Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL La Soupe aux choux a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2013 à 2015, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015 ainsi que des majorations correspondantes.
Par un jugement n° 2000476 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 3 juin 2022, la SARL La Soupe aux choux, représentée par Me Palomarès, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et majorations ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- s'agissant du chiffre d'affaires reconstitué des liquides, la méthode de l'administration pour retraiter le chiffre d'affaires refacturé à l'association Y'a du jazz à la soupe aux choux au titre des consommations des musiciens, qui consiste à déduire le chiffre d'affaires refacturé du chiffre d'affaires total reconstitué puis à le rajouter au résultat obtenu, est erronée en ce qu'elle aboutit à majorer artificiellement le chiffre d'affaires reconstitué, la facturation à l'association se faisant non au prix public mais au forfait ; l'administration aurait dû déduire les boissons facturées du nombre de boissons revendues ; les boissons servies aux musiciens étant facturées au taux de 19,6 %, il s'agissait nécessairement de boissons alcoolisées et le chiffre d'affaires correspondant a d'ailleurs été retiré du chiffre d'affaires des boissons alcoolisées ; en tout état de cause, l'erreur méthodologique aurait été la même pour les boissons non alcoolisées ;
- s'agissant du chiffre d'affaires reconstitué des solides, l'administration a pris en compte les plats vendus hors menu au prorata du nombre de jours ouvrés, et non au prorata du nombre de menus, alors qu'il n'existe aucun rapport entre le nombre de jours ouvrés et le nombre de plats commandés à l'unité, qui est fonction de la fréquentation du restaurant et de la saisonnalité ; au vu du dépouillement des bons de commandes de mars à juin 2014, 15 % des ventes correspondant à des plats vendus à l'unité ;
- à compter de 2015, la soupe aux choux a été vendue à l'unité, s'agissant d'un plat complet et copieux, et ce à hauteur de 15 % des ventes ; elle n'est servie qu'en hiver, ce qui explique qu'elle ne figure pas sur les bons de commande de mars à juin 2014 ;
- le poids du magret de canard de 40 grammes retenu pour la composition des salades landaises ne tient pas compte de la perte subie lors du fumage effectué par le gérant, qui fait perdre entre 17 % et 18 % du poids de viande crue ;
- s'agissant des repas servis aux musiciens, le chiffre d'affaire refacturé, non retraité, a été rajouté au chiffre d'affaires déclaré, au motif que les musiciens consommaient des plats différents de ceux servis dans le restaurant, alors que tel n'est pas le cas, ce qui aboutit à une double valorisation de ce chiffre d'affaires ; un repas facturé au prix coûtant de 9,20 euros TTC correspond au minimum à un repas vendu au prix public de 18 euros et ne saurait correspondre à un plat de pâtes ; si l'administration a relevé que des achats n'ont pas été utilisés pour confectionner les plats proposés sur la carte du restaurant, ces achats, qu'elle ne chiffre d'ailleurs pas, correspondent aux prélèvements du gérant, d'ailleurs comptabilisés comme tels, et non aux achats de denrées destinées à la confection des repas servis aux musiciens ; les repas des musiciens, qui représentent un total de 965 repas pour 2013, 860 repas pour 2014 et 970 repas pour 2015, doivent être considérés comme des menus vendus et déduits du chiffre d'affaires reconstitué.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 13 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL La Soupe aux choux, dont M. A..., était le gérant et unique associé, exploitait un bar-restaurant à Grenoble (Isère) dans lequel l'association Y'a du jazz à la soupe aux choux, présidée par M. A..., organisait régulièrement des concerts de jazz. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015. A l'issue de ce contrôle, et après avoir rejeté la comptabilité présentée comme non probante et procédé à la reconstitution de ses chiffres d'affaires et de ses résultats, l'administration l'a assujettie, selon la procédure contradictoire, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 ainsi qu'à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015, assortis d'intérêts de retard et de la majoration de 40 % prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts. La SARL La Soupe aux choux relève appel du jugement 14 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et majorations.
2. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ".
3. La SARL La Soupe aux choux ne conteste pas que sa comptabilité était entachée de graves irrégularités. Les rectifications en litige ont été soumises à la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et les impositions établies conformément à l'avis de cette commission. Par suite, il appartient à la SARL La Soupe aux choux établir leur caractère exagéré.
4. Le chiffre d'affaires de la société requérante a été reconstitué à partir des achats revendus de boissons, alcoolisées et non alcoolisées et des achats revendus de solides, sur la base d'un stock constant, après prise en compte des pertes, de la consommation personnelle du gérant et des produits utilisés pour la confection des cocktails et mélanges, ainsi que des repas servis aux musiciens, non valorisés, auxquels ont été appliqués les tarifs communiqués au cours du contrôle. A ce chiffre d'affaires liquide et solide a été ajouté celui résultant de la facturation, établie mensuellement au nom de l'association Y'a du jazz à la soupe aux choux, au titre des repas et boissons servis aux musiciens se produisant dans l'établissement. Au stade de la réponse aux observations du contribuable, l'administration a notamment fait droit à l'argumentation de la SARL La Soupe aux choux tirée de ce que les boissons facturées à l'association n'avaient pas été déduites de la reconstitution du chiffres d'affaires des liquides et a, en conséquence, retranché du montant des rappels en base résultant de la reconstitution du chiffres d'affaires des boissons alcoolisées le montant facturé à l'association au titre des boissons servies aux musiciens, pour chacun des trois exercices en litige.
