Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 10 mars 2022 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement .
Par un jugement n° 2200813 du 20 juillet 2022, le tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2022, M. D..., représenté par Me Ben Hadj Younes, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 20 juillet 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 mars 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour avoir omis de statuer sur le moyen selon lequel la décision lui refusant un titre de séjour étaient entachée de vice de procédure en raison de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;
- la décision portant refus de séjour est entachée d'un vice de procédure, faute pour le préfet d'avoir consulté la commission départementale du titre de séjour ;
- elle procède d'une inexacte application de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il respecte la décision du juge aux affaires familiales fixant un droit de visite et d'hébergement et il démontre contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant ; le jugement du 20 mai 2022 dont il est fait état, d'ailleurs postérieur à la décision contestée, n'étant pas revêtu de l'exécution provisoire et n'étant pas définitif, ne devait pas être pris en considération ;
- elle est entachée d'erreur de fait et d'erreur de droit au regard de l'article L. 423-5 du même code, et méconnaît l'instruction ministérielle du 23 décembre 2021 ; la circonstance, à la supposer établie, que le procureur de la République a classé sans suite la plainte déposée par le requérant victime des violences de son conjoint ne fait pas obstacle à ce que le préfet renouvelle le titre de séjour ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.
Par un mémoire, enregistré le 17 novembre 2023, le préfet de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de M. D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Par une décision du 2 novembre 2022, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. D....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
- et les observations de Me d'Ovidio pour le préfet de la Côte-d'Or.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., ressortissant marocain né en 1975, est entré régulièrement en France en septembre 2017 après avoir épousé au Maroc Mme C..., ressortissante de nationalité française. Il a obtenu une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint de Française, valable du 9 août 2018 au 8 août 2020. Par un arrêté du 10 mars 2022, faisant suite à un précédent arrêté du 16 mars 2021 annulé par le tribunal administratif de Dijon, le préfet de la Côte d'Or a refusé à la fois de renouveler ce titre de séjour et de délivrer à M. D... une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'un enfant français. M. D... relève appel du jugement du 20 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 10 mars 2022.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le jugement attaqué vise le moyen par lequel M. D... se prévaut du défaut de consultation de la commission du titre de séjour sans ensuite y répondre. Ainsi, le tribunal a omis de statuer sur ce moyen. Par suite, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit dès lors être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Dijon.
Sur la légalité de l'arrêté du 10 mars 2022 :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
4. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".
5. Il ressort des propres écritures du requérant qu'il n'est pas le père biologique de la jeune A..., fille de Mme C..., née en 2014, de nationalité française, qu'il a reconnue le 18 juillet 2016. Dans ces conditions, en dépit du caractère non définitif du jugement du tribunal judicaire de Dijon du 20 mai 2022 annulant la reconnaissance de paternité qu'il a souscrite le 18 juillet 2016, M. D..., quand bien même il démontrerait contribuer à l'entretien et à l'éducation de cet enfant, n'est pas fondé à soutenir qu'il remplirait les conditions permettant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions citées au point précédent.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La rupture de la vie commune n'est pas opposable lorsqu'elle est imputable à des violences familiales ou conjugales ou lorsque l'étranger a subi une situation de polygamie. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a déposé plainte le 12 novembre 2020 à l'encontre de son épouse, pour des faits de violences conjugales. Cependant, il résulte de ses propres déclarations à l'occasion de cette plainte qu'il n'était pas en mesure de désigner avec certitude la personne qui, lors de la dispute, lui a asséné des coups. En outre, il ressort également des pièces du dossier que Mme C... a elle-même déposé une plainte contre M. D..., pour des violences verbales et psychologiques. Dans ces circonstances, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de délivrer un titre de séjour à M. D... au motif que la vie commune avec son épouse était rompue. A cet égard, le requérant ne peut pas, non plus, utilement se prévaloir de l'instruction du 23 décembre 2021 du ministère de l'intérieur relative à la délivrance des titres pour les victimes de violences conjugales et familiales, qui est dépourvue de caractère impératif.
8. En troisième lieu, lorsqu'il envisage de refuser un titre mentionné à l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est, en vertu de l'article R. 312-2 de ce code, tenu de saisir la commission du titre de séjour que du cas des étrangers qui remplissent effectivement l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance d'un tel titre. Il résulte des motifs qui précèdent que M. D... ne remplit pas ces conditions. Par suite, le moyen tiré de ce que le refus de séjour en litige aurait dû être précédé de la consultation de la commission du titre de séjour doit être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pourrait légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile interdisant, sous certaines conditions, l'éloignement d'un parent d'enfant français mineur.
10. En deuxième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
11. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a reconnu la jeune A..., alors qu'elle n'était âgée que d'un an et demi et s'en est occupé. Le requérant, dont la paternité a été contestée par la mère de l'enfant, a obtenu un droit de visite, par une ordonnance de non conciliation du 3 juin 2021. Ce droit a été confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Dijon le 13 janvier 2022, eu égard au lien père-fille qui a existé pendant des années, et dans l'attente de l'issue de l'action en contestation de paternité entreprise par Mme C.... Toutefois, il ressort du rapport d'enquête sociale que l'enfant, peut-être influencé par sa mère, ne souhaite pas entretenir de relation avec le requérant. L'acte de reconnaissance de paternité par M. D... a été annulé par un jugement du tribunal judiciaire de Dijon du 20 mai 2022. Si ce jugement n'est pas définitif, le requérant confirme ne pas être le père biologique de la jeune A.... Les témoignages et photographies produits, s'ils témoignent de la sincérité du lien qui a pu exister entre le requérant et A... dans le passé, ne permettent pas pour autant de considérer qu'eu égard au caractère dégradé de la situation familiale, l'intérêt supérieur de cet enfant ferait obstacle à l'éloignement de l'intéressé suite au refus de renouvellement de son titre de séjour.
12. En troisième lieu, eu égard aux développements qui précèdent, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français devrait être annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du10 mars 2022, ni par voie de conséquence, à solliciter qu'il soit enjoint audit préfet de lui délivrer un titre de séjour ou de procéder au réexamen de sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
14. L'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel, les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à sa charge au titre des frais liés aux litiges de première instance et d'appel. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le préfet de la Côte-d'Or sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 20 juillet 2022 est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... devant le tribunal administratif de Dijon et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par le préfet de la Côte-d'Or sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03354