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20/10/2023 | FRANCE | N°22LY00183

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 20 octobre 2023, 22LY00183


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme ..., agissant en qualité de représentants légaux de leur fille A... ..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à leur verser la somme de 11 342 euros en réparation du préjudice subi par leur fille du fait du visionnage du film " The Ring " (" Le cercle ") en cours de français.

Par un jugement n° 2002610 du 22 novembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 ja

nvier 2022, M. et Mme B..., en qualité de représentants légaux de leur fille A... B..., repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme ..., agissant en qualité de représentants légaux de leur fille A... ..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à leur verser la somme de 11 342 euros en réparation du préjudice subi par leur fille du fait du visionnage du film " The Ring " (" Le cercle ") en cours de français.

Par un jugement n° 2002610 du 22 novembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 janvier 2022, M. et Mme B..., en qualité de représentants légaux de leur fille A... B..., représentés par Me Benages, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2002610 du 22 novembre 2021 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 11 342 euros en réparation du préjudice subi par leur fille du fait du visionnage du film " The Ring " (" Le cercle ") en cours de français ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

Sur la régularité du jugement :

- le tribunal a commis une omission à statuer en ne se prononçant pas sur le moyen tiré de la méconnaissance des préconisations du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) visant à la protection des mineurs ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- le visionnage d'un film traumatisant pendant un cours de français ayant eu répercussion sur la santé d'une élève est constitutif d'une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- le film " The Ring " (Le cercle) est un film d'horreur déconseillé aux mineurs de moins de 16 ans au regard des préconisations du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel et son visionnage en classe de 4ème est constitutif d'une faute au regard des obligations du chef d'établissement visant à assurer la sécurité des personnes et des biens ;

- le visionnage du film méconnait le programme des classes de 4ème ;

- la faute a été reconnue par le rectorat de Lyon, de même que le lien de causalité entre cette faute et le stress post traumatique dont a souffert leur fille ;

- leur demande indemnitaire est fondée.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2022, le recteur de la région académique Auvergne Rhône Alpes conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le film projeté n'était pas interdit aux mineurs de moins de 16 ans, puisque le visa d'exploitation délivré par le centre national du cinéma a interdit ce film en salle aux mineurs de moins de 12 ans ;

- les préconisations du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel ne sont pas applicables à la diffusion d'un film par un professeur à une classe dans le cadre de son cours ;

- il ne peut être reproché à l'enseignant d'avoir diffusé le film à ses élèves dans le cadre de son cours de français ; cette activité n'est pas contraire au programme de l'enseignement du français en classe de 4ème ;

- aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ne peut être reprochée à l'enseignant ou au chef d'établissement ;

- le lien de causalité entre l'état de santé de A... ... et la projection du film en classe n'est pas établi.

Par ordonnance du 19 décembre 2022, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation,

- le code du cinéma et de l'image animée,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Benages, représentant M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. A... ..., née le 19 novembre 2005, a assisté, le 1er avril 2019 au collège C... à la projection du film " Le Cercle " de Gore Verbinski. Estimant que cette projection était de nature à engager la responsabilité de l'établissement, M. et Mme B..., ont, par courrier du 3 janvier 2020, présenté une demande d'indemnisation des préjudices subis par leur fille au recteur de l'académie de Lyon. Cette demande a été rejetée par une décision du 6 avril 2020. Par le jugement attaqué du 22 novembre 2021, dont M. et Mme B... interjettent appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices subis par leur fille A....

Sur la régularité du jugement :

2. M. et Mme B... soutiennent que le jugement du tribunal administratif de Lyon omet de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des préconisations du Conseil Supérieur de l'audiovisuel. Toutefois il ressort des termes mêmes du jugement que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par les parties, ont suffisamment répondu à ce moyen au point 4 du jugement en retenant notamment que le film " Le Cercle " " n'était pas interdit aux mineurs de moins de 16 ans comme le soutiennent les requérants " et que ces derniers n'établissaient pas que le film aurait été déconseillé aux personnes de moins de 16 ans sur une plateforme privée de diffusion en ligne. Par suite le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif serait entaché d'une omission à statuer manque en fait et doit être écarté pour ce motif.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. / Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine. / Les conditions et les modalités de délivrance du visa sont fixées par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article R. 211-12 du même code : " I. - Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : (...) 2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; 3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; (...) II. - La mesure de classification, assortie le cas échéant de l'avertissement prévu à l'article R. 211-13, est proportionnée aux exigences tenant à la protection de l'enfance et de la jeunesse, au regard de la sensibilité et du développement de la personnalité propres à chaque âge, et au respect de la dignité humaine (...) ". Aux termes de l'article R. 211-13 du même code : " Sans préjudice de la mesure de classification qui accompagne sa délivrance, le visa d'exploitation cinématographique peut être assorti d'un avertissement, destiné à l'information du spectateur, portant sur le contenu ou les particularités de l'œuvre ou du document concerné. ".

