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09/11/2023 | FRANCE | N°22LY03449

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 09 novembre 2023, 22LY03449


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon à titre principal de condamner Pôle emploi à lui verser la somme totale de 50 144,36 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la discrimination dont elle déclare avoir été victime de la part de son employeur au cours de sa carrière, et de la souscription forcée à la mutuelle de cet établissement public entre les années 2009 et 2015 et, à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise permettant d'év

aluer ses préjudices.

Par un jugement n° 2102380 du 3 octobre 2022, le tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon à titre principal de condamner Pôle emploi à lui verser la somme totale de 50 144,36 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la discrimination dont elle déclare avoir été victime de la part de son employeur au cours de sa carrière, et de la souscription forcée à la mutuelle de cet établissement public entre les années 2009 et 2015 et, à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise permettant d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 2102380 du 3 octobre 2022, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés le 29 novembre 2022 ainsi que les 22 février et 17 avril 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme A..., représentée par Me Sauvignet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner Pôle emploi à lui verser la somme totale de 50 144,36 euros en réparation des préjudices financiers et moral qu'elle estime avoir subis du fait d'agissements discriminatoires et de la " souscription forcée " à la mutuelle de cet établissement public entre les années 2009 et 2015 ;

3°) de mettre à la charge de Pôle emploi une somme de 4 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier faute de signature de l'expédition de la minute ;

- ses conclusions tendant à " dire et juger " que Pôle emploi a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité sont recevables, dès lors qu'il s'agit au préalable de constater l'existence d'une faute pour prononcer une condamnation ;

- ses conclusions indemnitaires sont également recevables, dès lors qu'elles reposent sur les agissements constitutifs d'une discrimination dont elle a été victime de la part de son employeur au cours de sa carrière, et n'ont pas le même objet que des conclusions à fin d'annulation de décisions à objet purement pécuniaire devenues définitives ;

- la prescription quadriennale des dettes publiques prévue par les dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ne lui est pas opposable ;

- Pôle emploi a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en l'obligeant à souscrire à une mutuelle entre les années 2009 et 2015, alors qu'elle avait expressément refusé cette souscription dès le 4 décembre 2008, ce qui lui a causé un préjudice économique à hauteur de 144,36 euros ; ces conclusions indemnitaires présentées à ce titre ne sont pas irrecevables ; il ne s'agit pas d'un fait générateur distinct de ses autres demandes indemnitaires contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;

- elle a été victime de discrimination à raison de son sexe, de son engagement syndical et de son état de santé au cours de sa carrière, en méconnaissance des dispositions des articles 6 et 6 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- les agissements fautifs que Pôle emploi avait l'obligation de prévenir ou, à défaut, de faire cesser, lui ont causé un préjudice économique à hauteur de 35 000 euros, ainsi qu'un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 15 000 euros.

Par des mémoires enregistrés les 2 février, 14 avril et 27 avril 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Pôle emploi, représenté par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient en reprenant notamment les fins de non-recevoir de première instance que :

- les conclusions tendant à " dire et juger " que Pôle emploi aurait commis des fautes de nature à engager sa responsabilité sont irrecevables ;

- les conclusions indemnitaires sont également irrecevables, dès lors qu'elles ont la même portée que des conclusions à fin d'annulation dirigées contre les décisions à objet purement pécuniaire par lesquelles Pôle emploi lui a refusé le bénéfice d'avancements accélérés ainsi que l'octroi de primes variables annuelles et qui sont devenues définitives à l'expiration d'un délai raisonnable d'un an à compter du 26 décembre 2013 et des 3 avril et 8 novembre 2019, dates à compter desquelles elle en a eu connaissance ; la prescription quinquennale de droit commun prévue par les dispositions de l'article 2224 du code civil s'oppose à l'examen au fond d'une partie de la requête ;

- les conclusions indemnitaires de Mme A... tendant à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la souscription forcée à la mutuelle de Pôle emploi entre les années 2009 et 2015 sont irrecevables ;

- aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 17 avril 2023, la Défenseure des droits a présenté des observations au soutien des écritures de Mme A..., en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.

Par une ordonnance du 3 avril 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 17 avril 2023.

En application des dispositions R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées par lettre du 21 juin 2023 que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires de Mme A... tendant à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du non-respect par pôle emploi de son obligation de formation.

