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29/02/2024 | FRANCE | N°22LY01994

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 29 février 2024, 22LY01994


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme H... J... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2020 par lequel le président du conseil départemental de l'Ain a suspendu son agrément d'assistante familiale, l'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel cette même autorité a retiré cet agrément, l'arrêté du 28 novembre 2020 par lequel cette même autorité a prononcé son licenciement de ses fonctions d'assistante familiale, et de condamner le département de l'Ain à lui verser la somme de 75

000 euros en réparation de son préjudice résultant de sa perte d'emploi ainsi que la s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... J... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2020 par lequel le président du conseil départemental de l'Ain a suspendu son agrément d'assistante familiale, l'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel cette même autorité a retiré cet agrément, l'arrêté du 28 novembre 2020 par lequel cette même autorité a prononcé son licenciement de ses fonctions d'assistante familiale, et de condamner le département de l'Ain à lui verser la somme de 75 000 euros en réparation de son préjudice résultant de sa perte d'emploi ainsi que la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 2009347-2009348-2101714 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juin 2022 et un mémoire en réplique, non communiqué, enregistré le 6 février 2024, Mme J..., ayant pour avocat la SCP Vuillaume Colas et Mecheri, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2009347-2009348-2101714 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2020 par lequel le président du conseil départemental de l'Ain a suspendu son agrément d'assistante familiale ;

3°) d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2020 par lequel le président du conseil départemental de l'Ain a retiré son agrément d'assistante familiale ;

4°) d'annuler l'arrêté notifié le 28 novembre 2020 par lequel le président du conseil départemental de l'Ain a prononcé son licenciement de ses fonctions d'assistante familiale ;

5°) de condamner le département de l'Ain à lui verser la somme de 75 000 euros en réparation de son préjudice résultant de sa perte d'emploi ainsi que la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

6°) de mettre à la charge du département de l'Ain la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme J... soutient que :

- l'arrêté du 5 novembre 2020 portant retrait d'agrément est insuffisamment motivé en fait, ce qui ne permettait pas de vérifier le bien-fondé de cette décision, et, par suite, de son licenciement, alors qu'elle n'a pas été destinataire d'un compte-rendu de l'entretien du 5 juin 2020 auquel elle avait été convoquée par les services du département, lesquels, à ce moment, ne lui avaient adressé aucun reproche, et alors qu'un courrier de ces services en date du 4 septembre 2020 est rédigé dans les mêmes termes que le retrait en litige, et alors, enfin, qu'elle et son mari n'ont fait l'objet d'aucune enquête de police ; elle n'a ainsi pas pu assurer convenablement sa défense, dans le respect du principe du contradictoire ;

- le président du conseil départemental ne pouvait pas fonder cette décision de retrait sur une simple suspicion alors qu'elle n'a fait l'objet d'aucune plainte pénale ni d'aucune poursuite pénale suite à son signalement par les services du département ;

- le département n'a pas procédé à une enquête sérieuse ;

- elle justifie de dix années d'états de service exemplaires ;

- son mari justifie également d'excellentes appréciations, malgré la sanction qui lui été notifiée en 2011, laquelle ne peut pas, de même que l'incident de 2014 suite à conflit de voisinage et l'incident de 2017, avec une enfant, fonder le retrait en litige ;

- ayant sombré dans la dépression, imputable aux accusations infondées portées à l'encontre de son couple, elle a subi un préjudice moral évalué à 10 000 euros et, en l'absence de perspective de retrouver un emploi lui procurant un revenu mensuel moyen brut de 4 098 euros, un préjudice financier et professionnel, évalué à 75 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 décembre 2023, le département de l'Ain conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de Mme J... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département fait valoir que :

- la décision du 5 novembre 2020 est motivée, et, ne serait-ce pas le cas, la requérante n'a pas été pour cela privée d'une garantie ;

- la procédure contradictoire a été respectée ;

- cette décision de retrait a été prise, après enquête qui établit les faits, dans le but de sauvegarder la santé, la sécurité et le bien-être des enfants qu'accueillait la requérante ;

- la décision pourrait être fondée, en application de la jurisprudence Hallal, sur la dissimulation par la requérante, au moment de la délivrance de son agrément, de la sanction disciplinaire infligée à son époux en 2011 et sur la multiplication d'informations préoccupantes sur le couple provenant de diverses sources ;

- la demande indemnitaire au titre de son préjudice financier n'est pas étayée et l'arrêt de travail de la requérante du 1er juillet 2020 n'est pas en lien avec un quelconque épuisement professionnel.

