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15/02/2024 | FRANCE | N°23LY01188

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 15 février 2024, 23LY01188


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La SARL Beaune Resto a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 13 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 36 500 euros et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 4

248 euros, ensemble la décision du 8 décembre 2021 rejetant son recours gracieux.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL Beaune Resto a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 13 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 36 500 euros et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 4 248 euros, ensemble la décision du 8 décembre 2021 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2200031 du 9 février 2023, le tribunal a annulé ces deux décisions.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 4 avril 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance de la SARL Beaune Resto en ce qu'elle tendait à l'annulation des décisions des 13 octobre et 8 décembre 2021 ;

3°) de mettre à la charge de la SARL Beaune Resto une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la matérialité des faits fondant les contributions en litige n'était pas établie, et notamment le lien de subordination entre la SARL Beaune Resto et les deux étrangers en cause, et que l'application de ces contributions n'était pas justifiée.

Par un mémoire enregistré le 26 mai 2023, la SARL Beaune Resto conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'OFII une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen soulevé par l'OFII n'est pas fondé ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation, les deux étrangers en cause n'ayant pas été contrôlés en action de travail.

Par une ordonnance 11 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Beaune Resto exerce une activité de restauration sous l'enseigne " Allô Pizza ", à Beaune (Côte-d'Or). Le 13 mai 2021, les services de police ont procédé pendant la nuit, dans la rue, au contrôle d'identité de deux ressortissants étrangers de nationalité tunisienne, qui n'ont alors pu justifier la régularité de leur séjour sur le territoire français mais ont déclaré qu'ils travaillaient pour la SARL Beaune Resto. Le gérant de la SARL Beaune Resto, se trouvant au sein du restaurant, a été entendu mais a nié employer effectivement les intéressés. Des procès-verbaux, relatifs aux faits et aux déclarations des intéressés lors de leurs interrogatoires, ont été dressés et ont été transmis à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Par un courrier du 1er septembre 2021, reçu le 6 suivant, l'OFII a informé la SARL Beaune Resto de ce qu'il envisageait de mettre en œuvre la contribution spéciale et la contribution forfaitaire prévues respectivement aux articles L. 8253-1 du code du travail et L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'a invité à présenter ses observations sous quinze jours. Après le dépôt d'observations écrites, le 16 septembre 2021, le directeur général de l'OFII, par une décision du 13 octobre 2021, a mis à la charge de la SARL Beaune Resto la contribution spéciale, pour un montant de 36 500 euros, et la contribution forfaitaire, pour un montant de 4 248 euros. Le recours gracieux formé par l'intéressée par un courrier du 4 novembre 2021 a été rejeté par une décision du 8 décembre suivant. L'OFII relève appel du jugement du tribunal administratif de Dijon qui, sur demande de la SARL Beaune Resto, a annulé les décisions des 13 octobre et 8 décembre 2021.

Sur le motif de censure retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / (...). ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'État selon des modalités définies par convention. / (...). ". Aux termes de l'article L. 8271-17 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Outre les agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés à l'article L. 8112-1, les agents et officiers de police judiciaire, (....) sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler et de l'article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d'un employeur d'un étranger non autorisé à travailler. /Afin de permettre la liquidation de la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du présent code et de la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration reçoit des agents mentionnés au premier alinéa du présent article une copie des procès-verbaux relatifs à ces infractions. ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du même code : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. ". Aux termes de l'article R. 8253-4 de ce code : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. / (...). ". Aux termes de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui peuvent être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui a occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquitte une contribution forfaitaire représentative des frais d'éloignement du territoire français de cet étranger. ". Aux termes de l'article L. 822-5 du même code, dans sa rédaction applicable : " (...) / Sont applicables à la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 822-2 du présent code les dispositions des articles L. 8253-1 à L. 8253-5 du code du travail en matière de recouvrement et de privilège applicables à la contribution spéciale. ".

3. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi que de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir les contributions, au montant fixé de manière forfaitaire par les dispositions citées au point 2, ou en décharger l'employeur.