Par un mémoire enregistré le 28 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Sauvignet, a présenté ses observations sur ce moyen d'ordre public, qui ont été communiquées au défendeur.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 2003-1370 du 31 décembre 2003 ;

- le décret n° 2004-386 du 28 avril 2004 ;

- l'arrêté du 31 décembre 2003 portant application des articles 19, 22, 42 et 44 du décret n° 2003-1370 du 31 décembre 2003 fixant les dispositions applicables aux agents contractuels de droit public de l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail ;

- l'arrêté du 28 avril 2004 portant application du décret n° 2004-386 du 28 avril 2013 relatif au régime indemnitaire des agents contractuels de droit public de l'Agence nationale pour l'emploi ;

- l'arrêté du 21 décembre 2009 portant agrément de la convention collective nationale de Pôle emploi du 21 novembre 2009 ;

- l'accord du 18 mars 2011 relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et à la conciliation vie professionnelle, familiale et personnelle à Pôle emploi ;

- la décision n° 2004-39 du 2 janvier 2014 relative aux conditions d'attribution de réductions d'ancienneté pour l'avancement et aux conditions d'accès aux échelons exceptionnels ;

- la décision n° 2004-78 du 21 mai 2014 fixant les modalités d'attribution et les montants de la prime variable liée à la manière de servir ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Sauvignet pour Mme A... et ainsi que celles de Me Kukuryka, substituant Me Lonqueue, pour Pôle emploi ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., agent contractuel de droit public de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) depuis 2006, devenue Pôle emploi, occupait un emploi de niveau II de conseillère jusqu'à son licenciement pour inaptitude le 14 décembre 2020. Par un courrier du 21 décembre 2020, elle a saisi la direction régionale Auvergne-Rhône-Alpes de Pôle emploi d'une réclamation indemnitaire d'un montant total de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la discrimination à raison de son sexe, de son engagement syndical et de son état de santé dont elle aurait été victime au cours de sa carrière de la part de son employeur. Mme A... relève appel du jugement du 3 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande de condamnation de Pôle emploi à réparer son préjudice par le versement d'une indemnité de 50 144,36 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " En outre, l'article R. 751-2 du même code prévoit que l'expédition du jugement délivrée aux parties ne comporte pas la signature des magistrats mais seulement celle du greffier en chef. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que seule la minute du jugement doit comporter la signature manuscrite du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier, à l'exclusion des expéditions du jugement notifiées aux parties qui ne mentionnent que les noms et fonctions des trois signataires. Il suit de là que la notification du jugement attaqué sous forme d'expéditions dépourvues de signatures manuscrites, elles-mêmes portées sur la minute, n'est pas constitutive d'une irrégularité.

3. Mme A... soutient que les premiers juges ont considéré à tort comme irrecevable sa demande au titre de l'indemnisation de son préjudice d'un montant de 144,36 euros du fait de l'affiliation forcée à la mutuelle d'entreprise entre 2009 et 2015, en indiquant que cette souscription forcée a démarré au moment où son évolution de carrière a connu un net ralentissement que ce soit au regard de son avancement comme de sa rémunération fixe et variable, et qu'elle est directement liée à son état de santé, participant ainsi du processus discriminatoire qu'elle a invoqué et qu'elle est donc fondée sur la même faute liée aux discriminations dont elle a fait l'objet. Ce chef de préjudice, comme les autres chefs de préjudices d'ordre financier et moral mentionnés par l'intéressée dans sa demande préalable d'indemnisation du 17 décembre 2020, se rattachent à un même fait générateur tenant à la discrimination dont elle affirme avoir été victime. C'est donc à tort que, pour rejeter la demande de Mme A... au titre de l'indemnisation du préjudice lié à la souscription à la mutuelle d'établissement, le tribunal a jugé que, faute d'en avoir également sollicité réparation dans sa réclamation préalable, le contentieux sur ce point n'avait pas été lié et que, dans cette mesure, sa demande était nouvelle et donc irrecevable. Mme A... est donc fondée à soutenir que, à cet égard, le jugement est irrégulier et doit être annulé.

4. Par suite, il y a lieu pour la cour de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions de l'intéressée tendant à l'indemnisation du préjudice lié à la souscription à la mutuelle d'établissement et, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus de ses conclusions.

