La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2024 | FRANCE | N°23LY02683

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 23LY02683


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2301992 du 24 avril 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour



Par une requête, enregistré

e le 17 août 2023, Mme A..., représentée par Me Huard, demande à la cour :



1°) d'annuler de ce jugement ;



2°) d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2301992 du 24 avril 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 17 août 2023, Mme A..., représentée par Me Huard, demande à la cour :

1°) d'annuler de ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- cette décision a été prise en violation du droit d'être entendu garanti par le droit de l'Union européenne ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision désignant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit d'observations.

Mme D... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... A..., ressortissante guinéenne née le 3 janvier 1968, est entrée en France le 6 novembre 2021, selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 mars 2022, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 15 novembre 2022. Par un arrêté du 3 mars 2023, le préfet de l'Isère l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a fixé le pays de destination. Mme A... relève appel du jugement du 24 avril 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".

3. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

4. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

5. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A..., dont la demande d'asile a été présentée postérieurement à l'adoption de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 431-2 du même code à compter du 1er mai 2021, aurait été, à un moment de la procédure, informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mise à même de présenter des observations, la procédure de demande d'asile n'ayant pas une telle finalité.

7. Les éléments relatifs à sa situation de Mme A..., en particulier la naissance de sa fille, C... B..., le 21 février 2023, dont le père est un ressortissant guinéen en situation régulière en France, et le risque d'excision auquel cette enfant serait exposée en cas de retour en Guinée, pays dans lequel l'excision est très couramment pratiquée, alors que la Cour nationale du droit d'asile a reconnu à cette enfant le statut de réfugiée par une décision du 19 janvier 2024, permettent de considérer que, si la naissance de l'enfant avait été portée à la connaissance du préfet de l'Isère, la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français prise le 3 mars 2023 est intervenue en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu doit être accueilli et la mesure d'éloignement contestée annulée pour ce motif.

8. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 3 mars 2023 entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de la décision du même jour désignant le pays de destination.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".

11. Le présent arrêt implique, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative et de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'après remise d'une autorisation provisoire de séjour sans délai, le préfet de l'Isère réexamine la situation de Mme A... dans un délai de deux mois.

Sur les frais liés au litige :

12. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Huard.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2301992 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble du 24 avril 2023 ainsi que l'arrêté du préfet de l'Isère du 3 mars 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, après remise sans délai d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me Huard la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble en application en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2024.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY02683


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02683
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : HUARD

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23ly02683 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award