Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.
Par un jugement n° 1905979 du 23 décembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 février 2022 et le 2 novembre 2022, M. et Mme A..., représenté par Me Daly, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme A... soutiennent que :
- les dispositions des articles 239 et 239 sexies B du code général des impôts méconnaissent le principe d'espérance légitime en application du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors qu'ils ont été soumis à une imposition supplémentaire en raison de l'évolution des taux des prélèvements sociaux et à une imposition à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus qui n'était pas en vigueur à la date de conclusion du bail ;
- elles méconnaissent le principe de l'égalité devant les charges publiques, nonobstant l'exigence d'une question prioritaire de constitutionnalité qu'ils se réservent le droit de déposer.
Par des mémoires, enregistrés le 10 octobre 2022 et le 7 avril 2023, ce dernier non communiqué, le ministre de l'économie, des finances et la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- le quantum de la contestation de l'imposition sur les hauts revenus doit être limité aux cotisations mises à la charge des requérants à raison des seules impositions qu'ils contestent.
Par ordonnance du 31 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 avril 2023.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laval, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Boga, société soumise au régime des sociétés de personnes, dont M. et Mme A... détenaient ensemble la quasi-totalité des parts, qui donnait en sous-location un immeuble situé à Alex (Haute-Savoie) qu'elle avait pris en crédit-bail, en 2000, pour une durée de quinze ans, tirait de cette activité des revenus imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Elle a levé l'option d'achat pour cet immeuble, le 29 décembre 2015 avant de le céder, le 21 octobre 2016. Par lettre du 5 juin 2017, M. et Mme A... ont demandé la rectification de leur déclaration de revenus souscrite au titre de l'année 2015 en majorant le résultat de l'entreprise de la fraction des sommes à réintégrer en application de l'article 239 sexies du code général des impôts pour le calcul de la plus-value résultant de la cessation de l'activité initiale de la société en 2015 et du changement de son régime fiscal. L'administration, faisant droit à leur demande, les a assujettis, aux termes d'une procédure contradictoire ayant pour objet de rehausser leur revenu imposable de l'année 2015 du montant de la majoration demandée, à des compléments d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de prélèvements sociaux au titre de cette année. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 23 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la décharge et, subsidiairement, à la réduction des impositions supplémentaires établies conformément à leur demande.
2. L'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts (...) ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Lorsqu'il modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, le législateur ne saurait priver les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de ces stipulations. En revanche, un régime fiscal incitatif dont le bénéfice est garanti par la loi pour une période de temps limitée peut, selon notamment la durée de cette période et la nature des engagements attendu du contribuable en contrepartie de l'avantage consenti, faire naître une espérance légitime à laquelle la modification du dispositif législatif est susceptible de porter atteinte. Ces stipulations ne font cependant pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant des lois en vigueur ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, à condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier.
3. Aux termes de l'article 239 sexies B du code général des impôts dans sa rédaction applicable : " Les dispositions du premier alinéa du I et celles du paragraphe II de l'article 239 sexies sont applicables aux locataires qui acquièrent des immeubles qui leur sont donnés en crédit-bail par des sociétés ou organismes autres que des sociétés immobilières pour le commerce et l'industrie. (...) ". Aux termes dudit article 239 sexies : " I. - Lorsque le prix d'acquisition, par le locataire, de l'immeuble pris en location par un contrat de crédit-bail conclu avec une société immobilière pour le commerce et l'industrie est inférieur à la différence existant entre la valeur de l'immeuble lors de la signature du contrat et le montant total des amortissements que le locataire aurait pu pratiquer s'il avait été propriétaire du bien depuis cette date, le locataire acquéreur est tenu de réintégrer, dans les résultats de son entreprise afférents à l'exercice en cours au moment de la cession, la fraction des loyers versés pendant la période au cours de laquelle l'intéressé a été titulaire du contrat et correspondant à ladite différence diminuée du prix de cession de l'immeuble ".
4. M. et Mme A... soutiennent que le choix d'un contrat de crédit-bail immobilier " présentant un caractère d'irréversibilité et des conséquences économiques lourdes " constitue une situation juridiquement acquise " en considération de la fiscalité connue à la date de ce choix ". Ainsi, ils estiment que l'aggravation de la fiscalité entre la date de conclusion du contrat et le fait générateur de la plus-value, d'une part, et entre l'année du fait générateur et l'année du report, d'autre part, portent atteinte à cette situation, dès lors que la quote-part des loyers dite excédentaires déduits pendant l'exécution du contrat conformément aux articles 239 sexies et sexies B subit une imposition en fonction des taux et barèmes en vigueur au terme du contrat alors que les loyers ont été déduit de façon lissée sur la durée intégrale du contrat.
5. Aux termes des dispositions des articles 239 sexies et 239 sexies B du code général des impôts précitées la réintégration d'une fraction des loyers s'effectue au titre de l'exercice en cours au moment de la levée d'option, plusieurs années après la conclusion du contrat de crédit-bail. M. et Mme A... qui avaient connaissance de ce régime lors de la souscription du crédit-bail par la SCI Boja dont ils sont associés concernant leur bien situé sur la commune d'Alex, en 2004, ne pouvaient ignorer que les revenus découlant de la levée d'option seraient imposables conformément à la législation relative à l'imposition et aux prélèvement sociaux en vigueur à la date de cette levée d'option, laquelle ne présentait pas de caractère immuable. L'application de ce régime d'imposition y compris l'instauration de la contribution sur les hauts revenus n'a privé les requérants d'aucune espérance légitime attachée à un bien au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a, par suite, pas porté atteinte à un droit garanti par ces stipulations.
6. M. et Mme A... ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance du principe d'égalité devant l'impôt pour faire échec aux impositions contestées, dès lors que la plus-value a été calculée conformément à la loi fiscale.
7. Il résulte de ce qui précède que M et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Courbon, présidente-assesseure,
M. Laval, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.
Le rapporteur,
J.-S. Laval
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY00590