Sur le fond du litige :

5. D'abord, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 bis de cette même loi : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur sexe. ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 " toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ".

6. Ensuite, aux termes de l'article 22 du décret du 31 décembre 2003 fixant les dispositions applicables aux agents contractuels de droit public de Pôle emploi, dans sa rédaction alors applicable : " I.- L'avancement d'échelon dans chaque niveau d'emplois s'effectue d'un échelon à l'échelon immédiatement supérieur. / Dans la limite d'un contingent annuel dont les modalités de calcul sont fixées par l'arrêté prévu à l'article 19, il est procédé, chaque année, après avis de la commission paritaire compétente, dans chaque niveau d'emplois, à l'attribution de réductions d'ancienneté d'une durée maximale d'un an, sans pouvoir excéder la moitié de la durée du temps à passer dans l'échelon. / Les conditions d'attribution de ces avancements, qui tiennent notamment compte du développement des compétences et des résultats de l'évaluation prévue à l'article 20, sont précisées par décision du directeur général (...) ". Selon les termes de l'article 2 de l'arrêté du 31 décembre 2003 visé ci-dessus : " Le contingent annuel de réductions de la durée du temps à passer dans l'échelon d'une année prévu à l'article 22 du décret du 31 décembre 2003 susvisé correspond, pour chaque exercice sur la base de l'effectif payé au 30 septembre de l'année précédente, et pour ceux des effectifs hors échelons exceptionnels qui changent d'échelon l'année suivante : / (...) - à un quart de l'effectif des niveaux II, III et IV A ; (...) ". L'article 1er de la décision du 2 janvier 2004 également visée ci-dessus prévoit que : " Sous réserve des dispositions du II de l'article 22 du décret du 31 décembre 2003 susvisé, les réductions d'ancienneté pour l'avancement (...) sont proposées par avis motivé du supérieur hiérarchique. Cette proposition est établie compte tenu de l'évaluation périodique prévue à l'article 20 du décret du 31 décembre 2003 susvisé en tenant compte de la manière de servir appréciée notamment au regard des activités confiées et du développement des compétences professionnelles et des acquis de la formation continue. ". Et aux termes de l'article 2 de la même décision : " L'attribution d'une réduction d'ancienneté intervient sur décision du directeur général ou de son délégataire, après avis de la commission paritaire compétente. Elle a pour effet d'anticiper, pour sa durée, la date d'avancement prévisionnelle du bénéficiaire sans qu'elle puisse avoir un effet antérieur au 1er janvier de l'année de son attribution ".

7. Par ailleurs, un accord relatif à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes a été conclu le 18 mars 2011 entre le directeur de Pôle emploi et les organisations syndicales, applicable à l'ensemble des agents quel que soit leur statut aux fins, notamment, de garantir des niveaux de rémunération équivalents entre les femmes et les hommes pour des fonctions équivalentes et de même niveau. Aux termes de l'article 4.2 de cet accord : " Les parties constatent que des différences de salaires non justifiées par des critères objectifs (liés à l'âge, l'ancienneté, la qualification, la fonction) peuvent subsister entre les femmes et les hommes. Pôle emploi entend définir une méthode en vue d'identifier, d'examiner et de résorber par des mesures concrètes ces écarts de salaires injustifiés, appelés écarts résiduels, subsistant après neutralisation des effets de structure (emploi générique, âge, ancienneté). Cette méthode vise à comparer, toutes choses égales par ailleurs, la différence de salaire entre femmes et hommes (...) Après pré-identification par la DGA RH des salariées éligibles en situation d'écart résiduel d'au moins 5 % par rapport au salaire médian des hommes pour une fonction, un emploi générique, une tranche d'ancienneté et une tranche d'âge données (critères cumulés) un examen sera réalisé par la DRH de l'établissement (...). Concernant les agents publics, les directeurs d'établissement privilégieront dans l'attribution des avancements accélérés et des accès à la carrière exceptionnelle, la situation des femmes ayant un écart injustifié de salaire parmi les agents éligibles répondant aux critères d'attribution. Les membres des commissions paritaires disposeront dans ce cadre de la liste des femmes présentant un écart injustifié de salaire comme document préparatoire aux commissions paritaires locales. Une notification individuelle sera adressée aux femmes figurant dans cette liste (...) ". L'article 7-1 de cet accord a prévu la mise en place d'une commission de suivi de l'accord ayant pour missions de suivre l'avancement des actions menées au regard des objectifs fixés et de traiter les recours individuels liés à l'application de l'accord.

