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11/01/2024 | FRANCE | N°23LY00746

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 11 janvier 2024, 23LY00746


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme A... D... G... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2208537 du 30 janvier 2023, le président du tribunal administra

tif de Grenoble a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français, interdictio...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... D... G... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2208537 du 30 janvier 2023, le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français, interdiction de retour sur le territoire français et désignant le pays de destination, enjoint au préfet de l'Isère de procéder au réexamen de la situation de Mme D... G... et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 28 février 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de Mme D... G... ;

2°) de rejeter sa demande.

Il soutient que :

- le tribunal administratif ayant confirmé la légalité du refus de titre séjour et écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, il aurait dû les écarter, pour les mêmes motifs, en tant qu'ils étaient dirigés contre l'obligation de quitter le territoire français et les décisions subséquentes ; en annulant ces décisions alors que Mme D... G... ne pouvait se prévaloir de l'illégalité du refus de séjour, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- en l'absence de preuve de la participation du père de l'enfant de Mme D... G... à son entretien et son éducation, elle ne peut prétendre à un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français et sa situation doit être examinée au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, examen que le tribunal n'a pas fait s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français, entachant son jugement d'un défaut d'examen ;

- la reconnaissance de paternité effectuée par M. B..., ressortissant français, le 20 décembre 2021, soit deux ans et trois mois après la naissance de l'enfant, et cinq jours après le rejet de la demande d'asile de Mme D... G..., alors que l'intéressé est par ailleurs marié et père de trois enfants, qu'il ne participe pas à l'entretien et l'éducation de l'enfant et n'exerce pas l'autorité parentale, est une reconnaissance frauduleuse de paternité ; le procureur de la république a été saisi de ces faits en application de l'article 40 du code de procédure pénale ;

- l'arrêté du 22 novembre 2022 a été signé par une autorité compétente ;

- les décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français sont suffisamment motivées ;

- la décision de refus de titre de séjour ne méconnaît pas les articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision ne méconnaît ni l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision de refus de séjour étant fondée, l'obligation de quitter le territoire français, fondée sur ce refus de séjour en application du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile l'est également ;

- les décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour sont légales, eu égard au caractère frauduleux de la demande de Mme D... G... ;

- la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire, enregistré le 24 septembre 2023, Mme E..., représentée par Me Koraitem, conclut au rejet de la requête. Elle demande également à la cour :

1°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Isère de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... G..., ressortissante centrafricaine née le 5 janvier 1986, est entrée en France le 3 mai 2019, sous couvert d'un visa de court séjour. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 11 février 2021, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 15 décembre 2021. Le 11 mars 2022, elle a demandé la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 22 novembre 2022, le préfet de l'Isère a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 30 janvier 2023, le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français, interdiction de retour sur le territoire français et désignant le pays de destination et rejeté le surplus de la demande de Mme D... G... tendant à l'annulation de cet arrêté. Le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à sa demande.

Sur l'appel du préfet de l'Isère :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) : 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions précitées du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude.

4. Mme D... G... est la mère F... B..., née à Vienne (Isère) le 24 septembre 2019 et reconnue par M. C... B..., ressortissant français, le 20 décembre 2021. Il n'est pas contesté que l'enfant vit avec sa mère qui contribue ainsi à son entretien et son éducation. Le préfet de l'Isère fait toutefois valoir que Mme B... est mariée avec un ressortissant centrafricain, qu'elle est entrée en France alors qu'elle était déjà enceinte, que M. B... vit en France avec une autre femme avec laquelle il a trois enfants, qu'il ne participe ni à l'éducation ni à l'entretien F... et que la reconnaissance de l'enfant est intervenue deux ans et trois mois après la naissance de l'enfant, de telle sorte que son père, en vertu de l'article 372 du code civil, n'exerce pas l'autorité parentale, peu après le rejet de sa demande d'asile par la Cour nationale du droit d'asile, intervenu le 15 décembre 2021. Alors que Mme D... G... indique avoir fait la connaissance de M. B... lors d'un séjour de celui-ci en République Centrafricaine, pays dont il est originaire, qu'aucune suite pénale n'a été donnée au signalement effectué par le préfet au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Vienne à raison de cette reconnaissance considérée comme frauduleuse et que la décision de rejet de la demande d'asile de Mme D... ne lui a été notifiée que le 30 décembre 2021, les éléments invoqués par le préfet de l'Isère ne suffisent pas, en l'espèce, à établir que M. B... ne serait pas le père F... B... et, par suite, le caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant par l'intéressé. Dans ces conditions, Mme D... G... ne pouvait, en application du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

5. En second lieu, si le premier juge a écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, en tant qu'ils étaient dirigés contre la décision de refus de titre de séjour, cette circonstance est en elle-même sans incidence sur la légalité des autres décisions contenues dans l'arrêté du 22 novembre 2022, et notamment l'obligation de quitter le territoire, laquelle a été annulée, à bon droit, pour méconnaissance du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision obligeant Mme D... G... à quitter le territoire français sans délai, ainsi que les décisions du même jour, contenues dans l'arrêté du 22 novembre 2022, portant interdiction de retour sur le territoire français et fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions aux fins d'injonction de Mme D... G... :

7. Le présent arrêt, qui rejette l'appel du préfet de l'Isère et confirme le jugement en tant qu'il a annulé la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme D... G..., n'appelle aucune autre mesure d'exécution que l'injonction de réexamen de sa situation décidée par le premier juge. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées en appel par Mme E... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Mme D... G... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère et les conclusions de Mme D... G... sont rejetées.

Article 2 : L'Etat versera à Mme D... G... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... G... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2024.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00746


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00746
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : KORAITEM

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;23ly00746 ?
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