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11/01/2024 | FRANCE | N°23LY00638

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 11 janvier 2024, 23LY00638


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



M. D... E... C... et Mme B... A... épouse E... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 25 mai 2022 par lesquels le préfet de l'Isère leur a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.



Par un jugement nos 22003909-2203910 du 4 octobre 2022 le tribunal administrat

if a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... E... C... et Mme B... A... épouse E... C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 25 mai 2022 par lesquels le préfet de l'Isère leur a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.

Par un jugement nos 22003909-2203910 du 4 octobre 2022 le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 17 février 2023, M. D... E... C... et Mme B... A..., épouse E... C..., représentés par Me Schürmann, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 25 mai 2022 par lesquels le préfet de l'Isère leur a refusé le renouvellement d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de leur délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et " membre de la famille d'un citoyen de l'Union " dans le mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à défaut, d'enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer leur situation dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de les mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail dans l'attente de ce réexamen, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- l'obligation de quitter le territoire opposée à M. E... C... en ce qu'elle vise l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est entachée d'un défaut de motivation ;

- les arrêtés en litige méconnaissent les dispositions des articles L. 233-1 à L. 235-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'ils remplissent les conditions pour obtenir une carte de séjour vie privée et familiale ; ils portent atteinte à leurs droits à une vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, du Préambule de la Constitution de 1946 et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du I de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; ils sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas présenté d'observations.

Par une décision du 1er mars 2023, M. D... E... C... et Mme B... A... épouse E... C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Burnichon, première conseillère :

Considérant ce qui suit :

1. M. D... E... C..., né le 15 juillet 1971 à Beni Ouled El Haj Ali (Maroc) et de nationalité espagnole, et son épouse, Mme B... A... épouse E... C..., née le 20 avril 1987 à Ben Taieb (Maroc), de nationalité marocaine, déclarent être entrés sur le territoire français respectivement en septembre 2017 et en septembre 2018. M. E... C... s'est vu délivrer un titre de séjour en sa qualité de ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, du 24 janvier 2020 au 23 janvier 2021. Son épouse a bénéficié d'un titre de séjour en qualité de conjoint d'un tel ressortissant. Le préfet de l'Isère, par des arrêtés du 25 mai 2022, a refusé de renouveler leur titre de séjour et les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination. Ils relèvent appel du jugement du 4 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a, après avoir les avoir jointes, rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité des arrêtés en litige :

En ce qui concerne M. E... C... :

2. Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 (...) ". L'article L. 233-1 du même code, auquel il est ainsi renvoyé, dispose que : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / 5° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3° ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'un citoyen de l'Union européenne ne dispose du droit de se maintenir sur le territoire national pour une durée supérieure à trois mois que s'il remplit l'une des conditions, alternatives et non cumulatives, fixées par l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au nombre desquelles figure l'exercice d'une activité professionnelle en France. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la notion de travailleur, au sens du droit de l'Union européenne, doit être interprétée comme s'étendant à toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La relation de travail est caractérisée par la circonstance qu'une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération. Ni la nature juridique particulière de la relation d'emploi au regard du droit national, ni la productivité plus ou moins élevée de l'intéressé, ni l'origine des ressources pour la rémunération, ni encore le niveau limité de cette dernière ne peuvent avoir de conséquences quelconques sur la qualité de travailleur.

4. Pour refuser de renouveler le titre de séjour en litige, le préfet de l'Isère s'est fondé, d'une part, sur le fait que M. E... C... a déclaré être au chômage depuis le 1er janvier 2022 et que les pièces qu'il produit démontrent que son activité professionnelle est marginale et accessoire et qu'il n'exerce ainsi pas d'activité professionnelle réelle et effective, et, d'autre part, sur l'absence de justification de ressources suffisantes pour lui et sa famille afin de ne pas être une charge pour le système d'assistance sociale français.

5. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, un citoyen de l'Union européenne a un droit au séjour s'il remplit l'une des deux conditions fixées à l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au nombre desquelles figure l'exercice d'une activité professionnelle en France.

6. En l'espèce, M. E... C..., qui réside en France depuis septembre 2017, produit plusieurs bulletins de salaire de 2018 à 2022 au titre de ses contrats de travail. S'agissant de la période courant à compter de sa demande de renouvellement, ses bulletins de salaire, établis par une agence d'intérim qui l'a embauché en qualité de manœuvre ou d'aide maçon, démontrent qu'il a eu une activité salariée lui procurant un salaire moyen s'établissant à environ 1 410 euros mensuels sur la période courant de juillet à décembre 2021, et de 763,604 euros pour la période de janvier à mai 2022. Par ailleurs, l'analyse des bulletins de salaire produits permet de constater qu'hormis le mois d'avril 2022, l'intéressé a continué d'exercer une activité professionnelle régulière, laquelle ne saurait être regardée comme présentant un caractère purement marginal et accessoire. M. E... C..., qui exerçait ainsi des activités présentant un caractère réel et effectif, soutient dès lors à bon droit, pour la première fois en appel, qu'il remplissait à la date de l'arrêté en litige la condition fixée par les dispositions citées ci-dessus du 1° de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est dès lors fondé à demander l'annulation du refus de renouvellement de son titre de séjour en litige ainsi que, par voie de conséquence, celle des autres décisions contenues dans l'arrêté du préfet de l'Isère du 25 mai 2022.

En ce qui concerne Mme E... C... :

7. Aux termes de l'article L. 233-2 du même code : " Les ressortissants de pays tiers, membres de famille d'un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées aux 1° ou 2° de l'article L. 233-1, ont le droit de séjourner sur le territoire français pour une durée supérieure à trois mois./ Il en va de même pour les ressortissants de pays tiers, conjoints ou descendants directs à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées au 3° de l'article L. 233-1. ". Il résulte de ces dispositions que le ressortissant d'un État tiers dispose d'un droit au séjour en France en qualité de conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne dans la mesure où son conjoint remplit lui-même les conditions fixées au 1° ou au 2° de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont alternatives et non cumulatives.

8. Il résulte du point 6 que M. E... C... remplit les conditions lui ouvrant droit à un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui suffisaient à elles seules à lui ouvrir un droit au séjour. Dans ces conditions, son épouse, Mme B... A... épouse E... C..., est fondée à soutenir que le préfet a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant qu'elle n'avait pas de droit au séjour en ce que l'activité professionnelle de son époux ne répondait pas aux dispositions de l'article L. 233-1 de ce code.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme E... C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de l'Isère du 25 mai 2022.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. L'annulation des arrêtés contestés implique, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, que le préfet de l'Isère délivre à M. et Mme E... C... les titres sollicités, sur le fondement des articles L. 233-1 et L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en leur délivrant sans délai, dans l'attente de cette délivrance, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Schürmann, sous réserve pour ce dernier de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement nos 22003909-2203910 du 4 octobre 2022 du tribunal administratif de Grenoble, et les arrêtés du 25 mai 2022 par lesquels le préfet de l'Isère a refusé le renouvellement d'un titre de séjour à M. et Mme E... C..., les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, de délivrer à M. et Mme E... C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de leur délivrer dans l'attente et sans délai une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'État versera à Me Schürmann, avocat de M. et Mme E... C..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Schürmann renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... C..., à Mme B... A... épouse E... C..., à Me Schürmann et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,

Mme Christine Djebiri, première conseillère,

Mme Claire Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.

La rapporteure,

C. BurnichonLa présidente,

M. F...

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 23LY00638 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00638
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEHL-SCHOUDER
Rapporteur ?: Mme Claire BURNICHON
Rapporteur public ?: Mme MAUCLAIR
Avocat(s) : SCHURMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;23ly00638 ?
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