La clôture d'instruction a été fixée au 5 janvier 2024 par une ordonnance du 4 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 12 février 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mecheri représentant Mme J... et celles de Me Trigon, représentant le département de l'Ain.

Considérant ce qui suit :

1. Le président du conseil département de l'Ain a, par arrêté du 8 juillet 2020, suspendu l'agrément d'assistante familiale dont bénéficiait Mme J..., depuis le 21 novembre 2011, pour l'accueil de deux puis trois enfants. Il a retiré cet agrément par décision du 5 novembre 2020 avant de licencier Mme J..., par décision notifiée le 21 novembre 2020. Par un jugement du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de ces trois décisions et au versement d'une indemnité d'un montant total de 85 000 euros. Mme J... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Si Mme J... demande l'annulation du jugement attaqué et des décisions portant suspension puis retrait de son agrément et licenciement, elle ne formule aucun moyen à l'encontre de la décision de suspension de cet agrément. Par suite, ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.

3. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession (...) d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside / (...) / l'agrément est accordé (...) si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs (...) accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne (...) ". L'article L. 421-6 du même code dispose, en ses troisième et quatrième alinéas, que : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié / Toute décision de retrait de l'agrément, de suspension de l'agrément ou de modification de son contenu doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés. ". Le deuxième alinéa de l'article L. 423-8 du même code dispose qu'" En cas de retrait d'agrément, l'employeur est tenu de procéder au licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ".

4. Pour retirer à Mme J..., par la décision attaquée du 5 novembre 2020, l'agrément délivré en 2011 et renouvelé en 2016, le président du conseil départemental a estimé que les conditions d'accueil ne garantissaient pas la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis au domicile de la requérante, après avoir relevé que, dans l'exercice de ses fonctions d'assistante familiale, celle-ci n'avait pas été en capacité de protéger ces enfants des faits graves mettant en cause son époux. Cette motivation ne permet pas de connaître précisément lesdits faits, pourtant qualifiés de graves. Si la décision en litige vise le rapport du 21 septembre 2020 produit par le département devant la commission consultative paritaire départementale réunie le 22 septembre 2020, ce document qui, après description de " l'historique professionnel " de la requérante, relate les " éléments récents déclenchant la demande de suspension d'agrément d'assistante familiale ", ne permet pas d'identifier les motifs retenus par l'autorité territoriale pour retirer l'agrément. De surcroît, le département ne démontre pas, ni même allègue, que ce document aurait, préalablement à la prise de la décision contestée, été communiqué à Mme J..., ni qu'il figurait dans son dossier administratif, qu'elle a consulté. L'entretien du 5 juin 2020 avec les services départementaux, qui a donné lieu à un compte-rendu en date du 5 juin 2020, jamais communiqué à Mme J..., est encore moins susceptible de remédier à la carence de la décision de retrait en matière de motivation. Cette décision ne répond ainsi pas à l'exigence de motivation posée par l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles, un tel vice étant insusceptible d'être neutralisé en application de la jurisprudence issue de l'arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat n° 335033 du 23 décembre 2011, et sans que le caractère secret d'une prétendue enquête de gendarmerie eût pu faire obstacle à un exposé des reproches adressés à la requérante.

5. En outre, le courrier, en date du 4 septembre 2020, par lequel le président du conseil départemental, en application de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles, informe Mme J... qu'il envisage de lui retirer son agrément et l'informe de la réunion, le 22 septembre suivant, de la commission consultative paritaire départementale, devant laquelle il l'invite, si elle le souhaite, à présenter des observations écrites ou orales, n'a pas permis à la requérante, car rédigé dans les mêmes termes que la décision de retrait en litige, de connaître les faits motivant une telle proposition de mesure. Mme J... a été ainsi privée de la possibilité de préparer sa défense, en vue de cette séance, dont le compte-rendu n'indique pas qu'elle y a participé ni n'indique, d'ailleurs, quel a été l'avis rendu par la commission.

