'un tel transfert en application de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme ;

- ce transfert d'office ne répond à aucun motif d'intérêt général ;

- l'arrêté en litige ne comporte aucune approbation d'un plan d'alignement, en l'absence de réalisation préalable d'un plan d'arpentage, en méconnaissance des articles L. 318-3 et R. 318-10 du code de l'urbanisme.

Par un mémoire enregistré le 23 mars 2023, la commune de Biviers, représentée par Me Fessler (SCP Fessler-Jorquera et associés), conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des époux B... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par mémoires enregistrés le 19 juin 2023 et le 5 juillet 2023, M. et Mme B... concluent aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens, et demandent en outre à la cour d'ordonner la suppression des passages injurieux que comporte le mémoire de la commune de Biviers, en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.

Ils soutiennent en outre que :

- l'intervention de la commune de Biviers est irrecevable, à défaut de production d'un mémoire en défense par le préfet de l'Isère ;

- les passages diffamatoires que comporte le mémoire de la commune en pages 3 et 4 devront être supprimés, en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

- l'arrêté litigieux procède d'un détournement de procédure, afin d'éviter au maire de la commune de recourir à une procédure d'expropriation.

La clôture de l'instruction a été fixée au 21 septembre 2023, par ordonnance du même jour.

Un mémoire a été produit le 22 septembre 2023 par le ministre de l'intérieur et des outre-mer et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la voirie routière ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;

- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me Ducros pour M. et Mme B... et celles de Me Fessler pour la commune de Biviers ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 10 avril 2018, le conseil municipal de la commune de Biviers a décidé d'engager la procédure de transfert d'office dans le domaine public communal, telle que prévue par l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, de trois chemins relevant des parties communes du lotissement des Evêquaux 1. Au terme de l'enquête publique au cours de laquelle M. et Mme B..., propriétaires au sein de ce lotissement, ont manifesté leur opposition à ce projet, le préfet de l'Isère a, par arrêté du 5 juillet 2019, autorisé ce transfert. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 mars 2022 rejetant leur demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la recevabilité du mémoire en défense produit par la commune de Biviers :

2. Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme B..., en tant que bénéficiaire du transfert prononcé par l'arrêté litigieux, la commune de Biviers a la qualité, non d'intervenante, mais de défendeur, dans la présente instance. La fin de non-recevoir opposée à ce mémoire doit dès lors être écartée.

Sur la recevabilité des mémoires en défense produits en première instance :

3. Il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 10 avril 2014, le conseil municipal de la commune de Biviers a, sur le fondement de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, donné délégation au maire pour " intenter, au nom de la commune, les actions en justice ou défendre la commune dans les actions intentées contre elle, tant en demande qu'en défense et devant toutes les juridictions administratives et judiciaires (...) ". Par suite, et contrairement à ce que soutiennent M. et Mme B..., cette délégation lui a donné qualité pour défendre la commune et la représenter régulièrement en première instance. La fin de non-recevoir opposée à ces mémoires ne saurait dès lors être retenue.

Sur le bienfondé du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme : " La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d'habitations (...) peut, après enquête publique ouverte par l'autorité exécutive de la collectivité territoriale (...), être transférée d'office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées. / La décision de l'autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés. / Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l'Etat dans le département, à la demande de la commune. / L'acte portant classement d'office comporte également approbation d'un plan d'alignement dans lequel l'assiette des voies publiques est limitée aux emprises effectivement livrées à la circulation publique (...) ".

5. En premier lieu, le transfert des voies privées dans le domaine public communal prévu par l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme est subordonné à l'ouverture de ces voies à la circulation publique, laquelle traduit la volonté de leurs propriétaires d'accepter l'usage public de leur bien et de renoncer à son usage purement privé.

