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11/01/2024 | FRANCE | N°23LY00614

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 11 janvier 2024, 23LY00614


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. et Mme C... et A... E... ont, l'un et l'autre, demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 29 juillet 2022 par lesquels le préfet de l'Isère a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils seront éloignés.



Par un jugement n° 2206301 et 2206302 du 18 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé

les arrêtés du 29 juillet 2022 et a enjoint au préfet de l'Isère de leur délivrer une carte de séjour te...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. et Mme C... et A... E... ont, l'un et l'autre, demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les arrêtés du 29 juillet 2022 par lesquels le préfet de l'Isère a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils seront éloignés.

Par un jugement n° 2206301 et 2206302 du 18 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés du 29 juillet 2022 et a enjoint au préfet de l'Isère de leur délivrer une carte de séjour temporaire.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance B... et Mme E....

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché de défaut de motivation ;

- il n'a pas méconnu l'article 6-1 de l'accord franco-algérien ;

- ses décisions ne fixent aucun pays de renvoi et en tout état de cause, il n'est pas démontré une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés par M. et Mme E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2023, M. et Mme C... et A... E..., représentés par Me Coutaz, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation des arrêtés du 29 juillet 2022 ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère à titre principal de leur délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt, ou à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans le délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt et dans l'attente, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les deux jours à compter de la notification de l'arrêt, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat, à verser à leur conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive au titre de l'aide juridictionnelle.

Ils soutiennent que :

- les moyens invoqués par le préfet de l'Isère ne sont pas fondés ;

- les décisions de refus de titre de séjour méconnaissent les 1) et 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle et familiale ;

- les obligations de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- ces décisions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle et familiale.

M. et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport B... Porée, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E..., qui sont de nationalité algérienne, ont bénéficié d'un droit au séjour en Italie. Ils sont entrés sur le territoire français le 1er juillet 2011 selon leurs déclarations dans le cadre de la présente instance. M. et Mme E..., qui sont parents de quatre enfants, D... née le 1er septembre 2011, Oumnia née le 14 août 2013, Mouhamed Mehdi né le 11 octobre 2014 et Imran né le 7 mai 2020, sur le territoire français, ont, l'un et l'autre, demandé le 3 mars 2022 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement notamment des 1) et 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 18 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 29 juillet 2022 refusant de faire droit à leurs demandes et lui a enjoint de leur délivrer une carte de séjour temporaire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Les premiers juges ont estimé que M. et Mme E... produisaient à l'appui de leur allégation d'un séjour de plus de dix ans sur le territoire français, de nombreuses pièces, et ce pour chacune des dix années, qui ont un caractère probant dès lors qu'elles émanent d'organismes médicaux, sociaux, bancaires et commerciaux, et qu'elles concernent des attestations d'hébergement à compter de fin 2013, des justificatifs de crèche puis de scolarisation des enfants. Les premiers juges n'avaient pas à mentionner dans leur jugement que le préfet de l'Isère n'avait pas eu tous les documents produits dans le cadre de la première instance lorsqu'il a pris ses arrêtés du 29 juillet 2022 dès lors qu'ils pouvaient se fonder sur de nouvelles pièces qui ne font que révéler une situation de fait antérieure auxdits arrêtés. En outre, le tribunal administratif a nécessairement motivé son jugement concernant le caractère continu des dix années de présence en France en se référant aux nombreuses pièces produites par M. et Mme E... pour chacune des années, et notamment des attestations d'hébergement à compter de fin 2013, des justificatifs de crèche puis de scolarisation des enfants, qui ont pour objet de caractériser le caractère continu de leur présence en France. De plus, si M. E... a fait renouveler son passeport en Italie en 2015, les premiers juges ont retenu dans leur jugement que toutefois la résidence habituelle en France de l'intéressé est amplement établie par ailleurs, et ainsi le tribunal administratif a motivé son jugement en considérant que le nombre très important de pièces produites au titre de l'année 2015 permettait d'établir le séjour en France B... E... au cours de cette année. Il ne ressort pas du mémoire en défense du préfet de l'Isère devant les premiers juges qu'il a invoqué la circonstance que l'ancien passeport B... E... comporterait plusieurs tampons de voyages dont le dernier ferait état d'une sortie d'Algérie le 24 mai 2013. Enfin, le tribunal administratif n'avait pas à se référer au séjour irrégulier B... et Mme E... et aux mesures d'éloignement non exécutées dont ils ont fait l'objet comme étant des obstacles à la délivrance d'un titre de séjour dès lors que les stipulations du 1) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 a pour objet la délivrance d'un titre de séjour en raison de plus de dix années de présence irrégulière sur le territoire français. Par suite, le tribunal administratif de Grenoble a suffisamment motivé son jugement, et le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier doit être écarté.

Sur la légalité des arrêtés :

4. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : 1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant (...) ".

5. Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a commencé à séjourner sur le territoire français au cours du mois de juillet 2011. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation de l'écrivain public de la commune de Grenoble du 17 juin 2021, que M. E... a débuté son séjour en France à partir à tout le moins du mois d'octobre 2011. En outre, M. et Mme E... produisent de très nombreux justificatifs de séjour en France provenant de sources très différentes, institutionnelles ou bancaires et commerciales au titre des périodes à partir de juillet et octobre 2011 jusqu'au mois de juillet 2022. Ces justificatifs consistent notamment en des attestations d'hébergement qui visent les mois d'hébergement, en des documents faisant état du versement d'aides financières au titre des mois cités par ceux-ci, en des documents retraçant le parcours scolaire en France ou le placement en crèche des enfants B... et Mme E..., et en une attestation de suivi social régulier par l'association l'Oiseau Bleu de janvier 2014 à octobre 2020. M. et Mme E... produisent des éléments de preuve qui concernent la quasi-totalité de tous les mois de toutes les années allant de 2011 à 2022, et ces éléments de preuve sont multiples relativement à la quasi-totalité de chacun de ces mois. Si M. E... s'est fait délivrer un passeport algérien le 5 mars 2015 à Milan, il apporte la preuve de son séjour en France au cours de cette année 2015 en produisant plusieurs justificatifs de cette présence et ce au titre de chacun des mois de cette année. Si le préfet de l'Isère soutient que l'ancien passeport B... E... comporterait plusieurs timbres de voyages dont le dernier ferait état d'une sortie d'Algérie le 24 mai 2013, il ne produit pas la copie de ce passeport. Le préfet ne prouve pas l'absence de résidence habituelle et continue B... et Mme E... en soutenant qu'il n'est pas possible que ces derniers se soient maintenus irrégulièrement aussi longtemps sur le territoire français sans avoir eu besoin de justifier d'un titre de séjour. Les circonstances que M. et Mme E... ont été en séjour irrégulier sur le territoire français et qu'ils ont fait l'objet de mesures d'éloignement, qui n'ont pas été exécutées, sont sans incidence sur le caractère habituel et continu de leur séjour. Ainsi, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. et Mme E..., le préfet de l'Isère a méconnu les stipulations précitées de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions de refus de titre de séjour contenues dans ses arrêtés du 29 juillet 2022, ainsi que par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination et lui a enjoint de délivrer deux cartes de séjour temporaire. Les conclusions B... et Mme E... aux fins d'annulation des arrêtés du 29 juillet 2022 et d'injonction et d'astreinte sont rejetées par voie de conséquence.

Sur les frais liés au litige :

8. M. et Mme E... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Coutaz, conseil B... et Mme E..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera au conseil B... et Mme E... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. et Mme C... et A... E....

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2024.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00614


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00614
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Arnaud POREE
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : COUTAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;23ly00614 ?
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