5. La SARL La Soupe aux choux soutient, en premier lieu, que la méthode retenue par l'administration pour retraiter le chiffre d'affaires refacturé à l'association Y'a du jazz à la soupe aux choux au titre des consommations de boissons des musiciens est erronée en ce qu'elle aboutit à majorer artificiellement le chiffre d'affaires reconstitué, la facturation à l'association se faisant non au prix public mais au forfait. Elle ajoute que les boissons servies aux musiciens, facturées à l'association au taux de taxe sur la valeur ajoutée de 19,6 % étaient des boissons alcoolisées et demande que les boissons ainsi facturées à l'association soient retranchées du nombre de boissons revendues utilisé pour reconstituer le chiffre d'affaires des liquides alcoolisés. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des factures adressées par la SARL La Soupe aux choux à l'association, que la nature des boissons servies aux musiciens n'était pas précisée, les factures faisant seulement état de trois boissons par musicien au prix forfaitaire de 6,27 euros HT, soit 2,09 euros HT l'unité. L'administration fait également valoir, sans être contredite sur ce point, que la facturation à l'association comportait de nombreuses erreurs quant au taux de taxe sur la valeur applicable, de telle sorte que le taux appliqué sur les factures ne suffit pas à établir que les boissons facturées étaient des alcools. Dans ces conditions, le vérificateur n'était pas en mesure, pendant le contrôle, d'identifier précisément les achats correspondant aux boissons servies aux musiciens, qu'il s'agisse ou non de boissons alcoolisées, à imputer sur les achats revendus utilisés pour reconstituer le chiffre d'affaires des liquides. La SARL La Soupe aux choux, qui n'apporte aucune précision ni aucun justificatif quant à la nature des boissons refacturées à l'association, n'établit ni que la méthode utilisée par l'administration, qui a consisté à retrancher du chiffre d'affaires reconstitué des boissons alcoolisées celui facturé à l'association, solution au demeurant favorable à la société puisqu'elle permettait de réduire le chiffre d'affaires reconstitué taxable au taux le plus élevé, serait radicalement viciée.
6. La SARL La Soupe aux choux fait valoir, en deuxième lieu, s'agissant du chiffre d'affaires reconstitué des solides, que l'administration ne pouvait, pour déterminer le nombre de plats vendus hors menu, se fonder sur le nombre de jours ouvrés en l'absence de tout lien entre le nombre de jours ouvrés et le nombre de plats commandés à l'unité, qui est uniquement fonction de la fréquentation du restaurant et de la saisonnalité. Elle revendique, à ce titre, en se fondant sur un tableau de dépouillement des bons de commande de la période de mars à juin 2014, produit en première instance, la prise en compte, pour les plats vendus à l'unité, d'un ratio de 15 % de la totalité des ventes. L'administration indique, quant à elle, qu'en dépit de l'absence de mention sur les cartes du restaurant de plats vendus à la carte, le vérificateur, à partir de l'examen de ces mêmes bons de commandes, qui recouvrent la période du 5 mars au 24 juin 2014, soit cinquante-huit jours ouvrés, a relevé que 83 plats à la carte avaient été servis, soit un nombre moyen de 1,43 plats par jour correspondant, à hauteur de 0,62 plat, à du magret de canard et de 0,91 plat à des ravioles au saumon. Alors que la société ne produit pas les bons de commande qu'elle invoque, qui feraient ressortir un total de 77 plats à la carte pour 447 menus, ni n'apporte aucun justificatif quant au nombre et à la nature des plats effectivement vendus à l'unité au cours de chaque exercice, elle n'établit ni que le ratio de 15 % qu'elle revendique serait plus fiable que celui retenu par le vérificateur par jour ouvré, ni qu'il permettrait une meilleure prise en compte de la saisonnalité et du ratio entre ravioles de saumon et magret de canard, quand bien même au total, menus compris, davantage de magrets que de ravioles sont servis chaque année dans le restaurant. Le ministre fait par ailleurs valoir, en procédant à un chiffrage, non contesté par la société requérante, que la prise en compte du ratio de 15 % demandé par la SARL La Soupe aux choux ne lui est favorable que pour l'exercice 2013, année au cours de laquelle il n'y a pas eu de vente de ravioles de saumon, mais que pour les trois exercices réunis, elle a une incidence limitée à 6 euros en base. Enfin, si la SARL La Soupe aux choux soutient qu'à compter de 2015, la soupe aux choux a été vendue à l'unité, s'agissant d'un plat complet et copieux, selon le même ratio de 15 %, elle n'apporte aucun justificatif de nature à l'établir. Dans ces conditions, la SARL La Soupe aux choux n'établit pas l'exagération de ses bases imposables résultant des modalités selon lesquelles l'administration a reconstitué le chiffre d'affaires correspondant aux plats servis à la carte.
