Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme G... D... I... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 25 janvier 2022 par laquelle le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer une autorisation de regroupement familial au bénéfice de ses enfants J... E... et A... F... B..., ainsi que la décision implicite du préfet du Rhône rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2203686 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 5 octobre 2023, Mme G... D... I..., représentée par Me Cadoux, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler, ou à titre subsidiaire, de réformer ce jugement ;
2°) d'annuler ces deux décisions ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de ses deux enfants dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à charge pour lui de renoncer le cas échéant au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour omission à statuer sur le moyen tiré de l'erreur de droit pour compétence liée ;
- la décision attaquée du 25 janvier 2022 est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est considéré en situation de compétence liée ;
- les décisions attaquées sont entachées d'un vice de procédure et d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- les décisions en litige méconnaissent les articles L. 434-7, L. 434-8 et R. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision attaquée du 25 janvier 2022 est entachée d'une erreur de fait ;
- les décisions en litige méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elles méconnaissent les articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La préfète du Rhône, qui a reçu communication de la requête, n'a pas présenté d'observations.
Mme D... I... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Porée, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... I..., ressortissante du Congo née le 7 septembre 1984, présente sur le territoire français depuis le 9 septembre 2013 et titulaire d'une carte de résident valable du 22 octobre 2020 au 21 octobre 2030 est la mère de trois enfants, dont deux, J... E... et A... F... B..., sont nés au Congo, respectivement, le 9 juillet 2004 et le 23 décembre 2007, la troisième, Nkoula-Jacquito Loubelo Tsini, étant née sur le territoire français le 1er novembre 2014. Mme D... I... a demandé le 28 août 2019 le bénéfice du regroupement familial au profit de son fils J... E... et de sa fille A... F... B.... Par une décision du 25 janvier 2022, le préfet du Rhône a refusé de faire droit à sa demande. Mme D... I... a formé le 14 mars 2022 un recours gracieux qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. La requérante relève appel du jugement du 30 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en annulation de ces deux décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif de Lyon a répondu au point 3 du jugement au moyen tiré de ce que le préfet du Rhône aurait commis une erreur de droit en s'estimant en situation de compétence liée par la condition de ressources, en retenant notamment la prise en considération par ledit préfet des incidences du refus de faire droit à la demande de regroupement familial au regard du droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante et de l'intérêt supérieur de ses enfants. Il suit de là que Mme D... I... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer.
Sur la légalité de la décision :
3. En premier lieu, il ressort de la décision du 25 janvier 2022, qui se prononce notamment sur le fondement de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui indique qu'une mesure dérogatoire n'a pas paru justifiée, que le préfet du Rhône ne s'est pas estimé en situation de compétence liée par la condition de ressources nécessaire au regroupement familial.
4. En deuxième lieu, d'une part, Mme D... I... ne peut se prévaloir d'un vice de procédure dans le cadre d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle.
5. D'autre part, il ressort de la décision du 25 janvier 2022, qui mentionne qu'il n'est pas porté au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au droit de Mme D... I... au respect de sa vie privée et familiale dans la mesure où ses enfants ne sont pas dépourvus de liens sociaux et culturels puisqu'ils vivent avec leur père au Congo, que le préfet du Rhône a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de la requérante en confrontant sa vie familiale à la vie privée de ses enfants et à la vie familiale de leurs pères, ainsi qu'à un examen particulier de l'intérêt des enfants à l'égard de leurs pères et en raison de leurs autres liens au Congo. En outre, la circonstance que le préfet du Rhône n'a pas pris de décision explicite à la suite du recours gracieux de Mme D... I... ne saurait en soi établir un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de la requérante doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint au titre du regroupement familial s'il remplit les conditions suivantes : 1° Il justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille ; 2° Il dispose ou disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; 3° Il se conforme aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. ". Aux termes de l'article L. 434-8 de ce code : " Pour l'appréciation des ressources mentionnées au 1° de l'article L. 434-7 toutes les ressources du demandeur et de son conjoint sont prises en compte, indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Ces ressources doivent atteindre un montant, fixé par décret en Conseil d'Etat, qui tient compte de la taille de la famille du demandeur et doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. / (...). ". Aux termes de l'article R. 434-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 434-7, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : (...) 2° Cette moyenne majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes ; 3° Cette moyenne majorée d'un cinquième pour une famille de six personnes ou plus. ".
7. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le caractère suffisant du niveau de ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance au cours de cette même période, même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande.
8. Il n'est pas contesté que les ressources de Mme D... I... devaient atteindre une moyenne mensuelle de 1 316,99 euros.
9. D'une part, il est constant que les revenus dont Mme D... I... a justifié lors de l'enquête de ressources ont été d'une moyenne mensuelle de 899,33 euros au titre de la période d'août 2018 à juillet 2019. Si la requérante se prévaut de la perception d'indemnités journalières en raison d'un congé maladie et d'un accident du travail du 2 janvier au 8 mars 2019, elle produit des attestations de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône en paiement d'indemnités journalières qui ne concernent que les mois d'août 2022, de décembre 2022 et de janvier 2023. Si elle soutient que ses salaires étaient d'un montant supérieur en raison d'heures de travail et de déplacements non payées et de bulletins de paie non fournis par son employeur, il ressort de l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Lyon du 19 mai 2021 que ledit employeur a finalement remis à la requérante ses bulletins de paie et attestations de salaire des mois d'avril à juin 2019, qu'elle ne produit toutefois pas dans le cadre de la présente instance. De plus, il ressort du procès-verbal de conciliation totale du conseil de prud'hommes de Lyon du 8 octobre 2021 que la somme de 8 000 euros versée à la requérante par son ancien employeur correspond à des dommages et intérêts, sans précision quant à des heures de travail et de déplacements non payées, et en tout état de cause cette somme est postérieure à la période de référence. En outre, si Mme D... I... invoque également la somme de 1 713,48 euros, il ressort du reçu pour solde de tout compte de son ancien employeur du 12 août 2021 que cette somme correspond à une indemnité de licenciement exonérée et non à des heures de travail et de déplacements antérieurement non payées, et en tout état de cause cette somme est postérieure à la période de référence.
10. D'autre part, si Mme D... I... se prévaut d'une évolution favorable de ses ressources à compter du mois d'octobre 2021 jusqu'à la décision attaquée du 25 janvier 2022 et celle implicite de rejet du recours gracieux, cette évolution favorable de ressources a débuté à une période trop éloignée de la demande de regroupement familial du 28 août 2019 pour qu'elle puisse être prise en compte. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 434-7, L. 434-8 et R. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. (...) ". Mme D... I... ne peut utilement se prévaloir de ces stipulations, qui créent seulement des obligations entre Etats membres, sans ouvrir de droits aux personnes.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " (...) 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. 3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. " et de l'article 51 de la même charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
13. Si Mme D... I... soutient qu'elle a élevé seule son fils J... E... et sa fille A... F... B... depuis leur naissance, il est constant qu'elle a quitté le Congo alors qu'ils avaient respectivement 9 et 5 ans. La requérante ne justifie pas avoir des relations intenses avec ce fils et cette fille. En effet, elle ne démontre avoir eu des contacts par un réseau social avec seulement son fils qu'à deux reprises avant la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et les pièces du dossier ne permettent pas de prouver qu'elle a des contacts téléphoniques réguliers avec ses enfants. De plus, elle ne démontre s'être rendue au Congo qu'à une seule reprise en août 2016 avant les décisions attaquées. En outre, Mme H... ne prouve pas avoir versé de l'argent à sa mère avant son décès le 20 juillet 2016 pour élever ses enfants, ni que les virements de sommes d'argent à son frère ont été destinés à ses deux enfants, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a versé de l'argent pour six autres personnes dont trois portent le nom de famille D.... Son fils et sa fille ne peuvent être dépourvus de toute attache personnelle au Congo où ils vivent respectivement depuis dix-sept et quatorze ans, ni d'attache familiale dans son pays d'origine où vit à tout le moins le frère de la requérante. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, le préfet n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels les décisions ont été prises. Dès lors, les décisions attaquées n'ont pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elles n'ont pas méconnu l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ni en tout état de cause l'article 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
14. En sixième lieu enfin, si le préfet du Rhône a commis une erreur de fait en retenant dans sa décision du 25 janvier 2022 que les enfants de la requérante vivent avec leurs pères respectifs au Congo alors qu'il ressort du jugement du tribunal pour enfants de C... du 10 septembre 2019 que " les pères prenaient une direction inconnue depuis plusieurs années ", il ressort des pièces du dossier le préfet du Rhône aurait pris la même décision s'il ne s'était pas fondé sur ce motif.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme D... I... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... I... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... D... I... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY03131