8. En outre, aux termes de l'article 1er du décret du 28 avril 2004 relatif au régime indemnitaire des agents contractuels de droit public de l'Agence nationale pour l'emploi : " Dans la limite des crédits ouverts à cet effet, les agents contractuels de droit public de l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail (Pôle emploi) (...) peuvent bénéficier de primes et d'indemnités définies au présent décret. (...) ". Selon les termes de l'article 3 du même décret : " Une prime variable liée à la manière de servir peut-être attribuée à certains des agents mentionnés à l'article 1er. / Les montants mensuels liés à la manière de servir sont fixés par niveaux d'emplois et varient en fonction des résultats de l'appréciation portée sur la manière de servir, dans la limite d'un montant plafond maximal fixé par niveaux d'emplois. Ils sont versés semestriellement. ". L'article 1er de la décision du 21 mai 2004 visée ci-dessus prévoit que : " La prime variable liée à la manière de servir, subdivisée en trois fractions égales peut être attribuée exclusivement aux agents mentionnés à l'article 1er du décret n° 2004-386 du 28 avril 2004, qui ne sont pas éligibles à la prime variable de performance individuelle prévue à l'article 4 dudit décret. / Elle est versée semestriellement en juin et décembre de chaque année, le nombre de fraction attribué étant fonction des résultats de l'appréciation portée sur la manière de servir durant le semestre de référence. / Les semestres de référence vont du 1er novembre de l'année précédente au 30 avril de l'année en cours, pour le versement de juin, et du 1er mai au 31 octobre de l'année en cours pour le versement de décembre. ". Et aux termes de l'article 3 de la même décision : " Les montants mensuels sont fixés par niveaux d'emplois dans le tableau ci-après : au niveau d'emploi II le montant mensuel d'une fraction au 1er janvier 2004 est de 30,77 euros et le montant maximal mensuel au 1er janvier 2004 est de 92,32 euros. "

9. Il résulte des dispositions citées au point précédent, qu'une prime variable liée à la manière de servir peut-être attribuée à certains agents contractuels de droit public de Pôle emploi. Cette prime, versée semestriellement en juin et décembre de chaque année, est subdivisée en trois fractions égales, le nombre de fractions étant attribué au regard de l'appréciation portée sur la manière de servir de l'agent, durant un semestre de référence, allant du 1er novembre de l'année précédente au 30 avril de l'année en cours pour le versement de juin, et, du 1er mai au 31 octobre de l'année en cours, pour le versement de décembre. L'agent bénéficie ainsi d'une fraction en cas de manière de servir " très satisfaisante ", de deux fractions en cas de manière de servir " à souligner particulièrement ", et de trois fractions en cas de manière de servir " exceptionnelle ". Une manière de servir " normale " n'entraîne l'attribution d'aucune fraction.

10. De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

11. Mme A... soutient que, en raison de son engagement syndical depuis février 2014, de son état de santé, qui s'est dégradé depuis 2016 jusqu'en 2020, avec de nombreux arrêts maladie, et de son sexe, avec un niveau de rémunération inférieur à la médiane de ses collègues masculins, elle a été victime de discriminations qui se sont principalement manifestées par l'absence d'avancement accéléré depuis l'année 2014 et de prime variable annuelle depuis 2015.

En ce qui concerne l'évolution de carrière ralentie :

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'état de santé de Mme A... s'est progressivement dégradé à compter de l'année 2016. La requérante se prévaut de ses évaluations de 2013 à 2019 qui, pour certaines, font état des périodes d'indisponibilité pour maladie. Toutefois ces éléments ne sauraient suffire à faire présumer de l'existence d'une volonté discriminatoire, alors que l'avancement accéléré, qui est contingenté, n'a pas de caractère automatique mais varie en fonction des résultats de l'agent ainsi que cela ressort du tableau récapitulatif des " avancements accélérés " de 2006 à 2020 qu'elle a produit.