7. La SARL La Soupe aux choux soutient, en troisième lieu, que le poids de magret de canard de 40 grammes retenu pour la composition des salades landaises ne tient pas compte de la perte subie lors du fumage effectué par le gérant, qui fait perdre entre 17 % et 18 % du poids de viande de magret crue. Sur ce point, le ministre, après avoir rappelé que ne sont concernées que les salades fabriquées à partir de magret fumé par le gérant lui-même, et non toutes les salades landaises, fait valoir, sans être contredit, qu'une tranche de magret de 40 grammes conserve, après fumage, un poids supérieur à 20 grammes et donc suffisant pour une salade. Il ajoute que le magret de canard cru non valorisé initialement par le vérificateur au titre des menus et plats à la carte, car utilisé pour la confection des salades landaises après fumage, n'a pas été réintégré dans la reconstitution du chiffres d'affaires des solides, alors même qu'au stade de la réponse aux observations du contribuable, le nombre de salades landaises vendues, reconstitué d'après les achats de foie gras, a été sensiblement réduit de 804 à 603 en 2013, de 782 à 581 en 2014 et de 699 à 522 en 2015, situation particulièrement favorable à la société. Dans ces conditions, la SARL La Soupe aux choux, qui n'apporte aucun justificatif à l'appui de ce qu'elle allègue, n'établit pas l'exagération de chiffre d'affaires qu'elle invoque à ce titre.
8. La SARL La Soupe aux choux critique, en quatrième lieu, les modalités selon lesquelles l'administration a pris en compte les repas servis aux musiciens, en ajoutant le chiffre d'affaires refacturé à l'association Y'a du jazz à la soupe aux choux, sans retraitement, au chiffre d'affaires déclaré, entraînant selon elle une double valorisation de ce chiffre d'affaires. Elle fait valoir, à cet égard, que contrairement à ce qu'a estimé le service, les musiciens consommaient les mêmes plats que les clients du restaurant, et non des plats spécifiques, dès lors qu'un repas facturé à l'association au prix coûtant de 9,20 euros TTC correspond au minimum à un repas vendu au prix public de 18 euros et ne saurait correspondre à un plat de pâtes. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des relevés de constatations matérielles des 25 octobre et 2 novembre 2016, cosignés par le gérant et le vérificateur, qu'au cours du contrôle, le gérant a indiqué que la composition des plats servis aux musiciens différait de celle des plats proposés sur la carte, et qu'il s'agissait essentiellement de pâtes et de lasagnes. Le service vérificateur a également constaté que la société procédait à l'achat de denrées ne correspondant pas aux plats proposés dans le restaurant, denrées qu'il n'a pas valorisées dans la reconstitution après que le gérant lui a indiqué, à plusieurs reprises, qu'elles étaient utilisées pour la confection des repas servis aux musiciens. Si la société requérante soutient désormais que ces achats correspondaient uniquement à l'autoconsommation du gérant, en s'appuyant sur les montants comptabilisés à ce titre, soit 2 779,87 euros en 2013, 1 587,87 euros en 2014 et 2 108,82 euros en 2015, ces montants apparaissent sans aucune mesure avec le volume et la nature des achats non valorisés qui comprennent du poulet, des frites, de la charcuterie, des viandes diverses et des fruits de mer, et ce alors que la société n'a pas été en mesure, lors du contrôle, de justifier des montants comptabilisés au titre des prélèvements du gérant par la production d'un relevé détaillé par nature ou type de produit, rendant impossible tout rapprochement avec les achats de produits ne figurant pas sur la carte. La SARL La Soupe aux choux n'établit pas davantage la nature des repas servis aux musiciens par la production d'attestation de ces derniers, établies en janvier et février 2017, selon lesquelles ils ont consommé du canard lors des repas servis au cours des années 2013 à 2015. Enfin, à supposer même que du canard leur ait été servi, le ministre rappelle que s'agissant de ce produit, le vérificateur a admis un taux de perte de 5 %, un taux d'offerts de 3 % et n'a pas valorisé, ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, entre 7 et 8 kg de magret au cours de chacun des trois exercices sous revue. Dans ces conditions, la SARL La Soupe aux choux n'apporte pas la preuve de l'exagération des bases imposables qui résulterait des modalités de prise en compte, par le service, des repas servis aux musiciens.
9. Il résulte de ce qui précède que la SARL La Soupe aux choux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL La Soupe aux choux est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL La Soupe aux choux et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Laval, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2024.
La rapporteure,
A. Courbon
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01708