Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 28 mars 2023 par lequel la préfète du Rhône a décidé sa remise aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2302526 du 9 mai 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté, enjoint à la préfète du Rhône d'enregistrer la demande d'asile de Mme B..., de lui remettre le dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rejeté le surplus de la demande de l'intéressée.
Procédures devant la cour
I) Par une requête enregistrée le 23 mai 2023 sous le n° 23LY01743, la préfète du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a fait droit aux conclusions aux fins d'annulation et d'injonction de Mme B... ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a considéré que sa décision était d'entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 4 août 2023, Mme B..., représentée par Me Zocalli, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la préfète n'a procédé à aucun examen sérieux de sa situation ;
- ainsi que l'a retenu le tribunal, la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013 ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Lyon (section administrative d'appel).
II) Par une requête enregistrée le 23 mai 2023 sous le n° 23LY01744, la préfète du Rhône demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2302526 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 9 mai 2023.
Elle soutient qu'elle a développé, au soutien de ses conclusions à fin d'annulation du jugement du 9 mai 2023, des moyens sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué, et que l'exécution du jugement attaqué aurait des conséquences irréversibles.
En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, l'affaire a été dispensée d'instruction.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Le rapport de Mme Duguit-Larcher, rapporteure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante de République démocratique du Congo née le 28 février 1979, entrée en France le 17 décembre 2022, a déposé une demande d'asile le 27 janvier 2023. La consultation du fichier VIS a démontré que Mme B... était entrée sur le territoire des États membres au moyen d'un visa délivré par la Suisse valable du 17 décembre 2022 au 24 janvier 2023. Les autorités suisses ont fait connaître leur accord le 1er mars 2023 pour la prise en charge de la demande de Mme B.... Par arrêté du 28 mars 2023, la préfète du Rhône a ordonné la remise de Mme B... aux autorités suisses, responsables de l'examen de sa demande d'asile. La préfète du Rhône relève appel du jugement du 9 mai 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté et a pris à son encontre une injonction, et en demande le sursis à exécution.
2. Ces deux requêtes sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 23LY01743 à fin d'annulation du jugement attaqué :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
3. Le premier paragraphe de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 prévoit que la demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride " est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ". Le premier paragraphe de l'article 17 de ce règlement dispose que : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. Pour justifier que l'État français fasse usage à son égard de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement précité, Mme B... s'est prévalue devant le premier juge de la présence en France de son fils, né en janvier 2002, qui a obtenu la protection subsidiaire, de ce que sa propre demande se fonderait sur des éléments similaires et de son état de santé. Toutefois, Mme B... ne justifie nullement de la nature des liens qu'elle entretient avec son fils, avec lequel elle ne réside pas et dont elle a été séparée au moins entre 2019, année au cours de laquelle ce dernier est arrivé en France, et décembre 2022. Elle n'avait pas même fait état de l'existence de cet enfant auprès de l'administration, alors qu'elle a déclaré être mère de trois enfants restés en République démocratique du Congo, avant que ne lui soit notifiée la décision de transfert. Si elle fait valoir qu'elle souffre d'un diabète qui a pu être pris en charge depuis son arrivé en France ainsi que d'une pathologie oculaire secondaire à ce diabète, elle ne justifie ni d'une impossibilité de voyager, ni de l'absence de possibilité de prise en charge de cette pathologie en Suisse, ni enfin de ce que son état de santé rendrait nécessaire la présence de son fils à ses côtés. La seule circonstance, au demeurant non établie, qu'elle serait susceptible de se prévaloir, dans le cadre de sa demande d'asile, de faits similaires à ceux exposés par son fils, est insuffisante, à elle seule, à caractériser l'erreur manifeste dont serait entachée la décision de remettre Mme B... aux autorités suisses.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation commise par la préfète du Rhône dans l'application de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013 pour annuler son arrêté du 28 mars 2023.
6. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B....
En ce qui concerne les autres moyens :
7. En premier lieu, alors qu'il est constant que Mme B... n'a pas informé la préfète de la présence en France de son fils avant l'édiction de l'arrêté en litige, puisqu'elle ne l'a fait qu'au moment de mentionner ses observations sur l'exécution de cet arrêté lorsqu'il lui a été notifié, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressée.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement européen du 26 juin 2013 relatif aux membres de la famille bénéficiaires d'une protection internationale : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. " L'article 2 de ce règlement précise que pour son application, on entend, sous réserve de la situation particulière des mineurs, par " membres de la famille ", " dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : / - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers, / - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu'ils soient non mariés et qu'ils soient nés du mariage, hors mariage ou qu'ils aient été adoptés au sens du droit national (...) ".
9. Par application de ces dispositions, l'enfant majeur du demandeur n'est pas un " membre de la famille " au sens des dispositions du règlement. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'en décidant son transfert aux autorités suisses, la préfète du Rhône aurait méconnu l'article 9 du règlement européen du 26 juin 2013.
10. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 4, et alors que l'arrivée en France de Mme B... était très récente à la date de l'arrêté litigieux, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaitrait ainsi l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté et pris à son encontre une injonction.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit versée au conseil de Mme B... par l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais d'instance.
Sur la requête n° 23LY01744 à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
13. Le présent arrêt statuant sur la requête de la préfète du Rhône dirigée contre le jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête de la préfète du Rhône enregistrée sous le n° 23LY01744.
Article 2 : Les articles 1 et 2 du jugement n° 2302526 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 9 mai 2023 sont annulés.
Article3 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lyon est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... B....
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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Nos 23LY01743, 23LY01744
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