13. En deuxième lieu, et compte tenu de ses évaluations professionnelles sur la période de 2014 à son licenciement, les conditions pour prétendre à un avancement accéléré n'étaient pas remplies. Il apparaît ainsi que lors des entretiens professionnels annuels au titre des années 2014, 2017 et 2018, elle a elle-même indiqué ne pas être en mesure d'optimiser son temps de travail sur des dossiers transverses ou sur la relation avec les entreprises compte tenu de ses fonctions au CHSCT, Pôle Emploi ayant pris en compte les contraintes liées à son mandat syndical, en diminuant notamment son portefeuille de suivi de demandeurs d'emploi. Si son évaluation professionnelle de 2013 était favorable et que la fin des avancements accélérés coïncide avec son élection au CHSCT en février 2014, et si elle a eu de nombreux arrêts maladie à compter de 2016, Pôle Emploi souligne qu'elle n'avait pas acquis des compétences particulières sur la période considérée. Rien ne permet de dire que la mention dans certaines évaluations de son engagement syndical et de ses absences pour raison de santé serait justifiée par autre chose que d'expliciter sa situation exacte au moment de ces évaluations, qui indiquaient notamment, en 2014, " bonne appréhension du portefeuille sur la modalité renforcé ", en 2015, " une difficulté d'appréciation du service rendu sur la continuité ", en 2017, son souci pour les demandeurs d'emploi, et en 2019, que son investissement professionnel restait entier, et que, en tant que telle, cette mention aurait réellement affecté le rythme de progression de sa carrière et pu révéler un comportement discriminatoire à son encontre.

14. En troisième lieu, dans un courrier du 19 novembre 2013, Pôle Emploi s'est borné à reconnaître qu'elle subissait un écart de rémunération d'au moins 5 % par rapport au salaire médian des hommes du même âge, de la même ancienneté et dans les mêmes fonctions et qu'elle était donc éligible à l'application de l'article 4.2 de l'accord du 18 mars 2011 relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, sans pour autant admettre qu'elle aurait été personnellement victime d'agissements discriminatoires. Mme A... a bénéficié de trois avancements au choix en 2008, 2010 et 2013. La commission paritaire locale unique (CPLU) du 12 décembre 2013 a émis un avis partagé sur l'avancement accéléré de la requérante et le directeur régional Pôle emploi Rhône-Alpes a refusé de lui attribuer cet avancement le 12 décembre 2013. Par la suite, elle n'a bénéficié d'aucun avancement accéléré. Cette situation a essentiellement pour origine l'appréciation des mérites respectifs des candidats compte tenu du contingent annuel, et donc limité, d'agents promouvables. L'avis partagé de la CPLU sur la situation de Mme A... en 2013 comme ses évaluations annuelles, qui font apparaître un décalage avec les évolutions du métier de conseiller, qu'elle n'a pas comblé au fil des ans, et un déficit d'acquisition de nouvelles compétences, en témoignent. L'évolution de sa carrière, et notamment l'écart de rémunération dont elle se plaint, ne saurait donc suffire à caractériser une discrimination à son encontre dans l'attribution d'un avancement accéléré.

En ce qui concerne la prime variable :

15. En premier lieu, Mme A..., qui a fait l'objet de décisions lui notifiant l'attribution et le refus de primes variables au cours des années 2009 à 2019, ne jouissait d'aucun droit à obtenir un tel avantage dont le bénéfice, en vertu de l'article 3 du décret précité du 28 avril 2004 relatif au régime indemnitaire des agents contractuels de droit public de Pôle emploi, dépend de la manière de servir des agents, une telle prime étant réservée aux agents ayant au minimum fait preuve d'une manière de servir " très satisfaisante " et rien ne permettant de dire, à cet égard, que depuis 2015 Mme A... se serait acquittée de ses fonctions dans des conditions suffisamment satisfaisantes pour pouvoir y prétendre, spécialement en termes de prise en charge des demandeurs d'emploi et d'assimilation de l'évolution du métier de conseiller. Le lien que l'intéressée établit entre la prise de son " mandat syndical " en février 2014 et l'absence de versement de la prime, dont une fraction lui a été versée pour le second semestre 2014, n'est pas avéré.

16. En second lieu, Mme A..., qui n'a pas opté pour la convention collective nationale de Pôle emploi et donc pour un statut de salarié de droit privé et a décidé de rester sous un statut d'agent contractuel de droit public, ne saurait utilement invoquer l'absence d'application des dispositions de cette convention.