6. Il ressort des pièces du dossier, notamment du tableau annexé à l'arrêté litigieux, que le transfert auquel celui-ci procède porte sur trois chemins relevant des parties communes du lotissement des Evêquaux 1, désignés comme le chemin du Levet constitué par la parcelle AH 174, le chemin du Piolet constitué par la parcelle AH 156 et un " chemin piétonnier " constitué par une partie de la parcelle AH 165. S'agissant des deux premiers, il ressort des pièces du dossier qu'ils constituent des voies, au sens du cahier des charges du lotissement, y compris l'aire de retournement située à l'extrémité du chemin du Levet, qui fait partie intégrante de celui-ci alors même que des véhicules y seraient parfois stationnés. Dans sa partie consacrée à la voirie et en son article 11, ce cahier des charges stipule, sans distinguer qu'elles soient ouvertes à la circulation automobile ou affectées à la circulation piétonne, que " le sol des voies demeurera perpétuellement affecté à la circulation publique " et sera " à la première réquisition et à titre gratuit cédé à la commune, pour être classé dans la voirie communale ". Indépendamment même de toute éventuelle opposition à cet usage, les propriétaires au sein du lotissement avaient ainsi consenti à l'usage public de ces chemins. Ceux-ci constituaient dès lors des voies ouvertes à la circulation publique, susceptibles d'être transférées en application de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme. S'agissant, en revanche, du " chemin piétonnier ", il résulte des pièces du dossier que la parcelle AH 165 constitue, d'après l'article 12 du cahier des charges, une zone verte dédiée à " l'usage de l'ensemble de la copropriété ". Ces emprises ne sont, ainsi, pas comprises dans le consentement des colotis à la circulation publique de l'article 11 du cahier des charges. Par ailleurs, l'association syndicale du lotissement, seule compétente pour exprimer la volonté des colotis à l'égard de cette parcelle, laquelle, soumise à l'indivision forcée, ne peut faire l'objet d'une modification sans un accord unanime des colotis, a, lors d'une assemblée générale du 30 juin 2011, exprimé son opposition à l'usage public de ce chemin en autorisant M. B... à disposer des panneaux portant la mention " propriété privée ". Dans ces conditions, et alors même que cette opposition ne serait depuis plus partagée par l'ensemble des propriétaires du lotissement et que l'association syndicale a exprimé le souhait que la passerelle prolongeant ce chemin soit conservée, les propriétaires indivis ne peuvent être regardés comme ayant, même tacitement, accepté l'usage public qui était fait de cette parcelle et comme ayant ainsi renoncé à un usage purement privé de celle-ci. Par suite, M. et Mme B... sont fondés à soutenir que l'arrêté litigieux méconnaît les dispositions de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme en ce qu'il procède au transfert dans le domaine public de la commune de Biviers d'une partie de la parcelle AH 165.

7. En second lieu, si, en son article 3, l'arrêté litigieux indique approuver " le plan d'alignement correspondant ", il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un plan d'alignement lui était annexé, ni même qu'un tel plan ait été établi à cette date. En conséquence, l'arrêté litigieux méconnaît l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme.

8. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible de fonder l'annulation de la décision en litige.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens contestant la régularité du jugement attaqué, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande, et à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère du 5 juillet 2019.

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux ou outrageants :

10. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les cours administratives d'appel peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.

11. Toutefois, les passages incriminés par M. et Mme B..., présentés par la commune de Biviers comme des éléments de contexte en introduction de son mémoire en défense, n'excèdent pas le droit à la libre discussion et ne présentent pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire, justifiant leur suppression en application de ces dispositions.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme B..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Biviers. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le paiement des frais exposés par M. et Mme B..., en application de ces mêmes dispositions. En revanche, l'Etat versera une somme de 1 000 euros à ce titre aux époux B....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1905863 du tribunal administratif de Grenoble du 31 mars 2022 et l'arrêté du préfet de l'Isère du 5 juillet 2019 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera une somme globale de 1 000 euros à M. et Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Biviers en application de l'article L.-761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme C... E..., au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la commune de Biviers.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, où siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

Mme Christine Psilakis, première conseillère,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2024.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au ministre de de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

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N° 22LY01697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01697
Date de la décision : 07/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : ALTIUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-07;22ly01697 ?
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