4. Pour annuler les décisions contestées, les premiers juges ont estimé que les faits et déclarations retranscrits dans des procès-verbaux des 13 mai, 14 mai et 20 juillet 2021, fondant les décisions contestées, ne permettaient pas de caractériser un lien de subordination entre la SARL Beaune Resto et les personnes contrôlées et donc de mettre à la charge de cette société les contributions en litige.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction que par un procès-verbal du 13 mai 2021, rédigé par un agent de police judiciaire, il a été constaté par une patrouille de trois membres des forces de police qu'à 23 heures 10, durant une période pendant laquelle des règles de confinement étaient applicables, deux individus marchaient dans la rue, ceux-ci ayant déclaré, lors de leur contrôle, qu'ils étaient ressortissants tunisiens et qu'ils travaillaient comme cuisiniers pour la SARL Beaune Resto, étant d'ailleurs logés par le gérant de la société. Ce même procès-verbal précisait que les intéressés portaient des traces de farine sur leurs vêtements et qu'ils se trouvaient non loin du restaurant exploité par la SARL Beaune Resto, si bien que les agents de police avaient décidé d'aller à la rencontre du gérant de cette société qui avait alors déclaré ne pas employer les intéressés mais leur avoir seulement proposé de la nourriture et un logement par charité et solidarité. Il résulte de procès-verbaux du 14 mai 2021, rédigés par un officier de police judiciaire, que ces ressortissants étrangers, qui se trouvaient en situation irrégulière sur le territoire français, ont confirmé être employés comme cuisiniers par la SARL Beaune Resto, l'un depuis deux semaines, l'autre depuis neuf jours, détaillant leurs conditions d'exercice professionnel. D'après un autre procès-verbal du 20 juillet 2021, établi par un officier de police judiciaire, le gérant de la SARL Beaune Resto a réitéré ses déclarations selon lesquelles il n'avait pas employé les deux ressortissants tunisiens et les avait simplement nourris et logés par solidarité. Dans ce contexte, et en dépit des affirmations du gérant de la SARL Beaune Resto, que rien ne permet de corroborer, il n'apparaît pas que les faits sur lesquels le directeur général de l'OFII s'est fondé pour prendre les décisions contestées seraient insuffisamment établis et ne seraient pas de nature à justifier légalement les contributions en cause. Par suite, l'OFII est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour le motif rappelé plus haut, les premiers juges ont annulé les décisions litigieuses.

6. Il appartient cependant à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens :

7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le directeur général peut déléguer sa signature à tout agent de l'établissement exerçant des fonctions d'encadrement. / (...) ". Le directeur général de l'OFII a, par une décision du 19 décembre 2019, régulièrement publiée sur le site internet de l'OFII, donné délégation de signature à Mme B... A..., cheffe du service juridique et contentieux, conseillère juridique auprès du directeur général, à l'effet de signer, dans la limite de ses attributions, " tous actes, décisions et correspondances relevant du champ de compétences du pôle de veille juridique et de suivi du contentieux, tel que défini par la décision du 31 décembre 2013 susvisée, notamment les mémoires en défense devant les juridictions et les décisions prises sur recours gracieux, ainsi que l'ensemble des décisions relatives aux contributions spéciale et forfaitaire et aux créances salariales, y compris les remises et admissions en non-valeur ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision contestée du 13 octobre 2021 manque en fait et doit être écarté. En outre, un tel vice est dépourvu de tout effet utile sur la décision portant rejet du recours gracieux.

8. En second lieu, et comme il a été dit précédemment, en toute hypothèse, en estimant que les deux ressortissants tunisiens étaient en relation de travail avec la SARL Beaune Resto, quand bien même ils ont été contrôlés dans la rue et non en situation de travail, le directeur général de l'OFII n'a pas commis d'erreur d'appréciation. Le moyen ne saurait donc être admis.

9. Il résulte de ce qui précède que l'OFII est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé les décisions des 13 octobre et 8 décembre 2021. Les conclusions présentées par la SARL Beaune Resto devant le tribunal et la cour doivent, dans leur ensemble, être rejetées.

10. Il n'y a pas lieu en l'espèce de mettre à la charge de la SARL Beaune Resto le versement à l'OFII d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Dijon du 8 novembre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de la SARL Beaune Resto présentée devant le tribunal administratif de Dijon tendant à l'annulation des décisions des 13 octobre et 8 décembre 2021 est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'OFII et par la SARL Beaune Resto au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à la SARL Beaune Resto.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 1er février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

Le rapporteur,

J. Chassagne

Le président,

V-M. Picard La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01188

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01188
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Emploi des étrangers - Mesures individuelles - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.

Répression - Domaine de la répression administrative - Régime de la sanction administrative - Bien-fondé.

Travail et emploi - Réglementations spéciales à l'emploi de certaines catégories de travailleurs - Emploi des étrangers (voir : Étrangers).


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SCP BERGERET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23ly01188 ?
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