En ce qui concerne les inégalités sexuelles systémiques dans l'évolution de la rémunération entre les hommes et les femmes au sein de Pôle emploi :

17. Si, comme le montre le rapport de situation comparée de Pôle Emploi en 2018, les femmes sont statistiquement maintenues à un niveau de rémunération inférieur à celui des hommes, une telle circonstance ne saurait suffire à justifier de ce que Mme A... aurait été personnellement victime de discrimination s'agissant de l'absence d'attribution de la prime variable ou d'avancement accéléré, eu égard en particulier aux conditions dans lesquelles ces avantages sont attribués. Les chiffres avancés, qui procèdent à une comparaison avec un niveau de rémunération médian, ne prennent en compte ni les spécificités de la manière de servir des agents, ni les particularités du déroulement de leur carrière, dont ceux liés à la maladie. Dans ces conditions, la discrimination à raison du sexe dont Mme A... aurait souffert n'apparaît pas davantage caractérisée.

En ce qui concerne la défaillance relative à la formation :

18. Mme A... invoque la défaillance de Pôle Emploi dans la mise en œuvre de son obligation de formation concernant la mise en place de nouveaux outils en 2017 et 2018, en particulier l'absence de formation à un accompagnement régional prévu dans son entretien annuel d'avril 2017 et de tutorat en 2019, qui l'aurait pénalisée dans la tenue de son poste de conseillère. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'intéressée a bénéficié de deux formations pour développer ses compétences aux nouveaux outils de son employeur les 13 avril 2017 et 28 mars 2018. Le compte rendu d'évaluation professionnelle réalisé le 3 mai 2018 indique que " B... a apprécié le contenu des trois modules (diversement selon chacun) et utilise l'approche compétences dans son quotidien " et le compte rendu d'évaluation professionnelle établi le 3 avril 2019 pour l'année 2018 fait ressortir que ces actions de formation se sont poursuivies. L'évaluation opérée le 3 avril 2019 pour l'année 2018 indique qu'un accompagnement par le responsable d'équipe (REP) a bien été mis en œuvre dès l'année 2018, mais que " les actions d'accompagnement prévues avec son REP ont souvent dû être reportées " en raison des absences de Mme A....

En ce qui concerne l'accès aux données de comparaison :

19. Si Mme A... invoque une réticence dolosive dans l'accès à des données de comparaison concernant les informations de carrière et de salaire des salariés hommes embauchés en même temps qu'elle, il n'en résulte pas pour autant une discrimination à son encontre, aucun des préjudices invoqués n'étant directement en lien avec ces prétendues fautes.

En ce qui concerne la souscription à la mutuelle d'établissement :

20. Concernant la souscription à la mutuelle d'établissement, il résulte de l'instruction que la perception des cotisations sur la période de 2009 à 2015 résulte d'une omission administrative qui a été corrigée dès l'année 2016. Il n'apparaît pas que cette circonstance revêtirait un caractère discriminatoire.

21. Dans ces conditions, malgré les recommandations émises par le Défenseur des droits, et alors qu'aucun des éléments soumis n'est de nature à faire présumer une atteinte au principe de non-discrimination à raison de son sexe, de son engagement syndical et de son état de santé, Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité pour faute de Pôle emploi au regard des dispositions citées plus haut de la loi du 13 juillet 1983.

22. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions indemnitaires compte tenu de leur portée et l'exception de prescription opposée en défense ni de faire droit à sa demande de communication de pièces, que les conclusions présentées par Mme A... tendant à la condamnation de Pôle emploi à lui verser la somme de 144,36 euros exposée pour la souscription forcée d'une mutuelle doivent être rejetées et que l'intéressée n'est pas fondée soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de sa demande indemnitaire.

23. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions présentées par Mme A... au titre de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas de lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par Pôle emploi sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 3 octobre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A... tendant à la condamnation de Pôle emploi à lui payer la somme de 144,36 euros exposée pour la souscription forcée d'une mutuelle.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme A... tendant à la condamnation de Pôle emploi à lui verser la somme de 144,36 euros exposée pour la souscription forcée d'une mutuelle, et le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... et par Pôle emploi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à Pôle emploi.

Copie en sera adressée à la Défenseure des droits.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

La rapporteure,

C. DjebiriLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

[0]

N°22LY03449 2

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