4. Selon les dispositions de l'article R. 421-10 du code de l'éducation, dans sa version applicable aux faits de l'espèce : " En qualité de représentant de l'Etat au sein de l'établissement, le chef d'établissement : (...) 2° Veille au bon déroulement des enseignements, de l'information, de l'orientation et du contrôle des connaissances des élèves ; 3° Prend toutes dispositions, en liaison avec les autorités administratives compétentes, pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l'hygiène et la salubrité de l'établissement ; ". Aux termes de l'article L. 912-1-1 du même code : " La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection. ". L'arrêté du 17 juillet 2018, publié au Bulletin officiel de l'éducation nationale n° 30 du 26 juillet 2018 précise, dans le volet 3 de l'annexe 3, concernant le français en classe de quatrième, que : " Cet enseignement s'organise autour de compétences et de connaissances qu'on peut distinguer selon trois grandes entrées : (...) - la constitution d'une culture littéraire et artistique commune, faisant dialoguer les œuvres littéraires du patrimoine national, les œuvres contemporaines, les littératures francophones et les littératures de langues anciennes et de langues étrangères ou régionales, avec les autres créations artistiques, notamment les images, fixes et mobiles. (...) le travail mené pour développer les compétences d'expression orale et écrite est effectué, lors de séances spécifiques, en lien étroit avec la découverte et l'étude de textes littéraires et d'œuvres artistiques, choisis librement par le professeur pour construire la culture littéraire et artistique adaptée au cycle 4. (...) En outre, l'enseignement du français joue un rôle déterminant dans l'éducation aux médias et à l'information : les ressources du numérique trouvent toute leur place au sein du cours de français et sont intégrées au travail ordinaire de la classe, de même que la réflexion sur leurs usages et sur les enjeux qu'ils comportent. ( ...) ".

5. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le film " Le Cercle " serait déconseillé aux personnes de moins de 16 ans conformément aux préconisations du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel visant à la protection des mineurs, la seule circonstance qu'une plateforme privée de diffusion en ligne assortisse la diffusion de ce film de la mention " Age : 16 + " n'est pas de nature à établir l'existence de telles préconisations. En tout état de cause, ces dernières n'ayant aucune portée impérative dans le cadre d'une diffusion en milieu scolaire, les requérants ne peuvent utilement s'en prévaloir pour mettre en cause la responsabilité du chef d'établissement.

6. En deuxième lieu, il n'est pas sérieusement contesté que le visa d'exploitation du film en salle de cinéma restreint seulement sa projection aux mineurs de moins de 12 ans et il ne résulte pas de l'instruction que ce visa d'exploitation aurait été assorti d'un avertissement destiné à l'information du spectateur dans les conditions précisées à l'article R. 211-3 précité du code du cinéma et de l'image animée. Il est par ailleurs constant que tous les élèves de la classe étaient âgés de plus de 13 ans, y compris A... ....

7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le film a été projeté à toute la classe en présence et sous la responsabilité du professeur de français, libre de ses choix pédagogiques, dans le cadre d'un travail général sur le thème du " fantastique ", que cette projection a été accompagnée et commentée, et qu'elle a notamment a été suivie d'une évaluation écrite des élèves visant à les conduire à une réflexion sur les émotions induites par un événement de fiction et de nature à leur permettre de construire une analyse critique et distanciée de l'œuvre.

8. Indépendamment de l'opportunité du choix de ce film ou de son classement dans la catégorie des films fantastiques ou des films d'horreur, il résulte de ce qui a été précédemment exposé que les conditions dans lesquelles son visionnage en classe a été organisé ne permettent pas de caractériser une faute ou une méconnaissance du programme ou un manquement au bon déroulement des enseignements.

9. En quatrième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le chef d'établissement aurait été informé de ce que l'état de santé psychologique de la jeune A... B... était susceptible de la rendre particulièrement sensible à ce type de fiction, ni que d'autres élèves de la classe auraient manifesté un état émotionnel particulier ou auraient été choqués à la suite de ce visionnage. Les conditions dans lesquelles le visionnage a pu être organisé ne permettent donc pas de caractériser un manquement du chef d'établissement à son obligation d'assurer la sécurité des personnes au sein de son établissement.

10. Il résulte de ce qui précède qu'aucun élément n'est de nature à caractériser une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public de l'éducation nationale susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat et la circonstance que la cheffe du bureau de la division des élèves de la direction des services départementaux de l'éducation nationale du Rhône ait, par mail du 25 juin 2019 adressé aux parents de la jeune A..., indiqué qu'une enquête avait été diligentée et que tous les personnels étaient conscients du traumatisme subi par la jeune fille n'est pas, par elle-même, de nature à établir l'existence, ni même la reconnaissance, d'une telle faute.

11. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à les indemniser des préjudices subis par leur fille. Par voie de conséquences, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Copie en sera adressée au recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gros, premier conseiller,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2023.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00183


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00183
Date de la décision : 20/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-015-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de l'enseignement. - Organisation du service.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : BENAGES

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-10-20;22ly00183 ?
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