6. Il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée à soutenir que la décision du 5 novembre 2020 par laquelle le président du conseil départemental de l'Ain a retiré son agrément d'assistante familiale est entachée d'illégalité et à en demander l'annulation, ainsi que l'annulation de la décision de licenciement notifiée le 28 novembre 2020, fondée, conformément aux dispositions de l'article L. 423-8 du code de l'action sociale et des familles, sur cette décision de retrait d'agrément. Il en découle que Mme J... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur les conclusions indemnitaires :

7. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'un vice de forme, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement être prise. Si tel est le cas, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme trouvant sa cause directe dans le vice de forme entachant la décision administrative illégale.

8. Or, il ressort de l'instruction que Mme J... accueillait une fratrie, les enfants I..., C... B... et G... F..., nés respectivement en 2008, 2010, et 2013, G... ayant rejoint, le 23 décembre 2019, le domicile de Mme A..., leur mère, et accueillait un autre enfant, D..., né en 2008. Le 15 avril 2020, Mme A..., sous le coup de la colère, indique à l'éducatrice, assistante territoriale socio-éducative, en charge du suivi des enfants, que sa fille C..., confinée chez elle, et sa fille G..., lui ont rapporté que M. E..., pour la calmer, a, un soir d'hiver, attaché G..., par les mains, au balcon, en menaçant de l'y laisser la nuit, ceci jusqu'à ce que Mme E... intervienne. Ces faits sont confirmés par l'enfant C..., le 15 avril 2020, puis, les 11 mai et 9 juin suivants par l'enfant D..., interrogés par cette éducatrice. Les déclarations concordantes des enfants suffisent à établir la matérialité des faits reprochés, même non recueillis par le psychologue qui suit les enfants, matérialité insusceptible d'être remise en cause par un témoignage rédigé le 16 juillet 2021 par Mme A..., selon lequel M. E... n'aurait fait que menacer G... de lui attacher les mains, ni par une attestation rédigée le 13 juillet 2021 par le père de D..., selon laquelle son fils lui aurait révélé avoir menti à l'éducatrice, ni même par les écrits des enfants élogieux à l'égard de M. et Mme J.... L'absence de plainte déposée par le département, qui a effectué un signalement au procureur de la République le 1er juillet 2020, ou par les parents, l'absence de poursuite pénale, le procureur ayant, le 4 mai 2021, classé l'affaire, ne signifient pas davantage que les faits ne seraient pas établis. L'acte violent commis à l'encontre l'enfant G..., alors âgée de 6 ans, par M. E..., lequel, professeur des écoles, avait fait l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire des fonctions de 10 mois dont 4 avec sursis, prononcée le 21 décembre 2011 en raison, notamment, d'une tape sur un enfant, et la réaction tardive de Mme J... devant le comportement de son époux, ne permettaient plus de regarder comme garantis la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis. Il s'ensuit que c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le président du conseil départemental de l'Ain a retiré son agrément d'assistante familiale à Mme J....

9. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que si le président du conseil départemental de l'Ain a entaché sa décision du 5 novembre 2020, portant retrait d'agrément, d'un vice de forme, lequel fonde l'annulation de cette décision prononcée par le présent arrêt, ainsi que, par voie de conséquence, de celle du 28 novembre 2020 prononçant son licenciement, les faits de violence imputables au conjoint de Mme J... justifiaient la mesure de retrait d'agrément puis de licenciement prises à l'encontre de la requérante. Par suite, l'illégalité dont les décisions des 5 et 28 novembre 2020 sont entachées n'est pas de nature à ouvrir de droit à indemnité à Mme J..., dont les conclusions indemnitaires doivent ainsi être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2009347-2009348-2101714 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme J... tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 2020 portant retrait de son agrément et de celle notifiée le 28 novembre 2020 prononçant son licenciement.

Article 2 : La décision du 5 novembre 2020 portant retrait de l'agrément de Mme J... et la décision notifiée le 28 novembre 2020 prononçant son licenciement sont annulées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions du département de l'Ain tendant au versement de frais de procès sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... J... et au département de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 12 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au préfet de l'Ain en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01994


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01994
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

04-02-02-02 Aide sociale. - Différentes formes d'aide sociale. - Aide sociale à l'enfance. - Placement des mineurs.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL HESTEE AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;22ly01994 ?
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